II.1.4. Discussion

La présente étude avait pour objectif de tester le postulat de Zevin et Seidenberg (2002) d’un déterminisme du type d’apprentissage induit par les caractéristiques des stimuli sur l’émergence des effets d’AdA. Cette proposition a été mise à l’épreuve dans une tâche de dénomination de mots formés d’un unique caractère Kanji et de leurs traductions en Hiragana, opposant en cela une écriture idéographique, caractérisée par les liens arbitraires associant les représentations visuelles au sens, à une écriture syllabique, fondée sur des correspondances régulières entre unités visuelles et sonores. Possibilité était en outre offerte dans cette langue d’examiner au plus près l’influence de l’AdAortho sur la lecture par l’exploitation de normes objectives concernant l’âge auquel les représentations visuelles des mots étaient intégrées au vocabulaire des enfants. Les résultats rapportés ont finalement été obtenus après neutralisation des biais phonétiques, connus pour limiter gravement la qualité de l’interprétation des effets liés aux variables lexicales manipulées mais souvent sous-estimés dans les tâches de dénomination classiques (Kessler et al., 2002).

Le principal résultat de cette recherche tient dans la mise en évidence d’une interaction du type d’écriture utilisé pour la transcription des mots et de leur d’AdAortho. Dans les conditions particulières du traitement des caractères Kanji, dont la prononciation passait par la réactivation des connaissances abstraites liant les formes visuelles à leur signification et à leur prononciation, un avantage discret mais persistant des premiers mots acquis sur les mots appris plus tardivement pouvait être observé. Lorsque la restauration des mêmes informations phonologiques s’appuyait sur un agencement d’unités syllabiques Kana n’ayant fait l’objet d’aucun apprentissage explicite, l’AdAortho cessait en revanche d’influencer la qualité des dénominations. En admettant que la transcription alternative d’un mot par le Kanji consacré ou par une séquence inhabituelle de Kana influence principalement le degré de participation des codes sémantiques à la dénomination orale (Yamada 1992, 1998), l’influence sélective de l’AdAortho sur le traitement des mots Japonais composés d’un unique Kanji encourage à établir une relation de causalité entre les manifestations de cette variable et l’assimilation par mémorisation des associations entre les idéogrammes et leur signification. Conformément aux vues de Zevin et Seidenberg (2002), le profil de réponse obtenu dans la présente recherche s’exprime en faveur du rôle critique exercé par les caractéristiques de l’apprentissage sur l’installation durable des effets d’AdA. Plus précisément, les items appris précocement continueraient à bénéficier des modifications de structure induites par leur intégration précoce au réseau impliqué dans la lecture lorsque les propriétés des systèmes d’écrit pratiqués tendent à prévenir le réinvestissement des connaissances antérieures au moment des acquisitions nouvelles. Ce contexte particulier serait à l’origine de l’avantage persistant des mots précoces sur les mots tardifs observé sur les performances des lecteurs experts.

On pourra toutefois s’étonner que les effets d’AdAortho pris pour eux même n’influençaient que faiblement la rapidité avec laquelle les Kanji étaient dénommés. Les délais de réponse moyens associés aux mots précoces et tardifs n’étaient de fait séparés que de 13,39 millisecondes, ce qui, rapporté au nombre d’années séparant l’acquisition des deux groupes d’items, correspond à une amplitude de 5,15 millisecondes par an. Si l’on considère l’amplitude des effets précédemment rapportés dans les tâches de dénomination d’objets, qui représentent un autre contexte expérimental susceptible de favoriser l’expression de l’AdA selon Zevin et Seidenberg (2002), force est de constater que la taille des effets d’AdAortho établis dans le cadre de la présente recherche tient comparativement pour quantité négligeable. Le graphique de la Figure 11 illustre cet état de fait en resituant les présents résultats dans le contexte des effets d’AdA obtenus à l’issue de tâches de dénomination d’objets proposées à des participants Anglais, discutés en Introduction de ce chapitre (voir page 32).

Figure 11. Amplitude des effets d’AdA (ms) pondérée par le nombre d’années séparant l’acquisition des mots précoces et tardifs, suivant la tâche proposée, dénomination de Kanji ou d’objets.

Les points gris représentent les résultats obtenus dans le système alphabétique Anglais (d’après les études présentées en Introduction de ce chapitre) et le point rouge présente l’effet d’AdAortho établi sur la dénomination des idéogrammes Japonais.

Ce profil de résultat peut être expliqué en tenant compte du fait que les mots Japonais formés d’un caractère Kanji unique sont généralement associés à une signification concrète. Or plusieurs études ont établi que les mots renvoyant à des concepts concrets avaient davantage de chance d’être acquis tôt dans la vie (voir par exemple V Coltheart, Laxon & Keating, 1988 ; Morrison, Chappell & Ellis, 1997). L’organisation des connaissances phonologiques lexicales précédant l’introduction de leur forme visuelle associée, il faut considérer que ces liens robustes entre l’enveloppe sonore des mots et leur signification sont fonctionnels au moment où les enfants entrent dans l’écrit. Ces remarques encouragent à penser que par delà leurs différences en terme d’AdAortho, la plupart des items utilisés dans la présente expérience bénéficiaient d’associations sémantiques-phonologiques également robustes, en raison de l’acquisition précoce de leurs représentations phonologiques. Cette situation aurait tout particulièrement compensé l’allongement du temps nécessaire à la réactivation des codes orthographiques calculés sur la base des items tardifs, réduisant de ce fait l’écart entre la production des réponses associées aux Kanji précoces et tardifs. Les résultats obtenus plaident donc en faveur d’une influence de l’AdA sur les multiples codes calculés à partir des stimuli visuels présentés et rejoignent les précédentes conclusions de Yamasaki et collègues (1997) concernant la contribution de cette variable à l’organisation conjointe des lexiques orthographique d’entrée et phonologique de sortie. Ces données s’accordent plus généralement à la proposition de Ellis et Lambon-Ralph (2000) d’une influence de l’AdA non confinée à un domaine de compétence particulier mais susceptible d’affecter l’ensemble des traitements mobilisant des associations acquises sur un mode cumulatif et intercalé.

En conclusion, les résultats obtenus à l’issue de cette étude autorisent à penser que les effets d’AdA sont la conséquence des apprentissages sollicitant davantage les capacités de mémorisation des individus que leur habileté à déduire les liens logiques existant entre les items assimilables. La facilité induite par l’apprentissage précoce des mots formés d’un unique Kanji sur la rapidité de dénomination des locuteurs Japonais suggère qu’un tel effet est à même d’influencer les conversions des formes visuelles à phonologiques, pour autant que les caractéristiques de la langue limitent la possibilité d’un réinvestissement des connaissances initialement acquises sur les éléments nouvellement rencontrés. L’amplitude limitée de cet effet suggère néanmoins que d’autres routes que la voie visuo-sémanique interviennent au cours de la lecture au travers desquelles l’AdA est susceptible de trouver un moyen d’expression.