§ 3 - La nature des prélèvements ludiques

Jusqu’ici nous avons, la plupart du temps, soigneusement évité d’employer les termes « impôts » ou « taxes » et nous sommes contentés d’utiliser le terme de « prélèvement » qui ne préjuge en rien de la nature juridique des divers mécanismes institués 1037 . D’ailleurs, l’emploi de l’expression « fiscalité des jeux », s’il présente l’avantage de la clarté, peut sembler impropre. Non seulement une bonne partie des prélèvements dont nous avons mentionné l’existence ne sont juridiquement pas des impôts, notion à laquelle est généralement associée celle de « fiscalité », mais encore, certains des mécanismes que nous avons présentés ne peuvent même pas s’analyser comme des prélèvements. Ainsi en est-il de l’obligation faite aux casinos de consacrer une part de leur produit net des jeux à des travaux d’investissement destinés à l’amélioration de l’équipement touristique de la ou des communes siège(s).

La doctrine distingue généralement parmi les prélèvement obligatoires la catégorie des prélèvements fiscaux et celle des prélèvements non fiscaux, ces deux catégories faisant à leur tour l’objet de distinctions internes 1038 .

La catégorie des prélèvements fiscaux recouvre l’ensemble des « impositions de toutes natures », expression figurant à l’article 34 alinéa 6 de la Constitution 1039 . La technique de qualification des prélèvements figurant au sein de cette catégorie peut surprendre dans la mesure où elle « consiste à procéder négativement par voie d’élimination » ; ainsi le Conseil constitutionnel, suivi par le Conseil d’Etat, qualifie-t-il de prélèvement fiscal tous ceux qui n’entrent pas dans la catégorie des prélèvements non fiscaux, « ce qui conduit souvent à induire de l’accessoire le principal » 1040 . On distingue au sein de cette catégorie les impôts et les taxes fiscales. Le premier se définit comme un « prélèvement pécuniaire effectué par voie d’autorité, à titre définitif, sans contrepartie déterminée, sans lien avec le fonctionnement d’un service public et indépendamment de toute procédure répressive, en vue d’assurer le financement des charges publiques de l’Etat et des collectivités locales » 1041 . Il revient au législateur d’en fixer l’assiette, le taux, les modalités de recouvrement et d’en autoriser chaque année la perception dans la loi de finances initiale 1042 . La taxe fiscale, en revanche, est un « prélèvement obligatoire perçu au profit de l’Etat, des collectivités locales ou des établissements publics administratifs à raison du fonctionnement d’un service public sans que sont montant soit en corrélation avec le coût du service », leur création découle nécessairement d’un acte législatif et leur régime ne peut être modifié par voie réglementaire 1043 .

La catégorie des prélèvements non fiscaux, quant à elle, renvoie à un ensemble hétéroclite de prélèvements obligatoires recouvrant les cotisations sociales, les taxes parafiscales et les redevances pour service rendu.

Catégorie spécifique de prélèvements obligatoires qui n’ont pas, conformément à la jurisprudence constitutionnelle et administrative, un caractère fiscal 1044 , les cotisations sociales ouvrent droit à une contrepartie (la prestation sociale), ce qui permet de les différencier des prélèvements fiscaux affectés aux organismes de sécurité sociale tels la CSG. La compétence du législateur est en principe cantonnée à la fixation des caractéristiques de ces cotisations, qui relèvent des « principes fondamentaux de la sécurité sociale », au sens de l’article 34 de la Constitution. Le taux des cotisations est quant à lui fixé par décret et il n’existe pas d’autorisation annuelle de perception des cotisations sociales comme c’est le cas pour les impositions de toutes natures.

Jusqu’en 2004, les taxes parafiscales constituaient un type particulier de prélèvement recevant une affectation déterminée. Elles étaient perçues dans un intérêt économique ou social au profit d’une personne morale de droit public ou privé autre que l’Etat, les collectivités territoriales et leurs établissements publics administratifs. Assimilables à des impôts d’un point de vue économique, elles connaissaient un régime juridique particulier défini par l’article 4 de l’ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 1045 et précisé par le décret n° 80-854 du 30 octobre 1980 1046 . Les pouvoirs du Parlement y étaient plus réduits que pour les impositions de toutes natures, les caractéristiques de chaque taxe étant fixées par décret en Conseil d’Etat. En revanche, leur perception devait, à compter de l’année suivant celle de leur établissement, être autorisée chaque année par la loi de finances. Toutefois, depuis l’adoption de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, cette catégorie de prélèvements a disparu de notre droit positif, l’article 63 de la loi ayant prévu qu’« à défaut de dispositions législatives particulières » (qui ne sont pas intervenues), les taxes parafiscales ne seraient perceptibles que jusqu’au 31 décembre 2003.

