§ 2 - Les autres personnes chargées du contrôle des opérations de jeu

D’autres personnes exercent encore une forme de contrôle des opérations de jeu. Nous pensons ici à deux hypothèses. La première est particulière et assez marginale : elle concerne tous ceux qui, à côté des représentants de l’administration publique d’Etat, sont susceptibles d’exercer un contrôle sur les casinos et les cercles. L’autre hypothèse est plus générale et beaucoup moins négligeable : il s’agit des opérateurs de jeu eux-mêmes.

L’article 90 de l’arrêté du 23 décembre 1959 établit, nous l’avons vu, une liste assez longue de personnes qui ont « qualité, à l’exclusion de tous autres agents de l’Etat, pour exercer une mission de surveillance et de contrôle sur le fonctionnement des jeux dans les casinos ». Elles ont un libre accès à tous les locaux du casino dont les représentants « sont tenus de se soumettre à leur contrôle et de se prêter à toutes leurs investigations ». Nous les avons déjà presque toutes évoquées 1552 , mais il en reste encore : il s’agit du comptable municipal ainsi que du maire et de ses adjoints, dont le contrôle concerne plus particulièrement l’exécution du cahier des charges.

Mais ce n’est pas tout. A côté de la liste de l’article 90 en figure une autre à l’article 30 de l’arrêté. Elle recouvre « les divers fonctionnaires de l’ordre administratif ou judiciaire appelés, en vertu de leurs attributions, à exercer une surveillance ou un contrôle dans les salles de jeux ». Ces agents peuvent y pénétrer sans être astreints à la présentation d’une carte d’entrée payante. Bien sûr, leurs prérogatives sont moindres, mais la direction du casino est tout de même tenue de donner à ses employés « les instructions nécessaires pour que le libre accès de tous les locaux dépendants de l’établissement (leur) soit accordé immédiatement » 1553 . Ainsi les personnes qui disposent de ce libre accès sont : le directeur général de la sûreté nationale, le directeur, le sous directeur et le chef de bureau qui ont, dans leurs attributions, le service des jeux, les membres de l’inspection générale de l’administration, les magistrats du parquet et les juges d’instruction appartenant aux cours ou tribunaux ayant dans leur ressort la commune où est situé le casino, le directeur de la comptabilité publique, le sous-directeur et le chef de bureau qui ont, dans leurs attributions, le service des jeux, les fonctionnaires de l’enregistrement chargés de veiller à l’apposition des timbres mobiles sur les cartes d’entrée dans les salles de jeux et tous autres fonctionnaires spécialement désignés par le ministre de l’Intérieur et le ministre des Finances 1554 .

En outre, et la chose ne nous semble pas devoir être négligée, le public est parfois associé au contrôle de la régularité du jeu dans les casinos. Pour commencer, il est deux moment de la vie quotidienne des salles de jeux traditionnels qui sont drapés d’une certaine solennité : la mise en service des tables, et la comptée. Lors de la mise en service est apportée à chaque table « une boîte spécialement prévue à cet effet et ne pouvant contenir que le nombre de jetons et de plaques correspondant à l’encaisse ». Les jetons et plaques sont alors étalés sur la tables, comptés et vérifiés par le croupier qui appelle la somme reconnue à haute voix. A la fin de la séance, l’encaisse, à laquelle auront pu être faites des avances en cours de partie, est à nouveau vérifiée, comptée et appelée à haute voix avant d’être inscrite sur le carnet d’avances. Entre ces deux moments, espacés d’une douzaine d’heures, l’argent circule sans contrôle (ce qui explique d’ailleurs les précautions extrêmes entourant l’exploitation des jeux) et ce n’est qu’au moment de la comptée que le casino établit l’état de ses gains et de ses pertes. C’est aussi à ce moment que les risques de fraude peuvent paraître particulièrement aigus. Assistent donc obligatoirement à la mise en service de chaque table le directeur responsable ou un membre du comité de direction, auxquels s’ajoutent, lors de la comptée, les employés de la table et un caissier. Mais à toutes ces personnes la réglementation des jeux ajoute une dernière catégorie de « contrôleurs » qui doit obligatoirement pouvoir assister, si elle le souhaite, à ces opérations : le public. Il faut bien sûr s’être auparavant acquitté du droit d’entrée dans les salles de jeux, mais cette formalité une fois accomplie, le personnel des jeux ne peut s’opposer à sa présence jusqu’à l’issue complète de la comptée. C’est la raison pour laquelle les sommes sont toujours appelées à haute voix, et, la réglementation des jeux précisant que, lors de la comptée, la somme constatée est « inscrite sur le carnet d’avances devant le public », c’est justement pour que celui-ci puisse s’assurer que la somme inscrite correspond bien à la somme annoncée 1555 . Il en va de même de la manipulation des sixains de cartes neuves qui ne peuvent être décachetés qu’à la table de jeu, où « le public est appelé auparavant à vérifier si la bande de contrôle est intacte » 1556 .

