§ 6 - La fiscalité de la Loterie nationale et des jeux de La Française des jeux

Le mode de prélèvement sur les jeux de La Française des jeux est lui aussi assez simple : concernant les jeux de répartition (le loto par exemple) il suffit à l’organisateur de retenir, sur les sommes engagées, celles correspondant aux prélèvements légaux, quant aux jeux de contrepartie (jeux instantanés parmi lesquels figurent, par exemple, les jeux « de grattage ») le montant du prélèvement est soit déterminé par les règles du jeu lui-même et résultent du taux de redistribution qu’il offre aux joueurs, soit, s’il s’agit d’un prélèvement sur les gains des joueurs, il est retenu par la personne qui doit en assurer le versement.

Au commencement était la Loterie nationale. L’article 136 de la loi du 31 mai 1933 autorise en effet le gouvernement à fixer les conditions d’organisation d’une loterie « dont le produit sera, après prélèvement d’une somme de 100 millions affectée à la caisse de solidarité contre les calamités agricoles, rattaché selon la procédure du fonds de concours au chapitre 14 du budget des pensions (retraite du combattant) dont le crédit sera réduit à due concurrence ». Le budget de l’Etat en est donc le bénéficiaire exclusif. Simple et inchangée jusque dans les années 1970, l’organisation de cette loterie est, aux termes du décret du 22 juillet 1933, confiée à un comité placé sous l’autorité du ministre des Finances et le montant des lots répartis ne peut être inférieur à 60 % du montant des billets émis 987 . Les frais d’organisation, impossibles à déterminer, n’avaient fait l’objet d’aucune règle préalable mais on sait qu’ils furent proches de 5 % du montant des billets émis, 35 % restant ainsi à l’Etat 988 .

Jusqu’en 1976, date du lancement du loto, les textes se préoccuperont seulement de la répartition du produit de la Loterie. L’article 15 de la loi du 23 décembre 1933 porte ainsi à 125 millions le prélèvement au profit de la caisse de solidarité contre les calamités agricoles, dont 5 millions sont affectés à la réparation des calamités maritimes 989 . En 1936, la part de la caisse est ramenée à 25 millions, dont 2 millions sont affectés au paiement de la part contributive de l’Etat dans les primes d’assurance contre la grêle en faveur des petits exploitants et 100 000 francs affectés au versement de subventions aux communes et départements qui concourent par des primes à l’assurance des immeubles recouverts en bois ou en chaume 990 . Puis, le décret-loi du 17 juin 1938 institue pour deux ans un prélèvement de 25 millions sur le produit net de la Loterie affecté à l’octroi de subventions aux industries d’Alsace et de Lorraine 991 . Mais à partir de cette date, les pouvoirs publics semblent avoir quelques scrupules à maintenir une loterie qui, initialement, avait été présentée comme une mesure accidentelle et temporaire. Ainsi le décret-loi du 12 novembre 1938 dispose-t-il que la Loterie sera supprimée à partir du 1er janvier 1940 992 , las, la dernière lampée de cette ressource bien commode fut sans cesse reportée et la Loterie régulièrement prorogée jusqu’à ce qu’en 1948 la question de sa suppression ne se pose apparemment plus 993 .

Durant la guerre, la loterie d’Etat fut mise au service d’institutions d’exception. Le décret-loi du 26 septembre 1939 affecte son produit net au fonds de solidarité nationale nouvellement créé 994 . La loi du 18 octobre 1940 réoriente ensuite son produit vers l’œuvre du Secours national 995 , le gouvernement de Vichy y ajoutant par la suite d’autres affectations : la couverture des dépenses intéressant le développement de l’éducation familiale, la protection de la famille et particulièrement de l’enfance 996 , le budget ordinaire 997 , enfin, le dépistage et la rééducation des enfants anormaux, déficients ou en danger moral 998 . A la Libération, l’œuvre du Secours national fut remplacée par l’Entraide française et l’ordonnance n° 45-201 du 9 février 1945 vint placer entièrement le produit net de la loterie au crédit de cette dernière, supprimant ainsi toutes les affectations qui revenaient à d’autres chapitres budgétaires 999 . S’ensuit, jusqu’en 1975, un long silence des textes concernant l’organisation de la Loterie et la répartition de son produit, mais l’Entraide française ayant ensuite disparu, celui-ci est logiquement tombé dans les ressources exceptionnelles du budget général puis en recette du compte spécial du Trésor retraçant les opérations de la Loterie nationale.

