§ 2 - La disposition d’un monopole

Si nombre de services publics ne sont aujourd’hui plus gérés sous forme de monopole, ne peut-on encore considérer que tout monopole est un service public ? Il convient d’abord de rappeler que la disposition d’un monopole territorial est une prérogative de puissance publique. On peut y voir l’une des suites logiques de l’alinéa 9 du préambule de la Constitution de 1946 selon lequel « Tout bien, toute entreprise dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ». Cette disposition, de valeur constitutionnelle 1902 , implique qu’un monopole national ne puisse être confié à une entreprise purement privée, c’est-à-dire dont le capital n’est pas majoritairement public. Toutefois ce « principe » de nationalisation des monopoles privés, très controversé sur le plan théorique, ne semble avoir aucune force contraignante à l’égard des gouvernants, ce qui amena le Professeur Chevallier à écrire à son propos en 1974 qu’il « demeure à l’état virtuel et sans application pratique » 1903 . Il est vrai que sept ans plus tard la majorité socialiste procédait à une nouvelle vague de nationalisations, mais si elle enrichit la pratique du « principe » elle en confirma également la virtualité car les nationalisations y sont bien apparues comme une option politique et non comme une obligation juridique.

Dans ses conclusions sur l’affaire Arcival, le commissaire du gouvernement Kahn vit même dans le monopole « la prérogative de puissance publique par excellence », au point que le titulaire d’un monopole semble être, selon lui, nécessairement en charge d’un service public. « Nous ne connaissons pas, dit-il, d’exemples d’une entreprise d’intérêt général qui, titulaire d’un agrément exclusif dans une branche d’activité ou sur une partie du territoire, n’ai pas été comptée du nombre des services publics » 1904 . Par ailleurs, l’importance décisive que nous donnons à la notion de prérogative de puissance publique en tant que révélateur du service public tendrait effectivement à ce que tout monopole, que nous ne saurions concevoir sans contrôle de l’administration, soit un service public.

Selon le Professeur Delvolvé « les monopoles de droit réservent certaines activités économiques à une institution en supprimant pour elles la concurrence privée » 1905 . Mais la référence à des « activités économiques » risque, dans le cadre de cette étude, de circonscrire un peu trop la notion. Le monopole de l’accès à certaines professions, dont les sociétés mères de courses de chevaux ont la disposition, s’inscrit certes dans le cadre d’activités économiques mais le pouvoir exclusif d’autoriser l’accès à ces professions ne s’analyse pas en lui-même comme une activité économique mais plutôt comme une activité juridique. Une définition plus large de la notion de monopole paraît donc opportune. Avec le Professeur Chevallier, on peut y voir « le privilège exclusif que possède une personne de vendre un bien, de fabriquer un produit, de gérer un service » de sorte que « nul autre organisme ou entreprise ne doit être capable d’offrir dans le même espace géographique les mêmes biens ou services » 1906 .

Quoiqu’il en soit la notion juridique de monopole est, selon le Professeur Delvolvé, obscurcie et sa définition économique prête elle-même à discussion. Finalement, il semblerait qu’on puisse assimiler au monopole pur et simple toute situation économique ou, ajouterons-nous, juridique, qui en engendre les effets, ce qui, en droit, correspondrait à toute position économiquement ou juridiquement dominante légalement établie 1907 .

Reste à savoir maintenant si les opérateurs de jeu que sont les casinos, les sociétés de courses et La Française des jeux disposent d’un tel privilège. Mais avant d’aller plus loin, nous devons savoir de quels monopoles nous parlons. Certes il sera ici question du monopole de l’organisation du jeu, ou, plutôt, des monopoles de l’organisation de jeux (A). Mais, plus particulièrement dans le secteur des paris mutuels, on peut supposer l’existence de monopoles non ludiques liés à l’organisation des courses qu’il conviendra de ne pas omettre, car leur existence est étroitement liée au monopole de l’organisation de certains jeux (B).

Notes
1902.

CC 16 juillet 1971 [Liberté d’association], n° 71-45 DC, Rec. 29.

1903.

J. Chevallier, « Le pouvoir de monopole et le droit administratif français », RDP 1974, p. 82.

1904.

Conclusions Kahn sur TC 8 décembre 1969 [Arcival], Rec. 695.

1905.

P. Delvolvé, Droit public de l’économie, Paris, Dalloz, coll. Précis, 2001, n° 125.

1906.

J. Chevallier, « Le pouvoir de monopole et le droit administratif français », art. cit., p. 23.

1907.

P. Delvolvé, Droit public de l’économie, op. cit., n° 125.