3. L’investigation de l’interaction entre transport et urbanisme : une entrée par l’analyse spatiale

Le cadre théorique généralement retenu pour l’évaluation des politiques de transport est celui du calcul économique (Dupuit, 1844). Son principe est fondé sur la maximisation de la fonction d’utilité collective ou encore du surplus global de productivité. L’analyse coûts-avantages, en restituant la variation du surplus global fournit une mesure de la variation d’utilité consécutive au projet ou à la politique qu’il s’agit d’évaluer (Bonnafous, Masson, 1999).

L’intérêt de l’analyse coûts-bénéfices est de sélectionner les projets d’investissement ou d’équipement les plus à même de satisfaire le bien-être collectif. Pour cela, la théorie du surplus du consommateur permet de mesurer le bien-être social par une fonction d’utilité collective individualiste de type parétienne.

L’analyse avantage-coût s’applique généralement sur les infrastructures de transport inter-urbaines. Or, l’utilisation de cette méthode pour l’évaluation des infrastructures de transport en milieu urbain présente un certain nombre de limites. D’une part, l’accroissement des vitesses offertes par les nouvelles infrastructures de transport conduit davantage à l’extension des périmètres de choix accessibles qu’à la baisse des temps de déplacement. Le temps de transport, composante du coût généralisé de transport, est, en effet, considéré comme une constante en milieu urbain (conjecture de Zahavi). Dans ce contexte, le recours au concept d’accessibilité pour l’évaluation des infrastructures de transport en milieu urbain apparaît plus approprié que les gains de temps, en permettant l’appréhension du réinvestissement des économies de temps de transport en allongement des distances parcourues. D’autre part, le calcul économique ne permet pas de prendre en compte les interactions complexes entre système de transport et développement urbain. La plupart des études font généralement une analyse à sens unique de l’impact de la forme urbaine sur le système de transports. L’effet rétroactif de ces impacts est rarement étudié en raison, notamment, de la lenteur du processus de changement d’occupation des sols par rapport aux comportements de déplacements. Or l’accessibilité est un concept composite qui résulte de l’interaction entre le système de transport (vitesses) et le système d’occupation des sols (localisation des activités et des ménages). Ainsi, le recours aux indicateurs d’accessibilité permet de mettre en évidence l’interrelation fondamentale qui existe entre les systèmes de transport et l’agencement des activités au sein des espaces urbains. Le système de transport offre, en effet, aux résidents un panel de choix (d’emplois, de commerces, de services, etc.) qui ne pourrait pas se manifester en son absence. Par conséquent, l’occupation des sols n’influence pas seulement le système de transport mais les investissements en projets d’infrastructure ont également un impact sur les décisions de planification de l’espace urbain.

La notion d’accessibilité, dont la place est centrale dans l’analyse de l’impact des infrastructures de transport en milieu urbain, est d’ailleurs par définition à l’interface du système de transport et du schéma d’agencement des activités au sein d’un espace urbain. Elle assure la synthèse et l’articulation de ces deux ensembles du processus, en mêlant, dans toutes les mesures qui peuvent en être proposées, des éléments relatifs au temps de déplacement (générés par un système de transport) et d’autres liés aux modes d’occupation du sol.

D’après Marc Wiel (2002), l’espace urbain est caractérisé par des déplacements et des localisations qui se co-déterminent. Il convient donc de concevoir l’agencement urbain et les « conditions de la mobilité » d comme interdépendants.

L’évaluation de l’impact des infrastructures de transport en milieu urbain suppose donc d’élucider les interactions entre transport et urbanisme. Les modèles d’interactions entre transport et urbanisme (LUTI e ) sont fondés sur l’importance de ces interdépendances entre système de transport et d’occupation des sols. La démarche mise en œuvre dans les différentes générations des modèles LUTI permet de proposer une formalisation des boucles d’interactions entre transport et urbanisme. Toutefois, cette approche ne permet pas de formaliser correctement les mécanismes d’ajustement sur les marchés fonciers et immobiliers. Or, les mécanismes d’ajustement des marchés foncier et/ou immobilier sont au cœur des interactions entre infrastructures de transport et modes d’occupation des sols.

