§ 2 - La question de la satisfaction d’un service d’intérêt économique général (article 86 CE)

La notion communautaire de service d’intérêt économique général (SIEG) et la notion française de service public, si elles ne se recoupent pas complètement, présentent tout de même un certain nombre de points communs. La qualification de SIEG, qui ne peut concerner que des activités de nature économique, a ainsi pu être reconnue à un grand nombre d’activités qui, en droit interne, sont rangées parmi les services publics industriels et commerciaux ; ainsi en est-il de la fourniture de gaz et d’électricité, de la distribution d’eau ou de certains services de transport. Une fois parées de cette qualité ces activités peuvent, en vertu de l’article 86-2 du Traité CE, déroger aux règles de la concurrence, mais seulement à la condition que l’application des règles du Traité fasse obstacle à l’accomplissement de leur mission d’intérêt général.

Si l’on admet avec le Professeur Kovar que « la ligne de démarcation entre les activités qui ne relèvent pas de l’application des règles de concurrence et celles qui lui sont assujetties passe, en quelque sorte, à travers la notion de service public » 1860 , il semblerait alors logique que l’activité économique que constitue l’exploitation des jeux, qui pour l’heure peut être totalement soustraite aux règles de la concurrence, entretienne une relation particulière avec cette notion. Dans l’hypothèse contraire, comment expliquer que des activités telles que l’électricité ou les télécommunications – qualifiées en droit interne de services publics industriels et commerciaux – soient en grande partie soumises aux règles de la concurrence, tandis que l’exploitation des jeux, qui elle ne l’est pas, échappe totalement à l’application de ces règles ?

Il est vrai, le secteur des jeux présente de fortes particularités. Si l’intérêt général exige la régulation de ce secteur pour des raisons assez compréhensibles de maintien de l’ordre public, en revanche, on peut hésiter quant à l’existence d’une « mission d’intérêt général » dont seraient en charge les opérateurs de jeux. En effet, la qualification de SIEG et la soustraction de l’activité concernée aux règles de la concurrence ont généralement pour objectif la satisfaction de besoins vitaux du public dans des conditions qui ne compromettent pas trop la santé financière des entreprises qui en ont la charge. Or en matière de jeux, le caractère vital des besoins du public peut être sérieusement contesté, quant à la santé financière des opérateurs de jeux, elle ne dépend que de la volonté des pouvoirs publics qui déterminent librement l’assiette et le taux des prélèvements sur les différentes opérations de jeu, dont la rentabilité initiale ne fait aucun doute.

Pour autant, tout lien entre activité d’exploitation des jeux et service public n’est pas à exclure. Ainsi la directive du Conseil du 16 juin 1975 relative à des mesures destinées à favoriser l’exercice effectif de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services pour diverses activités a-t-elle affirmé que « les activités de loterie et les activités analogues (…) relèvent fréquemment du domaine des services publics, soit directement, soit par l’intermédiaire d’organismes publics », et qu’en conséquence un certain nombre de ces activités n’entrent pas dans le champ d’application du présent texte 1861 .

On peut également constater, avec les Professeurs Dubouis et Blumann, qu’en pratique, une situation de monopole découlant de l’octroi de droits exclusifs conduit presque automatiquement l’organisme qui en est titulaire à tomber sous le coup de l’article 82 punissant les abus de position dominante. Dans ces situations il y aurait une « présomption d’abus de position dominante » qui ne pourrait, la plupart du temps, « être corrigée que par les missions d’intérêt général ou le service d’intérêt économique général dont se voit chargée l’entreprise en situation de monopole », un « lien presque consubstantiel » serait ainsi établi entre les paragraphes 1 et 2 de l’article 86 1862 . Or, les situations de monopole sont très fréquentes en matière de jeux.