A la fin des années 1970 la Loterie nationale connaît d’importants bouleversements touchant à la fois son organisation, l’offre de jeux qu’elle propose au public et la répartition de son produit. Aux termes de l’article 17 du décret n° 78-1067 du 9 novembre 1978 1000 , la Loterie nationale devient une société d’économie mixte baptisée Société de la Loterie nationale et du Loto national, renommée, en 1989, la Société France Loto puis, en 1990, La Française des jeux. L’Etat en est l’actionnaire majoritaire, avec 72 % du capital. A la même époque, les jeux proposés commencent à se diversifier. La plupart prennent appui sur le fondement, inchangé, de l’article 136 de la loi du 31 mai 1933. Ainsi en 1975, sur la seule initiative du gouvernement, le loto fait-il son apparition, sous le nom de « tirages supplémentaires da la loterie nationale » 1001 , de même en 1987 le gouvernement autorise-t-il la Société de la Loterie nationale à organiser des jeux de loterie instantanée, plus communément appelés jeux de grattage 1002 . D’autres jeux nouveaux ont en revanche nécessité l’intervention de la loi, tel est le cas du loto sportif, institué par l’article 42 de la loi n° 84-1208 du 29 décembre 1984 1003 , dont le décret n° 85-390 du 1er avril 1985 confie l’organisation à la Société de la Loterie nationale 1004 . Enfin, c’est également à partir de la fin des années 1970 que la loi institue des prélèvements sur les sommes engagées à ces différents jeux ou encore sur les gains des joueurs, mais la seule analyse de ces textes ne suffit pas à déterminer précisément quels avantages financiers la collectivité retire de l’exploitation de ces jeux.

En effet, au-delà des impositions de droit commun (tels l’impôt sur les sociétés ou la TVA 1005 ) et des dividendes qu’il perçoit en tant qu’actionnaire de La Française des jeux, les recettes de l’Etat en ce domaine résultent de plusieurs mécanismes. Sur l’ensemble des sommes engagées aux jeux de La Française des jeux s’appliquent d’abord un certain nombre de prélèvements légaux dont l’énumération sera faite plus loin. Il incombe ensuite au ministre chargé du Budget 1006 de déterminer la répartition des mises, c’est-à-dire de fixer pour chaque catégorie de jeux (loto, euro millions, loteries instantanées, loto sportif, rapido et kéno) la part des sommes engagées correspondant aux frais d’organisation du jeu puis, sur le solde restant, de fixer les parts respectives des sommes devant revenir aux joueurs gagnants et des sommes devant être inscrites en recettes non fiscales du budget général. Le ministre dispose à ce titre d’un pouvoir d’appréciation non négligeable puisque les dispositions qui fondent sa compétence lui imposent, pour tous les jeux autres que le loto sportif, que l’espérance de gain des joueurs soit comprise entre 45 et 70 % du total des mises, quant au loto sportif, le taux de redistribution peut aller de 25 à 70 % du total des mises. Cette affectation d’une part du produit net des jeux au budget général constitue le gros des intérêts de l’Etat en ce domaine, d’après le rapport du sénateur Trucy, celle-ci correspond, en moyenne, à 28 % du total des sommes engagées 1007 .

La présentation, pour chaque jeu ou catégorie de jeux, de la proportion des sommes engagées qui est inscrite directement en recettes non fiscales du budget général se heurte à quelques difficultés. Celles-ci tiennent principalement au fait que les textes, en perpétuelle évolution, distinguent seulement la part des sommes revenant aux joueurs et celle devant être répartie entre l’opérateur pour ses frais d’organisation et les différents prélèvements légaux, le solde restant revenant au budget. Or, l’ensemble de ces éléments variant sans cesse en fonction du temps et des jeux considérés, la part des sommes revenant au budget ne peut être obtenue qu’après un certain nombre de calculs dont les résultats seront vite dépassés. Notons seulement que c’est l’arrêté du 31 décembre 1997 modifié qui prévoit la répartition des sommes misées aux jeux de La française des jeux 1008 .

