3. La pseudo-déduction anatomique

Il existe de nombreux indices témoignant de la prégnance persistante d’un tel modèle au cours de l’histoire de l’histoire naturelle jusqu’au 19e siècle. Car l’usage du modèle technologique n’a pas seulement des conséquences en matière de philosophie biologique et ne concerne pas exclusivement la question du rapport du tout et de la partie. Il induit en outre un certain nombre d’effets, d’ordre terminologique (la nomenclature anatomique), méthodologique (le privilège donné à l’étude de certaines fonctions – les fonctions de relation – et de certains types zoologiques – les animaux à mouvements articulés – dans la recherche physiologique ), théorique et épistémologique (la définition de la physiologie comme anatomia animata ; la définition de la méthode physiologique comme déduction anatomique ; la subordination de la physiologie à l’anatomie). Ces traits traduisent bien la présence d’un modèle technologique au principe de la connaissance biologique ; mais ils ont en outre sur la notion d’instrumentalité des parties l’avantage d’être techniquement plus intéressants pour la recherche historique, comme outils d’administration de la preuve. Tous les physiologistes n’ont pas exposé les principes de leur philosophie biologique à l’égal d’Aristote, et l’on peut toujours penser que lorsqu’ils qualifient les organes d’instruments, comme il est courant, c’est seulement par métaphore ou pour se conformer à un usage lexical qui ne doit pas faire préjuger de la signification, éventuellement nouvelle, du terme 1 . Mais même le physiologiste le moins enclin à philosopher ne pourra pas ne pas donner quelques indications implicites sur la conception qu’il se fait de sa science, du point de vue de son objet et de sa méthode. Aussi bien, c’est dans ces définitions disciplinaires et méthodologiques, ainsi que dans la terminologie employée par les anatomistes et les physiologistes, que l’on ira chercher les signes de la persistance du modèle technologique.

Notes
1.

On pourra néanmoins lire avec intérêt l’article de Charles Robin : « Organe ; organique ; organisés ; organisation ; organisme », du Dictionnaire Encyclopédique des Sciences Médicales (A. Dechambre dir., Paris, Masson, 1882, t. 18, § 1, pp. 376-391), qui rassemble un florilège assez impressionnant de citations d’auteurs modernes (16e-19e siècles) – B. Eustacchi, M. Malpighi, G. E. Stahl, L. Bourguet, C. Bonnet, G. L. Buffon, J. Hunter, J. C. Reil, J. B. de Lamarck, X. Bichat, H. Ducrotay de Blainville, E. Littré,… – dans lesquelles les organes se voient explicitement assimilés à des instruments au sens ordinaire et anthropologique de terme.