§ 1 - L’agrément dans les casinos et les cercles

Le champ de l’agrément est en ces matières assez vaste (A) et la jurisprudence administrative nous renseigne assez précisément sur ses conditions d’octroi et de révocation (B).

A - Un vaste champ d’application

Les casinos et les cercles présentent, on l’a vu, de grandes similitudes. Il semble donc logique que l’agrément s’y applique de manière à peu près analogue. Ainsi, dans les deux cas, les membres du comité de direction, le personnel employé à titre quelconque dans les salles de jeux et les fabricants de cartes à jouer doivent être agréés par l’administration 1422 . Mais le monopole d’exploitation des machines à sous, dont sont collectivement titulaires les casinos, donne également lieu à la délivrance d’agréments inconnus des cercles.

L’article 3 de la loi du 15 juin 1907 dispose que « le directeur (du casino) et les membres du comité de direction et les personnes employées à un titre quelconque dans les salles de jeux sont agréées par le ministre de l’Intérieur » 1423 . Par ailleurs, l’article 8 décret du 22 décembre 1959 énonce que le directeur responsable « engage, rémunère et licencie directement, en dehors de toute ingérence étrangère, toute les personnes employées à un titre quelconque dans les salles de jeux » 1424 . Puis, l’article 12-V alinéa 1 de l’arrêté du 23 décembre 1959 précise que le directeur responsable et les membres du comité de direction sont agréés « sous réserve de ne point remplir des fonctions électives dans la commune siège de l’établissement ». Cette restriction au droit de chaque citoyen à exercer des fonctions électives 1425 peut paraître disproportionnée. En effet, le Code général des collectivités territoriales prévoit déjà, en son article L. 2541-17, que les « maires, les adjoints et les membres du conseil municipal ne peuvent prendre part aux délibérations et décisions relatives aux affaires dans lesquelles ils sont intéressés personnellement ou comme mandataires ». Ainsi le Conseil d’Etat a-t-il annulé la délibération par laquelle le conseil municipal de Megève avait donné son accord de principe concernant l’ouverture d’un casino, au motif que l’un des conseillers, adjoint au maire et chef du secrétariat des jeux de la société demanderesse, avait pris part au vote 1426 . Mais cette restriction paraît être la conséquence logique de l’article L. 231-6° du Code électoral d’après lequel « ne peuvent être élus conseillers municipaux dans les communes situées dans le ressort où ils exercent ou ont exercé leurs fonctions depuis moins de six mois (…) les entrepreneurs de services municipaux ». Enfin, l’article 15 de l’arrêté égrène la liste des documents au vu desquels le ministre prendra sa décision 1427 , et précise que l’octroi de l’agrément donne lieu à la délivrance d’une carte devant être renouvelée tous les dix ans.

Pour les cercles, l’article 21 de l’arrêté du 15 juillet 1947 impose, à quelques nuances près, les mêmes règles pour le recrutement et l’agrément des membres du comité des jeux et de tout employé des salles de jeu 1428 . Une liste de pièces, sensiblement analogue, est quant à elle prévue à l’article 22 1429 .

Assez logiquement, le Professeur Jean-Paul Négrin considère que, dans tous les cas où l’autorité administrative intervient dans le recrutement des agents d’un organisme privé qu’elle contrôle, l’autonomie de ce dernier « est d’autant plus réduite que cette intervention s’étend à des agents plus nombreux », même si la tutelle « porte uniquement – lorsqu’elle existe – sur le personnel de direction plus ou moins largement entendu » 1430 . Il faut donc croire que l’autonomie des cercles et casinos est des plus réduites car, outre la direction, l’agrément concerne également les ravitailleurs et valets de pied, les barmen, les agents de sécurité, les changeurs, les caissiers, les croupiers, les chefs de table et les chefs de partie.

En outre, comme tous les instruments utilisés dans les salles de jeux, les cartes à jouer sont minutieusement décrites par les textes et leur manipulation est strictement réglementée. Aussi les casinos et les cercles ne peuvent-ils se procurer des cartes qu’auprès de fabricants agréés par le ministre de l’Intérieur 1431 .