La démarche proposée dans ce travail vise donc à analyser la manière dont les gains d’accessibilité –seule mesure pertinente en milieu urbain- générés par les infrastructures de transport affectent les modes d’occupation de l’espace. Plus précisément, l’articulation entre transport et modes d’occupation du sol sera analysée à partir de la relation entre les différentiels d’accessibilité et de prix immobiliers, relation elle même fondée sur la disposition des ménages à payer pour bénéficier d’une meilleure accessibilité. L’intensité de la valorisation, par les ménages, des gains d’accessibilité est en effet au cœur des mécanismes d’interaction entre transport et urbanisme.Si dans une même ville deux logements ou deux terrains similaires sont occupés par des ménages identiques, la différence de prix ou de loyer entre les deux s’explique essentiellement par la qualité de leurs environnements respectifs, dont l’accessibilité. On peut alors utiliser les différences de prix pour valoriser les biens publics et les externalités qui caractérisent ces environnements (Jayet, 2004). Les marché fonciers et/ou immobiliers sont donc des éléments fondamentaux de structuration de l’espace urbain. La démarche proposée dans ce travail visera donc à mesurer le degré de capitalisation des gains d’accessibilité procurés par le périphérique Nord de Lyon dans les prix immobiliers au sein de l’agglomération lyonnaise.

Cette problématique nous conduira à privilégier une approche fondée sur la microéconomie urbaine. Le modèle de la nouvelle économie urbaine, dont la forme canonique a été proposée conjointement par Alonso (1964), Mills (1967) et Muth (1969), constitue en effet un cadre de référence en matière de théorisation des différentiels de rente foncière en milieu urbain. Le modèle monocentrique fournit à cet égard une mesure générique de la valorisation, par les ménages, de l’accessibilité au centre, le taux de décroissance des valeurs foncières en fonction de la distance au centre reflétant les dispositions à payer des ménages pour bénéficier des localisations les plus proches des espaces centraux. Les hypothèses du modèle monocentrique apparaissent toutefois de moins en moins adaptées aux structures urbaines contemporaines (Gordon et Richardson, 1996, Gaschet, Lacour, 2002, Hoch, Waddell, 1993).

Si l’une des fonctionnalités du périphérique nord de Lyon correspond bien à un renforcement de l’accessibilité au centre (notamment pour les communes situées au nord de l’agglomération), les gains d’accessibilité sont également significatifs sur les itinéraires de périphérie à périphérie, notamment dans la desserte des pôles d’emplois de Villeurbanne et Vaulx-en-Velin.

Au delà de la seule référence aux modèles de localisation résidentielle de l’économie urbaine, notre approche mobilisera également l’hypothèse de capitalisation foncière et immobilière. Les fondements des mécanismes de capitalisation relèvent en premier lieu des travaux d’économie publique locale (Gilbert, Guengant, 2002), à travers les tentatives de validation de l’hypothèse de Tiebout (1956) relative à la capitalisation des bénéfices et des coûts des biens publics locaux dans les valeurs foncières du fait de la mobilité des ménages entre collectivités locales. L’analyse de la valorisation des gains d’accessibilité procurés par une infrastructure en milieu urbain renvoie toutefois davantage aux mécanismes intra-urbains de capitalisation foncière liés à la présence de biens publics spatialisés. Sous certaines conditions qu’il conviendra de préciser, cette hypothèse permet en effet d’établir une relation entre la valorisation, par les ménages, des bénéfices liés à l’amélioration du niveau d’aménités urbaines au sein d’un espace et l’augmentation des rentes foncières consécutive (Starrett, 1988). L’approche « hédonique » des investissements en infrastructures (Beckerich, 2000, Gravel et al., 2004) se définit alors comme l’évaluation des bénéfices retirés par les ménages des nouvelles infrastructures à travers l’accroissement des valeurs foncières ou immobilières. Cette approche consiste à utiliser les prix fonciers et immobiliers de marché prévalant après la réalisation des investissements afin de réaliser l’estimation. La méthode des prix hédoniques, développée à partir de la proposition fondatrice de Rosen (1974), permet, à partir de la relation liant le prix d’un bien hétérogène et ses différentes caractéristiques, d’isoler la valeur contributive de chaque attribut. La méthode est donc particulièrement adaptée à l’analyse du marché du logement, bien complexe dont la valeur est liée autant à ses caractéristiques propres qu’à ses attributs de voisinage et de localisation. Par conséquent, elle constituera le fondement méthodologique de l’approche empirique développée dans ce travail : par l’application de cette méthode, il est en effet possible d’isoler l’effet marginal des gains d’accessibilité engendrés par une infrastructure sur les valeurs immobilières, et d’en inférer le consentement marginal à payer des ménages.

Notes
d.

Marc Wiel définit les conditions de la mobilité comme toutes les informations qui caractérisent les personnes, l’agencement urbain et l’offre en déplacements et qui permettent d’apprécier le type accessibilité incombant à chaque individu.

e.

Land Use and Transport Interaction.