INTRODUCTION

I.1. L’apprentissage de la lecture : apport des Sciences Cognitives

I.1.1. Caractéristiques des Systèmes d’Ecrit

I.1.1.1. Naissance et classification des systèmes d’écriture : un bref aperçu.

Galets peints, bâtons incisés et peintures de la Préhistoire sont autant de témoignages de l’ancienne volonté des hommes de communiquer par des signes visibles et mémorisables. L’écriture reste cependant une invention récente à l’échelle de l’histoire de l’Humanité, née d’une innovation de la civilisation du Tigre et de l’Euphrate transmise à celle du Nil quelques 3000 ans avant l'avènement de l'ère Chrétienne (André-Salvini, Berthier, Geoffroy-Schneiter & Zali, 2000). Les vingt-cinq systèmes d’écriture de notre civilisation actuelle sont le produit d’une longue succession d’emprunts et d’adaptations imposés par les particularités des langues orales transcrites. Conséquence de cette évolution, nos systèmes s’organisent aujourd'hui entre les écritures idéographiques regroupant les systèmes mésopotamiens, égyptiens, chinois, méso-américains et africains, et les écritures phonographiques, rassemblant les systèmes alphabétiques, consonantiques, vocaliques et syllabiques. Les scripts appartenant au premier ensemble reposent sur l’usage d'idéogrammes, signes pictographiques abstraits ou symboliques chargés de transmettre le sens d’un concept, sans référence directe à sa valeur phonétique. Les écrits répertoriés dans le second groupe sont quant à eux fondés sur l'utilisation de phonogrammes ou signes-sons sans signification. Pour ce qui les concerne, les systèmes alphabétiques, au nombre desquels compte le Français, se sont développés sous l’impulsion des deux évènements majeurs : l'invention d'un alphabet consonantique par des locuteurs de langue sémitique entre 1700 et 1800 avant Jésus Christ d’une part, et la création de caractères représentant les voyelles par les grecs entre 800 et 700 avant Jésus Christ d’autre part 1 . Attribuée au groupe linguistique sémitique du nord ouest comprenant les cananéens, les phéniciens et les hébreux, la nationalité exacte du ou des inventeurs de l'alphabet reste encore indéterminée à ce jour. Pour autant, l’influence de l’écriture égyptienne semble devoir ne faire aucun doute. Ainsi que précisé par Joffe (2002), ces emprunts sont particulièrement visibles dans le premier alphabet proto-sinaïque ou proto-canannéen comprenant une variété de signes adaptés des hiéroglyphes et pictogrammes égyptiens pour la transcription des valeurs phonétiques du sémitique. Cette mise en relation des unités sonores minimales de la parole ou phonèmes 2 , avec des unités graphiques minimales ou graphèmes 3 , définit le principe alphabétique. L'appariement de ces deux ensembles d'unités restreints (exemple : environ 130 graphèmes et 36 phonèmes en Français) débouche alors sur la création d'un nombre potentiellement infini d’unités plus larges, les mots, conférant aux systèmes alphabétiques une singulière productivité, qui les distingue des écritures de type idéographique.

A un niveau de classification plus fin, le degré de systématisation dans l’association des formes écrites et orales détermine la transparence ou l’opacité des systèmes alphabétiques. Les langues transparentes ou superficielles se distinguent par la stabilité relative de leurs relations grapho-phonémiques, un phonème étant systématiquement représenté par le même graphème, chaque graphème étant par ailleurs associé à une prononciation unique. Les règles de correspondances unissant les graphèmes aux phonèmes présentent davantage d’irrégularité dans les écritures opaques ou profondes et ne sont directement applicables que sur une portion restreinte du corpus linguistique. Dans ces systèmes, dont le Français est un exemple, la référence phonématique cesse donc d’être le garant d’une écriture correcte, laquelle serait davantage tributaire de la mémorisation des formes visuelles. Nous verrons toutefois par la suite qu’un tel présupposé mérite d’être nuancé.

Notes
1.

Tiré de: Theories of the origin of the alphabet, Encyclopædia Britannica Premium Service, http://britannica.com, 2005.

2.

Le phonème est l'élément minimal, non segmentable, de la représentation phonologique d'un énoncé, dont la nature est déterminée par un ensemble de traits distinctifs. Chaque langue présente, dans son code, un nombre limité et restreint de phonèmes (une vingtaine à une cinquantaine selon les langues) qui se combinent successivement, le long de la chaîne parlée, pour constituer les signifiants des messages et s'opposent ponctuellement, en différents points de la chaîne parlée, pour distinguer les messages les uns des autres. […] Le phonème Français /a/ s'oppose à /i/, /e/, […], /y/, /u/, /o/ […] comme le montre la série minimale la, lis, les, lait, lu, loup, lot, las, etc. (Dubois, Giacomo, Guespin, Marcellesi, Marcellesi & Mevel, 1994)

3.

Le Graphème est l’ensemble minimal de lettres transcrivant un phonème (ex. en, an, em... pour /ã/) ou ayant une fonction morphologique (ex. s du pluriel) ou étymologique (p. ex. p et s dans temps).(Dendien J. & Pierrel,2003). Nous distinguons ici les graphèmes des lettres, faisant référence aux signes graphiques simples de l’alphabet, au nombre de 26 en Français.