Il est cependant des instruments dont seuls les casinos ont la disposition et dont les caractéristiques techniques complexes rendent d’autant plus aigus les risques de fraude et de manipulation : les machines à sous. L’article 69-2 de l’arrêté du 23 décembre 1959 soumet à l’agrément du ministre : « 1° Les marques dénominatives de constructeurs sous lesquelles sont produites et commercialisées les machines (…) 1432  ; 2° Les sociétés qui auront la charge de leur commercialisation, de leur mise en service et de leur maintenance ; 3° Les organismes chargés par les casinos autorisés de gérer des tâches d’intérêt commun comme la centralisation des commandes et le financement groupé d’appareils dont les marques sont agréées ». Naturellement, ce sont les sociétés mentionnées au 2° de l’article, appelées « Sociétés de fourniture et de maintenance » (SFM), qui font l’objet du contrôle le plus serré dans la mesure où elles sont responsables de la mise au point des systèmes de contrôle inclus dans les machines, du réglage de leur taux de redistribution et, plus généralement, de leur maintenance 1433 .

On dit généralement de l’agrément que son octroi et sa révocation font place à un large pouvoir d’appréciation de l’administration 1434 . Cette affirmation semble devoir être nuancée, mais les seuls éléments jurisprudentiels dont nous disposons ne concernent que les administrateurs et les employés des salles de jeux, à l’exclusion des autres catégories de personnes agréées.

Notes
1422.

L’expression « personnel employé à un titre quelconque dans les salles de jeux » ne concerne que les périodes pendant lesquelles la salle de jeux est ouverte au public. Le personnel chargé de l’entretien de la salle de jeux en dehors des heures d’ouverture au public – heures pendant lesquelles les tables de jeu sensibles, comme la roulette, sont couvertes d’un caisson de bois cadenassé, empêchant de la sorte toute tentative de « trucage » des instruments de jeu – n’a pas à être agréé.

1423.

Le silence gardé pendant plus de quatre mois sur la demande d’agrément vaut décision de rejet (article 8 du décret du 22 décembre 1959). L’exercice des fonctions de direction en l’absence d’agrément est elle aussi punie des peines portées aux article 1er et 3 de la loi du 12 juillet 1983 (article 5 de la loi du 15 juin 1907). Pour les autres employés, en revanche, la sanction de l’inobservation de cette règle réside dans la révocation de l’autorisation et non dans la sanction pénale prévue à l’article 5 de la loi du 15 juin 1907, ainsi qu’en avait décidé la chambre criminelle de la Cour de cassation pour l’ensemble du personnel des jeux (direction comprise) avant que la loi ne soit modifiée sur ce point (Crim. 2 avril 1957 [Crouail et autres], D. 1957.J.393).

1424.

Cet article ajoute que, dans l’hypothèse où la composition du comité de direction serait affectée par un ou plusieurs décès ou démissions, la nomination d’un administrateur provisoire spécialement agréé à cet effet peut être décidée par le ministre de l’Intérieur, de sorte que la continuité du fonctionnement régulier du casino n’en soit pas affectée.

1425.

Article L. 144 du Code électoral : « Tout français et toute française ayant la qualité d’électeur peut faire acte de candidature et être élu, sous réserve des cas d’incapacité ou d’inéligibilité prévus par la loi ».

1426.

CE 9 janvier 1952 [Sieur Vidal], préc.

1427.

« Une notice individuelle remplie de la main du postulant et comportant une photographie récente ; une photographie d’identité récente ; une carte électorale récente ou une attestation du maire établissant qu’il est inscrit sur la liste électorale ou en a fait la demande si le postulant est de nationalité française ; dans le cas où il est ressortissant d’un Etat de l’Union européenne tout document permettant d’établir qu’il jouit de ses droits civils et politiques ; un extrait de son casier judiciaire remontant à moins de deux mois ».

1428.