Les différentes affaires dont la CJCE a eu à connaître et dont nous avons rapporté le contenu ont toutes été placées sur le terrain de la libre prestation de services et, accessoirement, sur celui de la liberté d’établissement. Les règles contenues dans le chapitre sur la concurrence n’ayant pas été mobilisées, la Cour n’a pas eu à se prononcer sur l’applicabilité de l’article 86-2 relatif au SIEG. Cela ne l’a toutefois pas empêché de déclarer que l’octroi de droits exclusifs pouvait en ce domaine être compatible avec le droit communautaire. Ainsi dans l’affaire Läärä la Cour a considéré que l’établissement d’un monopole d’exploitation et de fabrication des machines à sous au profit d’un organisme de droit public constituait une « mesure certainement plus efficace (que la taxation des opérateurs de jeu dans le cadre d’une réglementation non exclusive) pour assurer, en raison des risques de délit et de fraude, une stricte limitation du caractère lucratif des telles activités » 1863 . De même, si dans l’affaire Zenatti la Cour n’a pas fait mention de l’existence de droits exclusifs, relevant simplement que la législation italienne « réserve à certains organismes le droit de collecter des paris » 1864 , il n’est pas indifférent de relever que lesdits organismes sont au nombre de…deux : le CONI, qui peut seul organiser des concours de pronostics sur les compétitions sportives, et l’UNIRE, seul compétent pour concéder le droit de collecter des paris sur les courses de chevaux, de sorte que, finalement, chacun d’eux bénéficie d’un monopole particulier 1865 . Rappelons enfin que dans l’affaire Anomar, la Cour a considéré que « le choix des modalités d’organisation et de contrôle des activités d’exploitation et de pratique des jeux de hasard ou d’argent (…) incombe aux autorités nationales dans le cadre de leur pouvoir d’appréciation » 1866 , ce qui suppose donc que ces dernières peuvent librement accorder des droits exclusifs. A cet égard, la législation portugaise est d’une clarté exemplaire puisque l’article 9 du décret-loi n° 422/89 dispose que « le droit d’exploiter des jeux de hasard ou d’argent est réservé à l’Etat » 1867 .

Les règles contenues dans le chapitre consacré à la libre concurrence n’ont toutefois pas été totalement ignorées des différentes affaires soumises à l’examen de la Cour en matière de jeux. C’est ainsi que l’un des « fleurons » du secteur français des jeux, le PMU, a vu sa position remise en cause devant la Commission puis devant le Tribunal de première instance (TPI) et la Cour de Justice par Ladbroke Racing Ltd, première agence de prise de paris au Royaume-Uni. En effet si les marchés ludiques nationaux demeurent en principe cloisonnés, l’organisation de paris sur les courses hippiques donne lieu depuis quelques années à des prestations transfrontières de fourniture d’images, de données et de paris. A ce titre, tout en conservant ses droits exclusifs sur le marché français, le PMU manifeste, depuis 1989, une volonté évidente d’étendre ses activités en dehors de la France 1868 et c’est notamment en concluant des accords en Allemagne et en Belgique qu’il est entré directement en concurrence avec la société Ladbroke, également implantée dans ces pays par l’intermédiaire de ses filiales.

Certaines des plaintes déposées par Ladbroke ne présentent ici aucun intérêt. Ainsi en est-il de celle qui fut dirigée contre l’Etat français sur la base des articles 87 à 89 du Traité relatifs aux aides d’Etat 1869 . Tel est encore le cas de deux autres plaintes relatives à des accords passés par le PMU avec des opérateurs étrangers, le premier avec le PMU belge 1870 , le second avec la société allemande DSV 1871 .

