Section 1 - Les casinos et le service public

La théorie générale des contrats publics constitue le cadre de la relation entre l’activité des casinos et la notion de service public 1689 . La question était initialement de savoir quelle était la nature des actes contractuels liant les établissements de jeu à leur commune d’accueil et, partant, quel était le juge compétent pour trancher les litiges découlant de leur exécution. Peu à peu, la nature administrative des concessions de casinos fut admise. Parmi ces contrats, le juge administratif identifia d’abord, à partir 1931, des concessions de travaux publics 1690 . Plus tard, par un arrêt 25 mars 1966 Ville de Royan le Conseil d’Etat reconnut clairement, et pour la première fois, que le contrat liant la municipalité au casino était une concession de service public 1691 . Certes, dans une décision, ignorée de la doctrine, du 28 juin 1918, le Conseil d’Etat avait déjà vu dans le contrat liant la commune de Bagnères-de-Luchon à l’exploitant du casino municipal une convention de cette nature. Mais celle-ci avait autant pour objet l’exploitation des jeux que la gestion de l’établissement thermal de la ville, activité relevant du service de la santé publique. Dès lors, cette solution d’espèce ne peut être retenue ici comme significative, la concession des jeux y apparaissant comme accessoire 1692 .

Si l’on en vint rapidement à considérer, à partir de 1966, que la plupart des concessions de casinos étaient des contrats administratifs, leur nature de concessions de service public n’apparaissait pas pour autant automatique 1693 . Ainsi, lorsque, dans son avis du 4 avril 1995, la section de l’intérieur du Conseil d’Etat vit dans le cahier des charges fixant les obligations du casino une concession de service public, elle précisa que ce ne pouvait être qu’à la condition que les activités de jeu « concourent au développement touristique des communes concernées » et dans la mesure où « ce dernier objectif trouve sa concrétisation » dans le document contractuel 1694 . Mais une dernière étape semble avoir été récemment franchie par la juridiction suprême. Dans une décision Commune de Ramatuelle, rendue le 3 octobre 2003, elle a, au détour d’une phrase, qualifié les concessions de casinos de « délégations de service public » alors que rien ne l’y obligeait (le litige ne portait pas sur la qualification du contrat) et sans même s’interroger sur la contribution de l’établissement au développement touristique de la commune 1695 . Il semble dès lors bien que, d’après le Conseil d’Etat, tous les casinos français établis conformément à la loi du 15 juin 1907 soient des concessionnaires de service public.

Les casinos sont certes des exploitants de jeu mais en tant qu’établissements de restauration et de spectacle et dans la mesure où ils réalisent de lourdes dépenses d’équipement, ils participent de manière déterminante au développement touristique des communes qui les accueillent. Comme l’a relevé la section de l’intérieur du Conseil d’Etat dans son avis du 4 avril 1995, cette contribution était l’un des objectifs du législateur de 1907, mais celle-ci nous semble avoir réellement pris toute son ampleur à mesure que fut édifié le système des prélèvements pesant sur les établissements de jeu avec son cortège de déductions forfaitaires et de dépenses obligatoires. Ainsi la reconnaissance progressive de la nature administrative des concessions de casinos puis de leur qualification de délégations de service public (§ 1) semble pouvoir être associée à l’évolution de la fiscalité des casinos (§ 2).

Notes
1689.

Voir sur ce thème les articles de Franck Moderne (« Les concessions de casinos municipaux » in Les Cahiers Espace, « casinos et tourisme », n° 38, 1994, pp. 99-112) et Benoît Jorion (« Les délégations de casinos », Dr. adm. 2005, n° 1, pp. 6-10) dont les réflexions nous ont en grande partie inspiré.

1690.

CE 1er mai 1931 [Giacomi c/ ville de Chamonix], Rec. 463.

1691.

CE 25 mars 1966 [Ville de Royan et SA de Royan et sieur Couzinet], Rec. 237.

1692.

CE 28 juin 1918 [Société générale thermale et balnéaire], D. 1918.III.30, note anonyme. Voir également, toujours à propos du même contrat : CA Toulouse 19 févr. 1919 [Sté thermale des Pyrénées c/ commune de Bagnères-de-Luchon], S. 1922.II.89, note Mestre.

1693.

F. Moderne, « Les concessions de casinos municipaux », art. cit., p. 108.

1694.

Conseil d’Etat, section de l’Intérieur, avis n° 357 274 du 4 avril 1995, préc.

1695.

CE 3 octobre 2003 [Commune de Ramatuelle], préc.