I.2.2.1.2. L’âge d’acquisition, une variable phonologique ?

I.2.2.1.2.1. Les faits.

L’interprétation de l’origine des effets d’AdA a été durablement conditionnée par la volonté d’étendre les résultats initialement observés pour la dénomination d’objets dessinés (ex : Carrol et White, 1973ab ; Morrison, Ellis & Quinlan, 1992 ; Barry, Morrison & Ellis, 1997 ; Ellis et Morrison, 1998 ; Barry, Hirsh, Johnston & Williams, 2001, Meschyan & Hernandez, 2002) à la dénomination de mots présentés visuellement. De ce point de vue, la conceptualisation cohérente et unifiée des effets de cette variable requerrait la localisation préalable d’un niveau de traitement commun aux deux types de tâches.

La transcription verbale des concepts associés aux représentations picturales des objets reposerait sur un processus de lexicalisation, au cours duquel une représentation sémantique serait utilisée pour sélectionner le mot approprié, et ainsi accéder à son code phonologique (Barry, Morrison & Ellis, 1997). La récupération des représentations phonologiques nécessaires à la production des mots écrits reposerait quant à elle sur l’activation des codes orthographiques et sémantiques. La tâche de catégorisation sémantique semblant immune des effets d’AdA (Ellis, Morrison & Quinlan, 1992), le lexique phonologique de sortie a rapidement été considéré comme le locus le plus probable des effets d’AdA commun aux processus de dénomination d’objets et de mots. L’attribution des effets d’AdA à la récupération des représentations phonologiques plutôt qu’à la préparation de l’articulation et de la prononciation a plus tard été encouragée par la démonstration d’une disparition des effets d’AdA dans les tâches de dénomination différée (Meschyan & Hernandez, 2002 ; Barry et al, 2001 ; Morrison & Ellis, 1995 ; Ellis & Morrison, 1998 ; Gerhand & Barry, 1998). Ces paradigmes expérimentaux sont en effet utilisés dans le but de limiter l’influence des variables lexicales sur la production d’une réponse par l’introduction d’un délai entre la présentation d’un stimulus et le moment où le participant est autorisé à répondre, ce qui laisse tout loisir aux processus d’accès et de reconnaissance des mots de s’accomplir dans l’intervalle. Gerhand et Barry (1999a) ont parallèlement démontré que l’accélération provoquée du débit de réponse des participants avait pour effet de majorer l’avantage des mots « précoces » sur les mots tardifs. Ces résultats ont été interprétés en référence au postulat de la contribution conjointe d’une voie lexicale et infra-lexicale au processus de dénomination. L’hypothèse avancée était que dans les conditions habituelles, les mots tardifs bénéficieraient de la participation de la voie infra-lexicale du fait de l’activation plus lente de leurs représentations lexicales associées, en comparaison des mots précoces. En réduisant le temps alloué à la préparation des réponses, la tâche de dénomination accélérée priverait les mots tardifs de l’appui de cette voie, ce qui aurait pour conséquence de valoriser les différences d’efficacité de traitement entre ces items et les mots précoces, donc la lecture orale mobiliserait essentiellement la voie lexicale.

On remarquera finalement que la validité du statut de variable phonologique conféré à l’AdA par l’ensemble de ces travaux a longtemps été entretenue par le fait que cette interprétation s’accommodait aisément de la plupart des résultats rapportés dans la littérature, les traitements visuo-orthographiques des mots écrits s’affranchissant par exemple difficilement de leur contrepartie phonologique. La persistance des effets d’AdA dans des conditions de dénomination écrite de mots a ainsi pu être associée à une influence directe ou indirecte des codes phonologiques dans l’accès et la récupération des représentations orthographiques sollicitées par la tâche (Bonin et al., 2001a ; Bonin et al., 2002). Une interprétation similaire a été proposée dans le contexte de la décision lexicale, qui, si elle constitue l’outil d’investigation privilégié pour l’exploration de la lecture silencieuse, n’en reste pas moins rarement considérée comme une mesure "pure" de la reconnaissance orthographique des mots (Gerhand et Barry, 1999b ; Frost, 1998). Cette interprétation a été développée dans les travaux de Gerhand et Barry (1999b), qui se sont attachés à démontrer la vulnérabilité des effets d’AdA aux manipulations restreignant la participation des codes phonologiques au processus de prise de décision.