§ 2 - Des taux de redistribution variés

C’est peu de choses de dire que les différents jeux autorisés n’offrent pas tous les mêmes chances aux joueurs qui s’y livrent. Certes, à l’intérieur d’un même jeu, l’égalité des chances entre le joueurs s’impose logiquement, d’ailleurs, le décret n° 78-1067 du 9 novembre 1978 modifié relatif à l’autorisation et à l’exploitation des jeux autorisés par l’article 136 de la loi du 31 mai 1933 (jeux de La Française des jeux) dispose, en son article 4, que « les jeux doivent respecter le principe d’égalité des chances entre les joueurs » et, s’inspirant de la formule utilisée par le Conseil d’Etat dans l’affaire Denoyez et Chorques 1033 , ajoute : « ce qui n’interdit pas de tenir compte des différences objectives de situation entre ceux-ci ».

En revanche, d’un jeu autorisé à l’autre, les disparités peuvent être grandes. Celles-ci reflètent d’ailleurs en partie la grande variété de ces jeux. On ne peut en effet pas comparer l’espérance de gain des clients de La Française des jeux et celle des membres d’un consortium de banque au jeu, pratiqué dans les cercles, du multicolore, qui permet à certains joueurs d’acquérir la banque aux enchères, la position de banquier leur assurant par la suite une espérance de gain positive, c’est-à-dire un taux de redistribution supérieur à 100 %.

D’un secteur de jeux autorisés à l’autre, les modalités d’application des prélèvements sur le produit des jeux ne sont pas les mêmes. Dans les cercles et les casinos, les prélèvements frappent le produit brut des jeux dégagé par l’exploitant et, dans une moindre mesure, les gains réalisés par le joueurs, en revanche, aux jeux de La Française des jeux et aux différents paris mutuels (chevaux, lévriers, pelote basque), les prélèvements s’appliquent aux sommes engagées par les joueurs ainsi qu’aux gains réalisés par ces derniers, le tout avant paiement desdits gains. Cette ligne de partage est assez révélatrice. En effet, pour la première catégorie de jeux (casinos et cercles) le taux de redistribution proposé aux joueurs est relativement autonome et ne résulte que pour une très faible part de la politique fiscale de l’Etat en la matière. Or il se trouve que ce sont ces jeux qui, précisément, offrent aux joueurs le taux de redistribution le plus intéressant. En revanche, pour la seconde catégorie de jeux (Française des jeux et paris mutuels), les taux de redistribution proposés aux joueurs sont exclusivement déterminés par le montant des différents prélèvements opérés, en vertu des textes, sur la masse des sommes engagées dans chaque jeu.

Dans les cercles et casinos (et à l’exception du prélèvement sur les gains supérieurs à 1 500 € réalisés aux machines à sous en vertu de l’article L. 136-7-1 du Code de la sécurité sociale) les taux de redistribution offerts aux joueurs par chaque jeu résultent principalement des règles propres à chacun de ces jeux. C’est notamment le cas aux jeux de contrepartie et aux machines à sous. Par exemple, nous avons vu que l’avantage mathématique de la banque à la roulette française équivaut, pour les rapports de mises sur des numéros pleins, à une taxe de 2,7 %, de même que les machines à sous ne peuvent redistribuer moins de 85 % des enjeux 1034 . Aux jeux de cercle, enfin, les joueurs sont placés sur un strict pied d’égalité et connaissent tous une espérance de gain nulle, c’est seulement l’existence d’un prélèvement au profit de la cagnotte de l’établissement de jeux qui est susceptible de rendre cette dernière sensiblement négative 1035 . Il nous est matériellement impossible de calculer pour chaque jeu le taux de redistribution précis offert aux joueurs, ne serait-ce parce qu’à un même jeu, ce taux est susceptible de varier en fonction des « coups » tentés par les joueurs (pour reprendre l’exemple de la roulette, les rapports de mises, et avec eux l’espérance de gain, varient selon que l’on joue un numéro plein, plusieurs numéros voisins, une couleur etc.). Mais il demeure amusant de constater que ce sont précisément les exploitants de jeux dont la réputation est dans l’imaginaire collectif la plus sulfureuse – les casinos – qui offrent aux joueurs l’espérance de gain la plus intéressante.

Le rapport du sénateur Trucy nous livre sur ce point des informations édifiantes sur le taux de redistribution moyen proposé par chacun des trois grands secteurs du jeu autorisé en France, informations issues des rapports d’activité 2000 de La Française des jeux et du PMU, d’une part, et du syndicat « Casinos de France », d’autre part. Derniers du peloton, les jeux de La Française des jeux ne proposent qu’un taux moyen de 59 %. Un peu plus « généreux », le PMU offre quant à lui aux joueurs un taux moyen de redistribution de 69,57 %. Mais la palme revient sans conteste aux casinos qui, loin devant les deux autres secteurs, offrent un taux de redistribution allant de 85 % pour les machines à sous à 98,5 % pour le baccara 1036 .

Notes
1033.

CE 10 mai 1974 [Denoyez et Chorques], Rec. 274.

1034.

Article 4 du décret n° 59-1489 du 22 décembre 1959 modifié.

1035.

A l’exception de certains jeux dits de cercle pratiqués uniquement dans les cercles de jeu (le multicolore par exemple) où la banque est mise aux enchères, les acquéreurs disposant alors d’une espérance de gain positive dont ne disposent pas leurs concurrents.

1036.

F. Trucy, « Rapport d’information fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur la mission sur les jeux de hasard et d’argent en France », op. cit., p. 179.