§ 2 - Proposition théorique

Si le juge administratif se refuse à voir dans l’organisation du jeu une mission de service public pour des raisons tenant, non pas au contenu de son régime juridique, mais à la nature immorale et dangereuse que la loi prête à cette activité, alors, il revient à la doctrine de tirer les conséquences de cette situation au regard de la théorie générale du service public.

A considérer que le service public soit effectivement « allergique » au jeu, rien ne s’oppose à ce que la définition de cette notion soit agrémentée d’une nuance ayant pour effet d’en exclure toutes les activités qui, certes en présenteraient les caractères, mais seraient dans l’esprit du législateur immorales et/ou dangereuses. Alors, l’exclusion du jeu du champ des services publics serait simplement la conséquence du respect par le juge administratif de la volonté du législateur qui s’opposerait à l’érection du jeu en activité de service public, encore que cette volonté n’ait jamais été expressément formulée. Le service public serait ainsi une forme de l’action administrative dans laquelle une personne publique prend en charge ou délègue, sous son contrôle, la satisfaction d’un besoin d’intérêt généralà condition que les tâches qui y concourent ne soient pas considérées par la loi comme immorales ou dangereuses.

Malheureusement, un tel apport à la définition du service public expliquerait certes le refus du juge de qualifier comme telle l’organisation du jeu mais ne résoudrait en rien la question de la compétence du juge administratif pour connaître des actes pris par les opérateurs de jeu dans le cadre de leur mission. En effet, tant que ces derniers resteront détenteurs de prérogatives de puissance publique et que le juge administratif se refusera à connaître de leurs actes, le problème ne sera que déplacé : il nous sera toujours loisible d’observer un certain nombre de contrariétés entre, d’une part, le régime des jeux, et d’autre part, la théorie des actes administratifs unilatéraux et les règles de répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction, judiciaire et administratif.

Par conséquent, l’intégration à la notion de service public de considérations relatives à la moralité ou à la dangerosité de l’activité en cause ne saurait être satisfaisante que si elle est accompagnée soit d’un revirement de la jurisprudence administrative concernant la compétence de cette dernière pour connaître des actes des opérateurs de jeu traduisant l’exercice de prérogatives de puissance publique, soit d’une évolution du droit des jeux tendant à la suppression des prérogatives exorbitantes des ces opérateurs.