La durée de l’agrément n’est pas limitée par les textes et ceux-ci ne prévoient aucune forme d’inéligibilité. Par ailleurs, la loi du 30 juin 1923 ne renvoyant pas à la loi du 12 juillet 1983 concernant la sanction de l’inobservation de cette règle, celle-ci réside logiquement dans l’abrogation de l’autorisation de jeu.

1429.

« Une notice individuelle remplie à la main, signée personnellement par lui et accompagnée d’un photographie d’identité ; une pièce établissant qu’il est majeur, Français et jouit de ses droits civils et politiques ; un extrait de casier judiciaire remontant à moins d’un mois ; un certificat de bonne vie et mœurs (sic) remontant également à moins d’un mois » (c’est nous qui soulignons). La réglementation des casinos a longtemps exclu les étrangers du personnel des jeux mais les lois n° 77-584 du 9 juin 1977 (JO 10 juin 1977, p. 3187) et n° 93-1420 du 31 décembre 1993 (JO 1er janvier 1994, p. 18) sont heureusement intervenues pour permettre à tout ressortissant de l’Union d’être employé par ces établissements. Tel ne semble pas être le cas de la réglementation des cercles qui sur ce point est contraire à l’article 39 du Traité instituant la Communauté européenne relatif à la libre circulation des travailleurs.

1430.

J-P. Négrin, L’intervention des personnes morales de droit privé dans l’action administrative, op. cit., p. 225.

1431.

Les conditions de délivrance de cet agrément ne sont pas décrites par les textes. On retiendra que dans les deux types d’établissements les jeux de cartes, groupés ou non en sixains (dans les casinos, ceux-ci sont numérotés et le nombre maximal de sixains dont ils disposent est fixé par le ministre de l’Intérieur), sont rangés dans une armoire placée en évidence dans la salle de jeux et dont la clé est conservée par un membre du comité. La destruction des cartes usagées ne peut être opérée qu’en présence d’un fonctionnaire de police (articles 40 de l’arrêté du 23 décembre 1959 et 45 de l’arrêté du 15 juillet 1947).

1432.

S’agit-il là d’une homologation ou d’un véritable agrément ? Certes c’est une chose qui est agréée, mais, contrairement à l’homologation, l’autorisation porte ici, non pas sur un produit déterminé quel que soit son fabricant, mais sur toute la gamme des produits susceptibles d’être commercialisés par une marque, indépendamment des caractéristiques de chaque produit. Peut-être cette nuance s’explique-t-elle par le fait qu’il n’existe aucun fabricant français de machines à sous, car au fond, derrière la marque, c’est donc bien au constructeur qu’est octroyé l’agrément, ce que confirme d’ailleurs la liste des pièces à fournir. Parmi elles figurent les documents présentant le statut juridique de la « société demanderesse » et celui du groupe auquel elle appartient éventuellement ainsi que sa situation financière, le curriculum vitae de ses principaux dirigeants et, éventuellement, ceux de la société mère, la présentation technique de chacun des modèles de machines commercialisées ainsi que le contrat passé avec les sociétés chargées de leur distribution (article 69-3 de l’arrêté du 23 décembre 1959).

1433.

Article 69-6 de l’arrêté du 23 décembre 1959. C’est l’article 69-5 de l’arrêté qui détermine le contenu du dossier de demande d’agrément. On y trouve notamment, outre la présentation du statut juridique de la société demanderesse et du groupe auquel elle appartient éventuellement, un « état indiquant la composition du ou des organes de direction », « la balance ou la situation des comptes de la comptabilité commerciale, accompagnée du procès-verbal de la dernière assemblée générale ordinaire des actionnaires », « une fiche signalétique de chaque correspondant local de la société », « une présentation succincte des modèles de machines » prises en charge, enfin, concernant les dirigeants et leurs collaborateurs, « une notice individuelle remplie de la main du postulant » et « un extrait de son casier judiciaire remontant à moins de deux mois ».

1434.

C. Bertrand, L’agrément en droit public, op. cit., n° 219 ; J. Georgel, « L’agrément administratif », art. cit., p. 476.