Plus riche d’enseignements est la plainte déposée par Ladbroke le 24 novembre 1989, quoique ceux-ci restent très modestes. Souhaitant concurrencer le PMU sur le marché français, la société anglaise a contesté devant la Commission, sur le fondement des articles 81 et 82 du Traité relatifs aux ententes et abus de position dominante, le comportement anticoncurrentiel dont feraient preuve le PMU et les sociétés de courses qui le composent. Mais supposant qu’on ne saurait reprocher à une entreprise un comportement anticoncurrentiel qui lui serait imposé par la loi, Ladbroke a parallèlement demandé à la Commission d’adopter une décision à l’encontre de l’Etat français sur la base de l’article 86-3. Autrement dit, elle lui demandait de constater la violation, par la loi française, de l’article 86 en ce qu’elle confierait au PMU un monopole dont l’existence ne serait justifié par une aucune « mission particulière » dont le GIE aurait la charge et qui pourrait seule justifier la suspension des règles du Traité et notamment des règles de concurrence. La Commission ayant tardé à prendre position, Ladbroke introduisit un recours en carence devant le Tribunal, mais un rejet partiel de la Commission étant entre temps intervenu et un recours en annulation ayant été formé contre lui, c’est à deux décisions du Tribunal que donna lieu la plainte initiale : l’un portant sur le recours en carence (la Commission ayant refusé d’intervenir sur la base de l’article 86-3) et l’autre portant sur le recours en annulation (la Commission ayant rejeté la plainte fondée sur les articles 81 et 82).

Le recours en carence au titre de l’article 86-3 fut déclaré irrecevable, principalement en raison du fait que la Commission dispose en la matière d’un « large pourvoir d’appréciation » excluant toute obligation d’intervention. La Tribunal ajoute que ce pouvoir d’appréciation serait d’autant plus large que la Commission est « invitée (…) à tenir compte des exigences inhérentes à la mission particulière des entreprises concernées », et que « les autorités des Etat membres (…) peuvent disposer, dans certains cas, d’un pouvoir d’appréciation tout aussi large pour réglementer certaines matières, tel le marché des jeux » 1872 . Ce faisant, le Tribunal n’exclut donc pas que le GIE PMU et les sociétés de courses qui le constituent soient en charge d’une « mission particulière » telles que celles évoquées à l’article 86-2 relatifs aux monopoles fiscaux et aux entreprises chargées d’un SIEG.

En revanche, le Tribunal a, pour des raisons de procédure, annulé le rejet par la Commission de la plainte relative à la violation par le PMU des règles relatives aux ententes et abus de position dominante. Selon le Tribunal, la Commission ne pouvait rejeter la demande en se fondant sur l’inapplicabilité des articles 81 et 82 avant d’avoir statué sur la violation, par l’Etat français, de l’article 86, c’est-à-dire avant de s’être prononcée sur la compatibilité de la législation française à l’égard des dispositions du Traité relatives à l’octroi de droits exclusifs et aux services d’intérêt économique général. Mais l’important, pour nous, est ailleurs. Avant de constater que la Commission aurait du, préalablement au rejet de la plainte, mener à terme son examen au titre de l’article 86, le Tribunal a entendu rappeler la liberté dont dispose la Commission concernant la mise en œuvre de son pouvoir de surveillance en matière de respect des règles de concurrence par les Etats membres que lui confère l’article 86-3. Ainsi, dit-il, « la Commission ne saurait être obligée d’intervenir, à la demande d’un particulier, sur la base de l’article 90, paragraphe 3, du traité (…) et, plus particulièrement, à l’égard des entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général , notamment lorsqu’une telle intervention implique l’appréciation de la compatibilité d’une législation nationale avec le droit communautaire » 1873 . Doit-on voir dans cette formule une remarque générale et abstraite ou faut-il comprendre que le PMU et les sociétés de courses qui le composent sont effectivement en charge d’un SIEG ?

Là encore, pris isolément, ce membre de phrase tiré d’un arrêt du TPI ne signifie pas grand chose. Mais on peut le rapprocher d’une communication de la Commission européenne publiée le 26 septembre 1996 intitulée Les services d’intérêt général en Europe 1874 . Au point 25 de son exposé, la Commission souligne que le juge communautaire « a notamment reconnu que des considérations d’ordre économique comme la rentabilité financière globale du service d’intérêt général ou d’autres considérations telles que la protection de l’environnement, peuvent constituer des justifications légitimes ». A la suite du mot « légitimes » une note de bas de page renvoie à trois arrêts illustrant le propos de la Commission : les deux premiers sont les célèbres arrêts Corbeau et Commune d’Almelo 1875 , quant au troisième, il s’agit de l’arrêt du TPI précité 1876 . Ainsi la Commission semble-t-elle voir, dans le membre de phrase que nous avons extrait de cet arrêt, la reconnaissance par le TPI de la nature de service d’intérêt général de l’activité du PMU.

