§ 2 - Une liaison possible entre l’évolution de la fiscalité des casinos et l’appréciation des juges

Il peut sembler opportun de mettre en relation les grandes dates de l’évolution jurisprudentielle que nous venons de retracer et celles correspondant aux mutations notables de la fiscalité des casinos. Si l’on constate alors une ou deux correspondances intéressantes, il peut sembler excessif d’en déduire une relation de cause à effet. Aussi laissons-nous au lecteur le soin d’y voir l’effet d’une pure coïncidence ou le symptôme d’une liaison possible.

A l’origine, la contribution des casinos au financement d’installations touristiques et à l’animation culturelle des communes sièges était exclusivement fixée par le cahier des charges et, partant, librement négociée entre les parties. Les dépenses d’équipement visées par les documents contractuels portaient principalement sur la construction du casino et l’aménagement de ses abords de sorte que le concessionnaire, son établissement une fois opérationnel, n’était plus censé financer de dépenses d’équipement. C’est sans doute la raison pour laquelle la nature administrative des concessions de casinos fut d’abord reconnue à travers l’identification de travaux publics (1931) 1727 et que la question de la nature du contrat restait largement indéterminée dès lors qu’était seule en cause l’exploitation de l’établissement.

Mais la participation des casinos au développement touristique des communes d’accueil fut progressivement encadrée par le législateur. Ainsi le régime fiscal des casinos, qui, au départ, était essentiellement relatif au prélèvement de l’Etat sur le produit brut des jeux, fut enrichi en 1932, d’une déduction pour frais de spectacles et dépenses d’édilité et d’embellissement 1728 . Toutefois, à peine deux ans plus tard, cette déduction devint forfaitaire et automatique. Aussi n’est-ce qu’après la Libération que la contribution régulière des casinos au financement d’installations touristiques et à l’animation culturelle des communes sièges fut prévue par la loi. Trois dates sont alors à retenir : en 1947 est instituée une déduction supplémentaire pouvant aller jusqu’à 8 % du produit brut des jeux, elle doit correspondre à l’excédent de dépenses résultant de l’organisation de « manifestations artistiques de qualité » 1729 . A partir de 1961, cette déduction peut être portée à 10 % du produit des jeux et couvrir deux types de frais : l’organisation de « manifestations artistiques de qualité », d’une part, et l’acquisition, l’équipement ou l’entretien d’installations hôtelières ou thermales, d’autre part 1730 . Mais surtout, l’article 24-I de la loi du 3 avril 1955 institua ce mécanisme curieux grâce auquel les casinos doivent affecter 50 % de leurs recettes supplémentaires dégagées par l’application du nouveau barème de l’impôt progressif (plus avantageux) à des « travaux d’investissement destinés à l’amélioration de l’équipement touristique », ceux-ci portant généralement sur des biens communaux ou destinés à le devenir.

C’est donc à partir de la fin des années 1940 et surtout à partir de 1955 que les casinos, en tant qu’entrepreneurs de spectacles et financeurs de biens d’équipement, sont associés de manière permanente et régulière au développement touristique des communes sièges. Or, c’est à la même époque que les juges commencèrent à voir dans les dispositions contractuelles relatives à l’exploitation des casinos soit des clauses exorbitantes du droit commun soit la participation du concessionnaire à une activité de service public. Tel fut le cas du Tribunal des conflits dans deux arrêts de 1955 et 1962 1731 , de la chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt de 1956 1732 , de la cour d’appel de Rouen en 1957 1733 et du Conseil d’Etat dans les années 1960 1734 .

Si les juges ont fini par reconnaître que les casinos sont des collaborateurs du service public, jamais ils ne le firent concernant les activités des sociétés de courses de chevaux.

Notes
1727.

CE 1er mai 1931 [Giacomi c/ ville de Chamonix], préc.

1728.

Articles 23 à 25 de la loi de finances du 31 mars 1932.

1729.

Article 59 de la loi du 8 août 1947.

1730.

Article 72 de la loi du 21 décembre 1961. Rappelons que ce dispositif, bien qu’inchangé dans ses grandes lignes, été remanié par l’article 34 de la loi du 30 décembre 1995.

1731.

TC 13 juin 1955 [Sieur Stanesco c/ commune d’Amélie-les-Bains-Palalda] et TC 28 mai 1962 [Société immobilière et thermale pour le développement des stations françaises c/ société fermière du casino municipal de Cannes et ville de Cannes], préc.

1732.

Civ. 1ère 30 mai 1956 [Sté fermière du Casino Municipal de Nice et autres c/ Ville de Nice] préc. Certes, c’est principalement au regard des clauses du contrat (signé en 1879) relatives aux travaux initiaux financés par le concessionnaire des jeux que la Cour a décliné sa compétence. Mais, contrairement à l’appréciation qu’elle avait porté sur cette affaire en 1929, où elle avait affirmé qu’« on ne saurait assimiler la concession de l’exploitation d’un casino (…) à une concession de service public », la Cour déclare dans ce nouvel arrêt que le casino, « dont la caractère de service public n’est pas établi » (autrement dit, il peut l’être), peut « concourir à la prospérité de la ville ».

1733.

CA Rouen 1er février 1957 [Sté du Casino et des Bains de mer de Dieppe c/ Ville de Dieppe], préc.

1734.

CE Section 10 décembre 1965 [SA d’exploitation du nouveau casino municipal de Menton], CE 2 avril 1965 [Société immobilière et thermale pour le développement des stations françaises], CE 25 mars 1966 [Ville de Royan et SA de Royan et sieur Couzinet], préc.