Les prélèvements institués par la loi sont, eux, de cinq sortes. L’article 25 de la loi n° 77-1467 du 30 décembre 1977 1009 institue un droit de timbre sur les bulletins du loto national mentionné aux articles 919 A et suivants du CGI. Initialement fixé à 3 % du montant des sommes engagées, le tarif de l’impôt varie désormais avec la nature du jeu considéré, il est aujourd’hui de 4,7 % du montant des sommes engagées au loto national et au loto sportif (articles 919 A et 919 B du CGI) et de 1,6 % pour les jeux de loterie instantanée 1010 . En 1978 fut introduit un prélèvement sur les sommes engagées au loto national au profit du Fonds national pour le développement du sport 1011 , il fut ensuite remplacé par un autre prélèvement touchant, lui, l’ensemble des jeux exploités en France métropolitaine par La Française des jeux, sont taux est aujourd’hui de 2,9 % des sommes engagées et une bonne partie de son produit (781 millions de francs) doit être affectée à ce même fonds 1012 . L’article 6-I de la loi n° 86-824 du 11 juillet 1986 institue quant à lui un prélèvement progressif sur les gains réalisés au loto national et au loto sportif, son taux varie de 5 à 30 % du montant du gain 1013 . L’article 18-I de l’ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 institue une contribution sur une fraction des sommes misées en France métropolitaine et dans les départements d’Outre-mer aux jeux de La Française des jeux au titre du remboursement de la dette sociale, cette fraction est de 58 % des sommes engagées et le taux de la contribution est de 0,5 %. Enfin, l’article 16-III de la loi n° 96-1160 du 27 décembre 1996 institue une contribution sociale généralisée, mentionnée à l’article L. 136-7-1 du Code de la sécurité sociale, sur une fraction de 23 % des sommes misées en France métropolitaine et dans les départements d’Outre-mer aux jeux de La Française des jeux, son taux est de 9,5 %.

Notes
987.

JO 23 juillet 1933, p. 7674. Le texte est précédé d’un rapport des ministres des Finances, du Budget, des Pensions et de l’Agriculture. Pour connaître la composition du comité d’organisation de la loterie, voir l’arrêté du 22 juillet 1933 (JO 23 juillet 1933, p. 7675).

988.

Voir le commentaire anonyme de la loi du 31 mai 1933, D. 1934.IV.180.

989.

JO 24 décembre 1933. Pour les conditions d’attribution des indemnités aux marins pêcheurs, voir les décrets du 27 janvier 1934 (JO 8 février 1934) et du 5 mai 1934 (JO 5 mai 1934).

990.

Article 76 de la loi du 31 décembre 1935.

991.

JO 29 juin 1938.

992.

JO 12-13 novembre 1938.

993.

Le décret-loi du 21 avril 1939 (JO 22 avril 1939) reporte la suppression de la Loterie au 1er janvier 1942, l’article 51 de la loi du 31 décembre 1941 (JO 1er janvier 1942, p. 2) proroge la Loterie pour une durée d’un an, l’article 53 de la loi du 31 décembre 1942 la proroge pour une durée de trois ans (JO 1er janvier 1943, p. 2), l’article 82 de la loi n° 45-0195 du 31 décembre 1945 la proroge à nouveau pour une durée de trois ans, enfin, l’article 30 de la loi n° 48-1974 du 31 décembre 1948 la proroge pour une durée de deux ans (JO 1er janvier 1949, p. 4). Logiquement, une disposition législative aurait du intervenir avant le 1er janvier 1951 pour proroger définitivement la Loterie, mais la lecture des lois de finances intervenues entre le 31 décembre 1948 et le 1er janvier 1951 n’en révèle aucune trace. Il n’est donc pas à exclure que le dispositif habilitant le gouvernement à organiser une loterie manque, depuis lors, de base légale, sauf à considérer que les lois postérieures lui faisant implicitement référence aient abrogé la suppression de la loterie décidée par le décret-loi de 1939 et les prorogations temporaires intervenues à sa suite. Ainsi en est-il, par exemple, de la loi n° 51-344 du 20 mars 1951 (JO 21 mars 1951 p. 2890) qui accorde certaines exonérations fiscales aux associations de mutilés de guerre et d’anciens combattants émettrices de participations à la Loterie nationale (après elle, il faut attendre l’article 25 de la loi n° 77-1467 du 30 décembre 1977 instituant un droit de timbre sur les billets du loto national).

994.

JO 4 octobre 1939, p. 11986.

995.

