§ 1 - La fiscalité des jeux, vecteur et témoin de la légitimation progressive du système d’exploitation des jeux autorisés

Lourde et complexe, la fiscalité ludique traduit bien la volonté du pouvoir de mettre l’argent du jeu au service de l’intérêt général. L’observation systématique de ce mécanisme semble révéler l’existence d’un « principe juridique » qui, s’il n’est pas clairement énoncé par la loi, est néanmoins inhérent à l’ensemble de la réglementation des jeux et constitue le pendant financier du processus de moralisation du jeu.

Afin que ce « principe » de l’affectation du produit des jeux à l’intérêt général apparaisse de manière manifeste (nous serions tentés de dire « ostensible »), les autorités nationales, craignant sans doute de prêter le flanc à la critique, ont longtemps rechigné à faire directement bénéficier le budget de l’Etat du produit des prélèvements sur les jeux. Rappelons que les prélèvements originels institués par les lois du 2 juin 1891 relative aux paris sur les courses de chevaux et du 15 juin 1907 relative aux casinos faisaient la part belle aux « œuvres de bienfaisance », affectation sans nul doute susceptible de réunir autour d’elle un large consensus politique.

Par la suite, lorsqu’intervinrent les premiers prélèvements au profit de l’Etat, on constate que ceux-ci tombent rarement dans la masse commune des recettes du budget. En effet, les textes contournent le plus souvent le principe d’universalité budgétaire pour affecter directement le produit des jeux à des opérations, là encore, susceptibles de réunir autour d’elles un large consensus. A ce titre on a pu remarquer que certaines politiques publiques furent alimentées par des prélèvements frappant le produit de différents secteurs de jeux autorisés, ainsi en est-il de la politique d’adduction d’eau potable (financée par les casinos, les cercles et les paris sur les courses de chevaux), de la politique d’outillage national (casinos, cercles et paris), de l’équipement des communes dans le cadre de la lutte contre les incendies (casinos et loteries), de l’aide aux régions dévastées par la guerre de 1914 (paris et loteries), de l’œuvre du Secours national (casinos, paris et Loterie nationale) ou encore du Fonds national pour le développement du sport (paris sur les courses de chevaux et Française des jeux). De même, les affectations propres à certains secteurs de jeux autorisés ont-elles probablement contribué à la légitimation de l’exploitation de ces jeux, le meilleur exemple résidant dans le financement de la caisse de solidarité contre les calamités agricoles et des retraites et pensions des anciens combattants par la Loterie nationale.

Au fond, il semblerait que ce n’est qu’à partir de la Libération, époque à laquelle intervinrent de grands bouleversements dans la fiscalité des jeux, que notre système d’exploitation des jeux autorisés a acquis la maturité et la légitimité suffisante pour que soit mis fin à l’affectation systématique du produit des prélèvements à des politiques publiques particulières, et qu’enfin les prélèvements ludiques rejoignent le bataillon des recettes fiscales ordinaires pour venir alimenter la masse commune des sommes inscrites en recettes au budget de l’Etat. Cela n’empêche toutefois pas qu’une part du produit des jeux reste au service de la protection d’intérêts économiques sectoriels, ainsi en est-il du produit des paris sur les courses de chevaux, les courses de lévriers et les parties de pelote basque qui, par le truchement des sociétés de courses et du Fonds national des courses et de l’élevage, contribuent au financement du « secteur cheval » et, dans une moindre mesure, du « secteur lévrier ». Tel est encore le cas du développement touristique des communes ou groupements de communes qui accueillent un ou plusieurs casinos, développement assuré non seulement par le prélèvement communal déterminé au cahier des charges et le reversement de 10 % de l’impôt progressif institué au profit de l’Etat, mais encore par l’abattement supplémentaire pour organisation de manifestations artistiques de qualité et dépenses d’équipement hôtelier ou thermal ainsi que par l’affectation obligatoire d’une part des recettes du casino à des travaux d’investissement destinés à l’amélioration de l’équipement touristique.