Enfin, la redevance pour service rendu est une « somme demandée à des usagers en vue de couvrir les charges d’un service public déterminé ou les frais d’établissement ou d’entretien d’un ouvrage public qui trouve sa contrepartie directe dans des prestations fournies par le service ou dans l’utilisation de l’ouvrage » 1047 . Aux termes de l’article 5 de l’ordonnance du 2 janvier 1959, leur régime est intégralement réglementaire, ainsi peuvent-elle être créées par décret en Conseil d’Etat ou par délibération d’un conseil municipal.

Bien que ces catégories soient assez précisément définies, la qualification juridique des divers prélèvements ludiques actuellement en vigueur demeure très incertaine. D’abord parce que le contentieux des litiges relatifs à l’exploitation des jeux autorisés, d’importance limitée, nous fournit sur ces questions assez peu de renseignements. Ensuite par ce que le régime juridique de certains prélèvements ludiques ne permet pas de les faire entrer dans les catégories précédemment évoquées. Si, parmi ces prélèvements, quelques uns appartiennent assurément à la catégorie des impôts (A), d’autres, que la technique de qualification utilisée par le juge constitutionnel devrait nous amener à ranger également dans la catégorie des impositions de toutes natures, se distinguent néanmoins très nettement des impôts et des taxes fiscales. Ainsi est-on tenté de les inclure dans la catégorie, à l’existence parfois contestée 1048 , des prélèvements « quasi-fiscaux », notamment en raison du rôle important que joue le gouvernement dans la détermination de leur montant (B).

Notes
1037.

Nous nous sommes cependant permis de déroger à cette règle concernant le prélèvement progressif sur le PBJ des casinos, d’abord parce que la loi a longtemps utilisé le terme « impôt » pour désigner ce prélèvement, ensuite parce que la clarté de notre exposé en a été facilitée. Mais nous allons voir que son intégration à la catégorie des « impositions de toutes natures » peut être mise en doute.

1038.

J-J. Bienvenu et T. Lambert, Droit fiscal, 3ème éd., Paris, PUF, coll. Droit fondamental, 2003, n° 18s. et 80s ; L. Philip, Finances publiques, Paris, Cujas, 2000, t. II, n° 602s. ; M. Bouvier, Introduction au droit fiscal général et à la théorie de l’impôt, 3ème éd., Paris, LGDJ, coll. Systèmes, 2000, p. 22s. ; P-M. Gaudemet et J. Molinier, Finances publiques, 6ème éd., Paris, Montchrestien, coll. Domat Droit public, 1997, t. II, n° 1019s. L’appellation de ces catégories de prélèvements obligatoires est toutefois susceptible de varier d’un auteur à l’autre.

1039.

Article 34 alinéa 6 de la Constitution : « La loi fixe les règles concernant (…) l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ».

1040.

J-J. Bienvenu et T. Lambert, Droit fiscal, op. cit., n° 19.

1041.

Ibid., n° 20.

1042.

Toutefois, ces règles de compétence doivent être conciliées avec le principe de libre administration des collectivités locales (article 72 de la Constitution) qui permet à ces collectivités et à leurs groupements à fiscalité propre de fixer les taux des impôts locaux et de décider de certaines exonérations dans les limites tracées par le législateur. Sur ce point, voir J-J. Bienvenu et T. Lambert, Droit fiscal, op. cit., n° 87.

1043.

Ibid., n° 21.

1044.

CC n° 60-11 DC du 20 janvier 1961, Rec. 29.

1045.

JO 3 janvier 1959, p. 180.

1046.

JO 1er novembre 1980, p. 2556.

1047.

J-J. Bienvenu et T. Lambert, Droit fiscal, op. cit., n° 84.

1048.

L. Philip, Finances publiques, op. cit., p. 57, note 1.