Notons enfin qu’à la suite dudit arrêt, la Commission ne s’est finalement jamais prononcée sur la conformité de la loi française organisant le monopole du PMU au regard de l’article 86, d’abord parce que le juge communautaire n’est pas compétent pour adresser des injonctions aux institutions ou se substituer à elles dans le cadre du contrôle de légalité qu’il exerce, ensuite parce que la décision du TPI fut infirmée par la CJCE 1877 .

En somme, le juge communautaire n’exclut pas que l’organisation du jeu participe de l’exercice de l’autorité publique ou puisse être considérée comme un service d’intérêt économique général, mais, de manière très prudente, il se garde bien de se prononcer sur la question. En droit interne, en revanche, le juge administratif ne laisse planer aucun doute. Si les casinos sont en charge d’une mission de service public, c’est parce qu’ils contribuent au développement touristique de leur commune d’implantation. Mais ni eux, ni les sociétés de courses de chevaux, ni La Française des jeux ne sont, en tant qu’organisateurs de jeu, investis d’une telle mission. Pourtant, la collaboration de l’administration avec ces opérateurs pour assurer la police des jeux semble assez manifeste et les privilèges octroyés à ces derniers paraissent bien constituer des prérogatives de puissance publique dévolues par l’administration dans un but d’intérêt général. S’il s’avère que les éléments du service public sont réunis, pourquoi, alors, refuse-t-on aux opérateurs de jeu cette qualification ? De ce point de vue, le régime de droit public des jeux paraît être une curiosité juridique.

Notes
1860.

R. Kovar, « Droit communautaire et service public… », art. cit., p. 229.

1861.

Directive n° 75/369/CE, JOCE n° L 167 du 30 juin 1975, p. 23.

1862.

L. Dubouis et C. Blumann, Droit matériel de l’Union européenne, 3ème éd., Paris, Montchrestien, coll. Domat droit public, 2004, n° 883. Les auteurs renvoient sur ce point à deux arrêts de la Cour : CJCE 8 juin 2000 [C-258/98, Giovanni Carra], Rec. I-4217 et CJCE 17 mai 2001 [C-340/99, Poste italiane], Rec. I-197.

1863.

CJCE21 septembre 1999 [C-124/97, Läärä], préc., point 41.

1864.

CJCE 21 octobre 1999 [C-67/98, Zenatti], préc., point 38.

1865.

Conclusions de l’avocat général M. Fennelly sur CJCE 21 octobre 1999 [C-67/98, Zenatti], préc., point 6.

1866.

CJCE 11 septembre 2003 [C-6/01, Anomar], préc., point 88.

1867.

Ibid., point 7.

1868.

Les partenariats développés par le PMU à l’étranger peuvent être de natures diverses. D’abord, l’article 15-III de la loi n° 64-1279 du 23 décembre 1964 autorise les sociétés de courses à recevoir des paris engagés à l’étranger sur les courses françaises ainsi que des paris engagés en France sur les courses étrangères. C’est ainsi que le PMU est parvenu à mettre au point des prises de paris sur les courses françaises en « masse commune » avec les enjeux recueillis par des opérateurs étrangers. Il vend également des programmes de retransmission des courses françaises qui permettent d’organiser à l’étranger des paris en « masses distinctes ». Enfin, le PMU propose une assistance technique à la création de réseaux qui, pour la plupart, collectent des paris sur les courses françaises. Voir sur ce point le Rapport du sénateur F. Trucy (« Rapport d’information fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur la mission sur les jeux de hasard et d’argent en France », op. cit., p. 43) ainsi que le site Internet du PMU (www.pmu.fr).

1869.

