III.2.2.3. Discussion des données empiriques

La présente recherche a été conduite en matière de préambule à l’approche théorique des relations entre l’accroissement des connaissances lexicales des enfants et l’installation durable des effets d’AdAortho sur le traitement visuel des mots. Au cours de cette étude, l’influence de l’AdAortho sur les capacités de reconnaissance des mots présentés brièvement en différentes régions de la rétine a donc été décrite avec précision auprès de 5 groupes d’élèves scolarisés entre le CP et le CM2. En première intention, les résultats empiriques ont été établis en référence à un vaste corpus d’items, avant de se concentrer sur les mots de 5 lettres, pour satisfaire aux exigences des simulations à venir. Les deux séries d’analyses aboutissaient à une description analogue des profils de performances.

En premier lieu, une robuste influence de l’AdAortho a été observée sur la précision des réponses des participants, confirmant une nouvelle fois la tendance établie dans les expériences précédentes. De fait, les mots acquis tardivement étaient source de davantage d’erreurs, indépendamment du degré de familiarité des enfants avec l’écrit. Il convient cependant de rappeler que - comme nous l’avions précédemment mentionné dans la partie Méthode (voir p.114) - les analyses conduites à posteriori sur les mots intégrés dans les listes expérimentales ont révélé une importante corrélation entre l’AdAortho et la fréquence d’occurrence des mots, estimée selon les normes de Manulex (Lété et al., 2004). Il faut donc envisager qu’une partie des résultats observés puisse être attribuée à l’influence de la fréquence. La remarquable stabilité mise en évidence sur les performances enregistrées pour les mots de chaque liste entre les élèves du Cycle 3 reste cependant difficilement conciliable avec une interprétation en terme de variations de fréquence. A partir du CE2, les mots introduits à une période donnée de l’apprentissage étaient en effet associés à des pourcentages de réponses correctes constants dans le temps, indépendamment de l’accroissement de leur degré de familiarité.

Le traitement des mots précoces et tardif était également affecté par l’effet classique de position du regard dans le mot (Brysbaert et al., 1996, Nazir, 1993 ; Nazir, et al., 1991 ; Nazir et al., 1998). Les performances les plus élevées étaient ainsi obtenues lorsque les stimuli étaient fixés légèrement à gauche de leur centre et déclinaient progressivement à mesure que l’œil s’éloignait de cette position optimale, suivant un taux de diminution plus prononcé pour les fixations à la droite de la région centrale. L’AdAortho modulait essentiellement la hauteur des courbes d’effet de la position du regard sans introduire de variations qualitatives sur les performances. Autrement dit, pour chacune des 5 positions de fixation imposées, un taux de bonnes réponses supérieur était enregistré pour les mots précoces, ces réponses se distribuant à l’identique sur les différentes positions dans autres listes. En accord avec l’interprétation proposée par Aghababian et Nazir (2000), la présence de l’effet de position du regard peut être considérée comme preuve que les enfants présentent très précocement une sensibilité aux informations portées par chacune des lettres inclues dans les mots, similaire à celle observée chez les lecteurs experts. L’obtention de courbes de forme équivalente pour les mots des différentes listes suggère très fortement que les enfants traitent les mots précoces et tardifs suivant des stratégies analogues. Etabli dans le contexte du traitement du langage écrit, ce résultat n’en rejoint donc pas moins la récente réfutation de l’hypothèse de « phonological completeness » (Brown et Watson, 1987) par Monaghan et Ellis (2002b), démontrant que les effets d’AdA avaient peu de chance de reposer sur la mise en œuvre de procédures distinctes au moment du traitement des mots précoces et tardifs, induites par des variations dans la qualité des représentations phonologiques associées aux deux catégories d’items.

Il est finalement apparu que les jeunes lecteurs scolarisés en CP et CE1 faisaient montre d’une précision relativement faible pour rejeter les pseudo-mots et tout particulièrement les pseudo-mots homophones. Cette capacité connaissait cependant une assez nette amélioration chez les élèves du Cycle 3. Une modulation de l’effet de la position du regard par la plausibilité phonologique des distracteurs a également été observée, suggérant une modification des stratégies d’extraction de l’information visuelle dans ce contexte.

En résumé, nous retiendrons essentiellement de cet ensemble d’analyses que les effets d’AdAortho rehaussent la hauteur des courbes de l’effet de position du regard, sans en affecter la pente ni l’asymétrie. Dans le chapitre suivant, nous allons donc conduire un ensemble de simulations dans le but de préciser les caractéristiques du savoir lexical des jeunes lecteurs susceptible de donner naissance aux effets d’AdAortho observés.