Conclusion de la première partie

Saisi par lui sous des formes et des dénominations variées, le jeu semble bien être un objet autonome du droit positif donnant naissance à un régime juridique cohérent doté de caractéristiques propres. Aussi ne semble-t-il pas abusif de parler d’un « droit des jeux » ni d’une « maîtrise étatique du jeu », encore que l’existence de cette dernière reste à démontrer. L’étude des fondements juridiques des rapports de l’Etat au jeu, si elle a permis de mettre en avant l’opportunité d’une approche transversale du phénomène ludique, fut également le moyen de nous familiariser avec les problèmes que pose le jeu au droit et au politique.

Le jeu semble renvoyer le droit à son état de création humaine imparfaite et révéler les limites d’un système normatif dont la cohérence obéit à une logique parfois plus intuitive qu’objective. Quelle que soit la manière dont on l’envisage, le jeu demeure une opération juridique indéfinissable, ou plutôt, dont l’identification fait nécessairement appel à l’utilisation casuistique de critères subjectifs s’inspirant directement du discours sur le jeu et des caractères que la loi lui prête.

Forme de spéculation considérée par le droit – et partant, le politique – comme immorale, économiquement inutile et socialement dangereuse, le jeu n’en est pas moins profondément enraciné dans la nature humaine et, à l’évidence, il est totalement illusoire de vouloir l’en déloger. Le jeu n’est certes pas un besoin vital pour l’homme, mais il est une pratique sociale potentiellement criminogène dont le pouvoir – garant de l’ordre public – ne peut totalement se désintéresser. Aussi est-il nécessairement amené à s’interroger sur la manière dont les membres du corps social vont pouvoir satisfaire leur ludophilie et à trouver un juste équilibre entre jeu libre et jeu interdit.

Voilà pourquoi le jeu est en même temps stigmatisé par le droit et organisé par l’Etat. Mais ce schéma demeurerait simpliste et naïf si l’on ignorait que le jeu est une forme d’impôt indolore ainsi qu’une une pratique culturelle dont la gestion collective obéit souvent plus à une logique économique et financière qu’à des impératifs d’ordre public. Au terme d’un siècle de développement, la maîtrise étatique du jeu s’est institutionnalisée, le commerce du jeu s’est normalisé et les profits qu’il génère alimentent de manière significative les budgets publics et certains secteurs de l’économie nationale.

En ce sens, l’entreprise de jeu est une activité économique qui, en tant que telle, devrait obéir aux mécanismes de l’économie de marché dont la logique est inscrite dans notre droit. Or un système dans lequel les entrepreneurs de jeu sont discrétionnairement habilités par la puissance publique et qui pose des entraves à la libre circulation des prestations ludiques est en principe contraire à cette logique libérale. Le droit économique n’acceptera donc de considérer le jeu comme une activité à part entière et de justifier son contrôle par l’Etat que si ce dernier poursuit effectivement l’objectif de protection de l’ordre public par la limitation de l’offre de jeu. Ainsi les formes juridiques de la maîtrise étatique du jeu tendent-elles à ce que la puissance publique dispose des moyens lui permettant, non seulement de sélectionner les opérateurs de jeu, mais encore de déterminer la quantité d’offre de jeu dispensée sur le territoire.