Conclusion du titre II

Bien qu’elle ait un léger parfum de provocation, l’étude de la relation jeu / service public se révèle féconde pour la compréhension des rapports de l’Etat au jeu. Malgré le refus systématique du Conseil d’Etat de voir dans l’activité d’exploitation ou d’organisation du jeu une mission de service public, l’analyse des pouvoirs des différents opérateurs de jeu à la lumière de la notion de prérogative de puissance publique a permis de souligner l’originalité du régime des jeux voire les incohérences dont celui-ci est porteur au regard de la théorie générale du service public.

En effet, si l’on considère qu’une personne privée ne saurait bénéficier de prérogatives de puissance publique sans être investie d’une mission d’intérêt général et, partant, de service public, alors le régime de droit public des jeux a quelque chose d’anormal. Le bénéfice de monopoles de droit et la participation à l’exercice du pouvoir réglementaire apparaissent comme autant de manifestations des pouvoirs d’autorité dont disposent certains opérateurs de jeu pour accomplir une tâche que leur a confiée l’Etat. Tel est le cas de La Française des jeux ainsi que des sociétés de courses et de leurs organismes communs responsables du l’organisation des paris mutuels sur les courses de chevaux et sur les courses de lévriers. Placés dans une situation inégalitaire qui leur permet d’imposer unilatéralement leur volonté aux joueurs, ces opérateurs de jeu paraissent bien être des délégataires de la puissance publique et présenter tous les caractères des personnes privées qui, au regard de la jurisprudence Narcy, sont investies d’une mission de service public.

On peut certes regretter que le but d’intérêt général censé justifier les pouvoirs exorbitants de ces opérateurs n’apparaisse pas avec suffisamment de clarté, voire soit purement fictif. Mais une telle appréciation ne peut avoir pour effet de masquer purement et simplement les pouvoirs d’autorité dont disposent ces personnes privées. En l’état actuel du droit, il faut reconnaître qu’une activité considérée par la loi comme immorale et dangereuse peut être, simultanément, d’intérêt général, sinon, on ne pourrait plus voir dans la notion d’intérêt général la justification de la détention de prérogatives de puissance publique.

Par conséquent, soit il convient de considérer que, dans certains cas, l’organisation du jeu peut être un service public, soit il convient de retirer aux opérateurs de jeu les prérogatives exorbitantes qui, au regard de la théorie générale du service public, font penser qu’ils sont en charge d’une telle mission. Enfin, dernière solution, il est possible de réviser la définition de la notion de service public en l’agrémentant d’une nuance ayant pour effet d’exclure du champ de ces activité toutes celles qui seraient, d’après la loi, immorales et dangereuses.

Quand bien même cette analyse ne serait pas jugée entièrement convaincante, peut-être lui reconnaîtra-t-on le mérite de s’être attaquée à l’étude d’une activité qui se situe aux confins de la notion de service public ou, plutôt, à la limite du champ des activités de service public. Dans ce cas, la frontière de ce champ paraît être gardée par des notions au contenu bien incertain.