Conclusion de la deuxième partie

La maîtrise étatique du jeu est un phénomène complexe et multiforme dont l’étude appelle la mobilisation des notions les plus fondamentales de notre droit administratif. Et pourtant, malgré l’adoption de points de vue différents, voire opposés, l’entreprise de qualification juridique de la relation de l’Etat au jeu laisse un goût d’inachevé et d’incertitude. Située quelque part entre police et service public, la maîtrise étatique du jeu illustre bien la limite des outils théoriques dont nous disposons pour qualifier au plus près la nature du contrôle de l’administration sur une activité privée.

L’Etat utilise, en ce domaine, la plupart des instruments de contrôle dont il dispose pour surveiller l’activité des personnes privées. Après avoir organisé le marché des jeux en posant les conditions préalables à l’habilitation des opérateurs de jeu, la puissance publique détermine la quantité d’offre de jeu dispensée sur le territoire grâce, notamment, à la délivrance des autorisations de jeu. L’agrément des opérateurs de jeu et de leurs collaborateurs lui permet en outre de s’assurer que les personnes intervenant directement dans l’organisation du jeu présentent toutes les garanties d’honnêteté nécessaires à l’exercice de telles fonctions. Enfin, le contrôle des opérations de jeu mobilise tout un cortège d’agents de la puissance publique relevant de quatre ministères (Intérieur, Economie et finances, de Agriculture et Sports) mais également les opérateurs de jeu eux-mêmes qui sont les premiers garants de la régularité des jeux et de leurs supports éventuels.

Toutefois, les différents opérateurs de jeu ne sont pas égaux face à la puissance publique. Les établissements de jeu que sont les cercles et les casinos sont totalement dépendants de la volonté du ministre de l’Intérieur, tant concernant leur ouverture et la fixation de leur offre de jeu qu’en ce qui concerne l’adoption des règles présidant à leur activité. L’organisation des trois paris mutuels fait en revanche l’objet d’une véritable cogestion entre les organismes concernés et le ministère de l’Agriculture. Ainsi les sociétés organisatrices participent-elles à l’adoption des codes de leur spécialité et parfois même à la réglementation des paris, comme c’est le cas en matière hippique ; surtout, elles proposent à la tutelle le calendrier des épreuves servant de support au pari mutuel, contribuant ainsi à la détermination de leur capacité d’offre de jeu. Enfin, La Française des jeux est le seul opérateur disposant d’une habilitation générale et intemporelle concernant l’exploitation de ses jeux. Il est vrai que, contrairement à ce que l’on pourrait croire, son autorité de tutelle dispose des moyens lui permettant de contrôler chaque jeu dont la société envisage la création. Mais La Française des jeux n’en dispose pas moins – en fait sinon en droit – d’une relative autonomie dans la détermination de sa stratégie commerciale, que paraît illustrer sa « propension » à « diversifier les possibilités de jeux offertes au risque de compromettre à terme l’objectif de limitation de ce type de jeux » 1967 . En outre, tandis que toutes les formes de jeu sont expressément interdites aux mineurs, les règlements des jeux de La Française des jeux sont les seuls qui ne précisent pas que ce public sensible n’y a pas accès.

Cependant, envisager la relation de l’Etat au jeu à travers le seul prisme de la notion de police administrative permet, certes, de souligner la maîtrise étatique du jeu, mais n’en demeure pas moins fortement réducteur. En effet, une telle approche ne permet pas de rendre compte de manière satisfaisante des liens de collaboration étroite unissant les opérateurs de jeu à la puissance publique. Pour ce faire, nous n’avons d’autre choix que de nous tourner vers la notion de service public, avec toutes les difficultés qu’une telle démarche comporte sachant que le juge administratif se refuse à voir dans l’organisation du jeu une activité de cette nature. Et pourtant, l’exclusion du jeu du champ des services publics qui, pour le néophyte, va de soi, n’est pas tant une évidence. A y regarder de près, nombreux sont les éléments du régime des jeux dont la présence ne semble pouvoir s’expliquer que si l’on considère, justement, que certains opérateurs de jeu sont en charge d’une mission de service public. Alors en vient-on rapidement à cette conclusion que le service public ne peut concerner des activités que les pouvoirs publics considèrent comme immorales et dangereuses, autrement dit, l’organisation du jeu serait un service public « innommable ».

Notes
1967.

CE 15 mai 2000 [Confédération des professionnels en jeux automatiques], préc.