Sauf dérogations prévues au Traité, les aides d’Etat sont prohibées par le droit communautaire. Par « aide d’Etat », il faut entendre l’ensemble des « avantages accordés directement ou indirectement au moyen de ressources d’Etat ou constituant une charge supplémentaire pour l’Etat ou pour les organismes désignés ou institués à cet effet » (CJCE 17 juin 1999 [C-295/97, Piaggio], Rec. I-3735). La plainte de Ladbroke concernait un ensemble de sept mesures que la société de droit anglais jugeait illégales. Tout en estimant que l’ensemble des dispositions litigieuses aurait permis au GIE PMU de « redresser une situation financière défavorable », d’« informatiser son réseau de collecte de paris » et d’« augmenter sa part de marché (…) dans d’autres Etats membres », la Commission a considéré que seules trois de ces mesures constituaient des aides illégales, c’est-à-dire qui auraient du faire l’objet d’une notification auprès d’elle, et ajoute que chacune d’elles pouvait faire l’objet d’une dérogation au titre de l’article 87-3 relatif aux aides d’Etat compatibles avec le marché commun (décision de la Commission du 22 septembre 1993 (n° 93/625), JOCE n° L 300, 7 décembre 1993, pp. 0015-0021, points 2 et 7). Tel ne fut cependant pas l’avis du TPI et de la Cour de Justice qui, à la demande de Ladbroke, annulèrent partiellement la décision de la Commission et épinglèrent à leur tour quatre mesures que celle-ci avait refusé de qualifier d’aides illégales (TPI 27 janv. 1998 [T-67/94, Ladbroke Racing Ltd c/ Commission des Communautés européennes], Rec. II-1 ; CJCE 16 mai 2000 [C-83/98P, République française c/ Ladbroke Racing Ltd et Commission des Communautés européennes], Rec. I-3271). En toute hypothèse, ces décisions apparaissent étroitement liées à la stratégie de développement international mise en œuvre par le PMU. La solution aurait sans doute été différente si ces aides étaient intervenues en dehors d’un tel contexte, car les avantages octroyés au GIE, qui bénéficie de l’exclusivité sur le marché national, n’auraient alors pas pu se faire au détriment d’entreprises concurrentes.

1870.

Aux termes de cet accord, passé en 1991, le PMU français était autorisé à prendre, au nom de la société belge, des paris sur les courses de chevaux belges dans plusieurs départements français limitrophes. Selon Ladbroke, l’accord aurait eu pour effet l’octroi par la France au PMU belge d’une aide d’Etat illégale non notifiée en ce qu’il aurait appliqué aux enjeux sur les courses belges un prélèvement inférieur (9 %) à celui appliqué normalement sur les courses françaises (28 %). Ayant vu sa plainte rejetée par la Commission, Ladbroke a intenté un recours en annulation devant le TPI, qui rendit une décision analogue, confirmée plus tard par la Cour. Pour le Tribunal, l’accord litigieux aurait simplement eu pour conséquence d’augmenter le chiffre d’affaires du PMU belge, car si les paris avaient été perçus directement, et sans l’intermédiaire du PMU français, les recettes perçues auraient été en taux d’un montant équivalent (20 %). Il ajoute d’ailleurs que l’ouverture du marché français au PMU belge constitue un « choix effectué par le législateur français concernant l’organisation du marché national de prise de paris (…) et les modalités de l’exercice par le PMU français des droits exclusifs qui lui sont reconnus par la législation nationale », choix qui ne saurait être mis en cause au regard de l’article 87 sur les aides. Ainsi, le traitement en France du prélèvement sur les paris engagés sur les courses belges « ne constitue pas une mesure dérogatoire par rapport à l’économie générale du système » mais lui est conforme puisque ce dernier est « caractérisé (…) par la soumission des enjeux sur les courses courues à l’étranger aux retenues légales et fiscales des chaque pays où les courses de chevaux concernées sont courues » (TPI 18 septembre 1995 [T-471/93, Tiercé Ladbroke SA c/ Commission des Communautés européennes], Rec. II-2537, points 56, 58 et 62). La Cour suit quant à elle un raisonnement sensiblement différent ; pour elle, la portion des enjeux réservée aux gagnants ne peut, pour une même course, varier selon les Etats dans lesquels les paris sont engagés, de sorte que le choix du législateur français d’appliquer systématiquement le taux de prélèvement de l’Etat membre dans lequel la course se déroule serait irréprochable (CJCE 9 décembre 1997 [C-353/95P, Tiercé Ladbroke SA c/ Commission des Communautés européennes], Rec. I-7007).