Enfin, les opérateurs de jeu et leurs agents sont les premiers garants, en tant qu’organisateurs du jeu ou de son support, de la régularité et de la sécurité des jeux. C’est au fond leur mission première et les textes, comme la jurisprudence, y font souvent référence. Ainsi l’article 12-I alinéa 3 de l’arrêté du 23 décembre 1959 dispose que « lorsque le casino est également autorisé à exploiter les machines à sous, un des membres du comité de direction est plus spécialement chargé de leur contrôle 1557 », ce qui implique bien que c’est là une mission cardinale du comité de direction des jeux. Mais c’est aussi la mission de tout employé de jeu : dans un arrêt Guelfucci du 21 août 1996 1558 le Conseil d’Etat a estimé que le requérant, chef de tables, était chargé de « surveiller le bon déroulement des jeux à sa table ». Les exemples abondent : les sociétés mères de courses de chevaux « veillent au respect des prescriptions » des codes des courses 1559 , les sociétés de courses de lévriers sont soumises au « contrôle des agents du ministère de l’Agriculture et de la fédération des sociétés de courses  » 1560 , sans parler de la mission naturelle des commissaires et juges des courses mandatés par les sociétés organisatrices 1561 . Pour finir, on peut encore évoquer les règlements des trois paris mutuels qui tous précisent que les préposés à l’enregistrement et à la centralisation des paris, à la ventilation des enjeux, au calcul et au paiement des gains contrôlent la régularité de ces opérations et veillent au respect de la législation et de la réglementation en vigueur 1562 .

Organisation et contrôle du jeu vont donc nécessairement de pair. Mais au-delà de cette association « naturelle », l’organisation du jeu, telle qu’elle résulte de la volonté étatique, est faite de telle sorte que nombre d’opérations mobilisent, outre la présence plus ou moins ponctuelle des agents publics contrôleurs, celle de plusieurs employés des opérateurs de jeu, ce qui complique logiquement les entreprises de fraude auxquelles devront prendre part autant de personnes. Dans les casinos, la présence simultanée, lors de la comptée, d’un membre de la direction, de l’employé de la table concernée et d’un caissier constitue un bon exemple pour illustrer ce système de contrôles croisés. Si l’on généralise un peu, on constate que le fonctionnement de ces établissements ne repose finalement que sur un réseau de contrôles : les joueurs sont contrôlés par les croupiers, les croupiers par les chefs de tables, les chefs de table par les chefs de partie, les chefs de partie et les caissiers par les membres de la direction, tous ces professionnels étant eux-mêmes contrôlés par les agents publics et les joueurs. Si ces réseaux de contrôle apparaissent dans toute leur évidence en matière de casinos, ils sont aussi observables dans les autres secteurs de jeu. Il suffit de penser, par exemple, à l’architecture de l’institution des courses de chevaux. Ces mécanismes garantissent-ils pour autant l’absence absolue de fraudes et de tricheries ? Bien sûr que non, mais l’éventuelle corruption de certains opérateurs de jeu ou de leurs employés ne modifie en rien leur statut juridique : ils sont à la fois objet du contrôle et contrôleurs eux-mêmes, c’est là toute la spécificité de leur fonction.

Peut-on dire de ces opérateurs de jeu qu’ils prennent part à la police des jeux ? C’est un des objectifs de notre travail que de le déterminer. On sait que le pouvoir de police ne peut être concédé à un particulier et que l’administration ne peut se dessaisir de ses compétences en ce domaine 1563 , principe confirmée par la jurisprudence constitutionnelle 1564 . En revanche, plus délicate est la question de savoir si une personne privée peut être simplement associée à l’exercice d’un pouvoir de police (adoption d’actes juridiques ou activités matérielles) sans que l’administration ne se soit dessaisie de sa compétence. Dans sa thèse relative à L’intervention des personnes morales de droit privé dans l’action administrative, le Professeur Négrin relève de nombreux domaines dans lesquelles un tel phénomène est observable : la chasse, la pêche, les chemins de fer, les courses de chevaux, les appareils à vapeur ou encore la colombophilie 1565 .