JO 20 octobre 1940, p. 5337.

996.

Article 20 alinéa 2 de la loi du 28 juin 1941 (JO 1er janvier 1941, p. 2759).

997.

Article 17 de la loi du 8 juin 1942 (JO 24 juin 1942, p. 2194).

998.

Article 54 de la loi du 31 décembre 1942.

999.

JO 10 février 1945, p. 675.

1000.

JO 10 novembre 1978, p. 3812. Encore aujourd’hui ce texte détermine les conditions d’organisation et d’exploitation des jeux de loterie autorisés par l’article 136 de la loi de finances du 31 mai 1933, il a fait l’objet de nombreuses modifications dont la dernière en date résulte du décret n° 2002-651 du 29 avril 2002 (JO 2 mai 2002, p. 7914). Pour un recensement complet de ces textes, voir, en annexe, le Tableau de législation et de jurisprudence sur le jeu.

1001.

Décret n° 75-613 du 10 juillet 1975 relatif à l’organisation des tirages supplémentaires de la loterie nationale (JO 11 juillet 1975, p. 7135). Là encore, les textes réglementaires fixent à 60 % la part minimum du montant des billets émis devant revenir aux gagnants.

1002.

Décret n° 87-330 du 13 mai 1987 (JO 19 mai 1987, p. 5479).

1003.

JO 30 décembre 1984, p. 4060.

1004.

JO 2 avril 1985, p. 3830. Ce décret a lui aussi fait l’objet de modifications dont la dernière en date résulte du décret n° 2002-768 du 3 mai 2002 (JO 5 mai 2002, p. 8605).

1005.

L’article 18-III de la loi n° 83-1179 du 29 décembre 1983, repris à l’article 261 E du CGI, applique la TVA aux rémunérations des organisateurs et intermédiaires de la Loterie nationale et du loto national.

1006.

Article 3 du décret n° 78-1067 du 9 novembre 1978 modifié et article 5 du décret n° 85-390 du 1er avril 1985 modifié.

1007.

F. Trucy, « Rapport d’information fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur la mission sur les jeux de hasard et d’argent en France », op. cit., pp. 89 et 334. Prenons l’exemple de l’arrêté du 30 décembre 1977, qui détermine l’affectation du produit des premiers tirages du loto (JO 1er janvier 1978, p. 138). D’après ce texte, les sommes misées font l’objet d’un premier « prélèvement » de 21,5 % dont 3 % au titre du droit de timbre et 18,5 % au titre des frais d’organisation engagés par le groupement d’intérêt économique des émetteurs de représentations de dixièmes de billets de la Loterie nationale. Puis, sur le solde restant, 69,56 % sont redistribués aux gagnants et 30,44 % vont au Trésor. Mais si nos calculs sont bons, ce n’est donc que 54,6 % des sommes engagées qui reviennent aux joueurs et non les 60 % prévus par le décret du 10 juillet 1975.

1008.

JO 20 janvier 1998, p. 888. Pour une présentation complète des quinze textes venus modifier cet arrêté, voir en annexe, les Tables de législation et de jurisprudence sur le jeu.

1009.

JO 31 décembre 1977, p. 6316.

1010.

Ces taux résultent de l’article 35-I de la loi n° 92-1376 du 30 décembre 1992 (JO 31 décembre 1992, p. 18058). Pour une analyse des modifications intermédiaires intervenues depuis 1977, voir, en annexe, le Tableau de législation et de jurisprudence sur le jeu.

1011.

Article 41 de la loi n° 78-1239 du 29 décembre 1978.

1012.

Article 48-I de la loi n° 93-1352 du 30 déc. 1993 (JO 31 décembre 1993, p. 18474). Le taux actuellement en vigueur résulte de l’article 44 de la loi n° 97-1269 du 30 décembre 1997 (JO 31 décembre 1997, p. 19261). Notons que concernant le loto sportif, ce prélèvement intervient indépendamment des sommes qui, conformément à l’article 42 de la loi n° 84-1208 du 29 décembre 1984, doivent être attribuées au Fonds national de développement du sport par l’arrêté du ministre du budget portant répartition des sommes jouées.

1013.

JO 12 juillet 1986, p. 8688. Notons également que l’article 6-II de cette même loi affecte au budget général les bénéfices sur centimes résultant de l’arrondissement des rapports à l’issue des opérations de répartition.