1871.

Cet accord concernait la retransmission d’images relatives à des courses hippiques. La Commission et le TPI ont tous deux rejeté la plainte de la filiale belge de Ladbroke concernant le refus, par le PMU et DSV, de lui vendre la retransmission, pour la Belgique, des courses françaises. Pour la demanderesse, ce refus constituait un abus de position dominante et une entente. Or la Commission et le Tribunal rappelèrent que le cadre géographique pertinent pour envisager les atteintes à la libre concurrence en matière de prise de paris (et, par conséquent, pour le marché auxiliaire des sons et images) est national et non pas communautaire. Par conséquent, les sociétés en cause n’ayant pas accordé de droits de retransmission en Belgique, le refus opposé à Ladbroke ne pouvait donc pas être vu comme discriminatoire (décision de la Commission du 31 janvier 1995 [n° 95/373, PMI-DSV], JOCE n° L 221, 19 septembre 1995 ; TPI 12 juin 1997 [T-504/93, Tiercé Ladbroke SA], Europe 1997, comm. 292, note Idot).

1872.

TPI 27 octobre 1994 [T-32/93, Ladbroke Racing Ltd c/ Commission des Communautés européennes], Rec. II-1015, point 37.

1873.

Comprendre « sur la base de l’article 86-3 », TPI 18 septembre 1995 [T-548/93, Tiercé Ladbroke SA c/ Commission des Communautés européennes], Rec. II-2568, point 45 (c’est nous qui soulignons).

1874.

JOCE 26 septembre 1996, n C 281.

1875.

CJCE 19 mars 1993 [C-320/91, Corbeau], Rec.I-2565 ; CJCE 27 avril 1994 [C-392/92, Commune d’Almelo], Rec.I-1509.

1876.

TPI 27 octobre 1994 [T-32/93, Ladbroke Racing Ltd c/ Commission des Communautés européennes], préc.

1877.

CJCE 11 novembre 1997 [C-359/95P et C-379/95P, Commission des Communautés européennes et République française c/ Ladbroke Racing LTD], Rec. I-6265. Y voyant un « formalisme excessif », le Professeur Idot analyse l’arrêt de la manière suivante. En estimant que la « légalité du comportement des entreprises qui se conforment à une législation nationale au regard des articles 81 et 82 doit être appréciée en fonction de la compatibilité de cette législation avec le Traité », le Tribunal aurait, selon la Cour, commis une erreur de droit. « En effet, l’évaluation de la législation nationale ne peut avoir pour objet que l’incidence sur les comportements (…). Si les comportements anticoncurrentiels sont imposés aux entreprises par une législation nationale, "les articles 81 et 82 ne sont pas d’application", car la restriction de concurrence ne trouve pas sa source dans un comportement autonome d’entreprise. En revanche, les textes retrouvent leur emprise si la législation nationale laisse subsister une marge de concurrence ». Par conséquent, la Commission « devait se contenter d’analyser si la législation française laissait une marge de concurrence aux entreprises », mais « on ne pouvait lui reprocher de ne pas avoir examiné d’abord la compatibilité de la réglementation française » (L. Idot, Europe 1998, comm. 27, la note faisant référence aux anciens articles du Traité, nous avons pris la liberté de leur substituer la nouvelle numérotation).

D’après la Cour, on ne pouvait reprocher à la Commission de n’avoir pas examiné d’abord la compatibilité de la réglementation française, car si des comportements anticoncurrentiels sont imposés aux entreprises par une législation nationale, alors les articles 81 et 82 ne peuvent leur être appliqués vu que la restriction de concurrence ne trouve pas sa source dans un comportement autonome d’entreprise (seul visé par ces articles).