Même si les divers fondements législatifs du jeu autorisé ne prévoient pas expressément la participation des opérateurs de jeu à l’exercice de la police des jeux, tel est en revanche le cas des actes réglementaires en faisant application. Ainsi en est-il des actes matériels de contrôle de la régularité du jeu envisagés plus haut. De même peut-on supposer que la procédure d’adoption du règlement du pari mutuel sur les courses de chevaux fait participer le PMU à l’adoption d’une mesure de police. En effet, ce règlement est arrêté par les ministres de l’Agriculture et du Budget sur proposition du PMU 1566 , procédure qui – nous le verrons plus loin – fait de ce dernier le co-auteur de l’acte. Dans ce cas, pour reprendre l’heureuse formule du professeur Chevallier, les opérateurs de jeu seraient « associés au service public » de la police des jeux, quant à savoir si l’on peut parler d’un service public de l’organisation du jeu, c’est dans le titre II de cette partie que nous nous intéresserons plus particulièrement à cette question. Mais auparavant, il nous sera possible d’envisager un peu plus précisément les éléments de la participation des opérateurs de jeu et de leurs collaborateurs au contrôle des opérations de jeu. Ainsi en est-il, par exemple, de l’établissement des règles du jeu ou de son support, élément primordial des conditions générales de fonctionnement des jeux.

Notes
1552.

Le préfet, le sous-préfet, les fonctionnaires du ministère de l’Intérieur affectés au service central des courses et jeux ou dans un service local des renseignements généraux, les inspecteurs des finances, le trésorier-payeur général, le receveur des finances ou le trésorier principal et le comptable du Trésor.

1553.

Article 31 de l’arrêté du 23 décembre 1959.

1554.

L’article 30 reprend également la liste des agents cités à l’article 90 mais nous avons préféré mettre l’accent sur les personnes ignorées par nous jusqu’alors. La séparation entre les deux catégories de contrôleurs se retrouve également dans l’arrêté du 15 juillet 1947 relatif aux cercles (articles 60 et 61). Les personnes disposant d’un accès libre y sont les mêmes à l’exception des agents spécialisés dans les contrôles financiers et comptables, à savoir : le directeur de la comptabilité publique, les inspecteurs généraux des finances, le trésorier-payeur général du département, le receveur des finances ou le trésorier principal de l’arrondissement, le comptable municipal de la commune d’accueil et les fondés de pouvoir de tous les comptables, les fonctionnaires de l’enregistrement chargés de veiller à l’apposition des timbres mobiles sur les cartes d’entrée, et, enfin, tous fonctionnaires désignés par le ministre de l’Economie et des Finances mais les personnes concernées.

1555.

Article 44 de l’arrêté du 23 décembre 1959 : « A la fin de la séance, l’encaisse est vérifiée, comptée, appelée à haute voix et inscrite sur le carnet d’avances devant le public et en présence des employés de la table, d’un caissier et du directeur responsable ou d’un membre du comité de direction (…). Ces différentes formalités doivent être accomplies assez lentement pour que les assistants puissent les suivre dans tous leurs détails ».

1556.

Article 41 de l’arrêté du 23 décembre 1959.

1557.

C’est nous qui soulignons.

1558.

Préc.

1559.

Article 12-II alinéa 4 du décret du 5 mai 1997.

1560.

Article 2 du décret du 20 octobre 1983.

1561.

Article 12-III alinéa 2 du décret du 5 mai 1997 (chevaux), article 1.2 du code français des courses de lévriers approuvé le 14 juin 1979 (lévriers) et article 5 de l’arrêté du 11 décembre 2001 (pelote basque).

1562.

Article 9 de l’arrêté du 26 mai 1993 portant règlement du pari mutuel sur les courses de lévriers (JO 14 août 1993), article 8 de l’arrêté du 13 septembre 1985 portant règlement du pari mutuel sur les courses de chevaux (JO 18 septembre 1985, p. 10714) et article 7 de l’arrêté du 11 décembre 2001 portant règlement du pari mutuel sur les parties de pelote basque.

1563.

Y. Gaudemet, Traité de droit administratif, op. cit., n° 1506 ; CE 23 mai 1958 [Amoudruz], Rec. 302 (à propos de la concession par une commune de l’exploitation d’une plage, la municipalité devant conserver la responsabilité de la sécurité des baigneurs) ; CE 1er avril 1994 [Commune de Menton], EDCE 1994.266 (à propos de l’impossibilité de déléguer par contrat la gestion du stationnement payant sur la voie publique à une personne privée).

1564.

CC 92-307 DC 25 février 1992, Rec. 493. Voir sur ce point T-M. David-Pecheul, « La contribution de la jurisprudence constitutionnelle à la théorie de la police administrative », RFDA 1998, pp. 372-373.

1565.

J-P. Négrin, L’intervention des personnes morales de droit privé dans l’action administrative, op. cit., p. 107.

1566.

Article 39 du décret du 5 mai 1997.