III. Contribution expérimentale : Seconde Partie

III.1. Influence de l’étendue des connaissances lexicales sur l’installation des effets d’AdAortho : le cas des enfants intellectuellement précoces

L’influence de la taille du vocabulaire sur la manifestation des effets d’AdA n’a jusqu’alors été directement explorée qu’au travers de l’une des simulations conduites par Ellis et Lambon-Ralph (2000, simulation 8). Dans cet objectif, les auteurs ont successivement entraîné leur réseau connexionniste sur des bases d’exemples précoces et tardifs dont la taille évoluait entre 50 et 200 items. Conformément au principe d’apprentissage cumulatif et intercalé énoncé plus haut, l’entraînement initié sur les items précoces se poursuivait systématiquement par delà l’introduction des items tardifs. La Figure 23 présente le profil de performance établi par Ellis et Lambon-Ralph (2000) à l’issue de leur simulation. Le graphique illustre clairement que l’amplitude des effets d’AdA obtenus était d’autant plus importante qu’un nombre conséquent d’items était soumis au réseau en début d’apprentissage. Il est également évident que la taille de la base d’exemple utilisée portait sélectivement préjudice au traitement des items tardifs sans affecter de manière comparable la qualité des réponses apportées aux exemples précoces. En d’autres termes, l’assimilation précoce d’une vaste base d’items réduisait encore les capacités d’adaptation du réseau aux items tardifs, tout en préservant l’efficacité avec laquelle les premiers items étaient traités.

Figure 23. Le graphique reprend les résultats de la Simulation 8 de Ellis et Lambon-Ralph (2000), évaluant l’impact de la taille du vocabulaire sur l’expression des effets d’AdA.

Le taux d’erreur du réseau respectivement mesuré pour les items précoces (losanges noirs) et tardifs (carrés noirs) a été exprimé en fonction de la taille des 4 bases d’exemples utilisée, évoluant de 50 à 200 items (soit de 25 à 100 items par condition).

Ainsi que mentionné plus haut, la portée des résultats établis par Ellis et Lambon-Ralph (2000) reste limitée par les caractéristiques artificielles des exemples utilisés pour entraîner le modèle. Bien que les conclusions avancées puissent s’avérer exactes dans des conditions où la nature arbitraire des stimuli présentés sollicite davantage les capacités mnésiques que les facultés de déduction des apprenants, rien en revanche ne suggère qu’elles s’appliquent parallèlement aux apprentissages favorisant le réinvestissement des connaissances anciennes au moment des nouvelles acquisitions. Pour Zevin et Seidenberg (2002), l’installation des effets d’AdAortho est en effet subordonnée à la capacité des jeunes lecteurs à capter les liens logiques unissant les représentations graphiques et phonologiques à partir des échantillons de la langue auxquels ils sont confrontés. Partant de ce principe, nous avons proposé que l’influence persistante de l’AdAortho sur le traitement des systèmes alphabétiques écrits soit la conséquence d’une exploitation plus limitée des formes orthographiques rencontrées dans les premières étapes de l’apprentissage naturel de la lecture en regard de ce que laissaient envisager les modèles connexionnistes. L’exploration du comportement des enfants intellectuellement précoces face au matériel verbal écrit offre un moyen d’évaluer empiriquement cette hypothèse pour les raisons développées dans ce qui suit.

Les enfants dotés d’un QI élevé sont souvent caractérisés par le développement exceptionnel de leur lexique (voir par exemple Jambaqué, 2004). La comparaison de 158 enfants précoces sur la base de leur résultats au WISC a ainsi permis à Brown et Hwang (1991 ; cité par Bessou, Montlahuc, Louis, Fourneret et Revol, 2005) d’établir que le sub-test Vocabulaire, consistant à fournir la définition de 30 mots de complexité croissante, comptait parmi les épreuves les mieux réussies dans cette population. Il est également intéressant de noter que Bessou et collègues (2005) ont démontré que le profil psychométrique des enfants précoces était caractérisé par des performances supérieures à l’épreuve des Similitudes, évaluant les capacités de conceptualisation, de logique, d’abstraction et de synthèse. L’accroissement exceptionnel du vocabulaire chez les enfants précoces serait sous-tendu par une confrontation avec un nombre et une variété importante de formes orthographiques, en raison de leur curiosité plus affirmée pour des supports écrits divers. Les aptitudes précoces d’habituation aux stimuli et le degré élevé de préférence pour la nouveauté, reconnues par Steiner et Carr (2003) comme favorables au développement d’un niveau d’intelligence supérieur, assureraient en outre une optimalisation de l’exploitation des formes orthographiques rencontrées pour la construction de la connaissance du fonctionnement général de la langue. Cette facilité à assimiler une quantité élevée d’informations permettrait aux enfants précoces de développer plus efficacement leurs capacités d’apprentissage déductif au profit de l’intégration des principes organisateurs de leur système écrit. Contrairement aux prédictions formulées par Ellis et Lambon-Ralph (2000) dans le contexte d’un apprentissage limitant la contribution des acquis antérieurs à l’assimilation des informations nouvelles, la mise en œuvre de la stratégie d’acquisition déductive à un degré supérieur devrait donc aboutir à l’élimination de l’influence de l’AdAortho des réponses fournies par les enfants précoces.

Ce postulat a été testé en confrontant un groupe d’enfants de haut niveau intellectuel au protocole expérimental construit pour la seconde étude rapportée dans le cadre de ce travail.