Indices terminologiques

Concernant la terminologie, un examen sommaire suffit à montrer que la nomenclature anatomique moderne (et aussi physiologique dans une moindre mesure, s’agissant notamment des fonctions de relations 1 ) est farcie de termes empruntés au domaine des techniques humaines. Ce fait a été bien relevé par Canguilhem : « Le vocabulaire de l’anatomie animale, dans la science occidentale, est riche en dénominations d'organes, de viscères, de segments ou de régions de l'organisme exprimant des métaphores ou des analogies technologiques 2  ». Et l’auteur de citer les termes de trochlée, poulie, levier, thyroïde, scaphoïde, marteau, sac aqueduc, trompe, thorax, tissu, cellule. La ressemblance qui a motivé ces appellations peut être de forme ou de fonction : « Parfois la dénomination ne recouvre qu’une comparaison morphologique (os scaphoïde ; trochlée du fémur, par exemple). Parfois aussi le nom indique une analogie de fonction ou de rôle, à défaut de structure (cornée ; vaisseau ; anastomose ; sac ; aqueduc ; axis, par exemple) ». Quoi qu’il en soit, poursuit l’auteur, « la dénomination grecque ou latine des formes organiques perçues fait apparaître qu’une expérience technique communique certaines de ses structures à la perception des formes organiques 3  ».

Or l’analyse historique montre que ce lexique ne s’est pas constitué d’un seul coup, que les termes gagnés à la cause de l’anatomie et qui sont venus enrichir son vocabulaire l’ont été à des époques différentes de son histoire jusqu’au 19e siècle. Pour l’essentiel, la formation du vocabulaire de l’anatomie macroscopique moderne, à partir de racines grecques, latines, arabes ou hébraïques, se constitue entre le 14e et le 19e siècle. Pour reprendre les exemples précités de vocables empruntés par les anatomistes au vocabulaire des artisans, des musiciens, des ingénieurs, si cornée et vaisseau deviennent termes d’anatomie dès le début du 14e siècle, il faut attendre le 16e siècle pour cellule, trompe et scaphoïde, le 17e siècle pour marteau, sac et poulie, le 18e siècle pour thyroïde, tissu, anastomose, et thorax, et même le début du 19e siècle pour axis 33 . Ce n’est donc pas exclusivement à une certaine période de l’histoire de leur discipline que les anatomistes en sont venus à nommer des organes par des termes désignant primitivement des outils ou des pièces de machines. Nul doute que le caractère progressif et continu de cette acquisition d’un vocabulaire emprunté au langage des métiers plaide en faveur de la thèse de la persistance d’un modèle technologique au principe de la connaissance des structures et des fonctions des êtres vivants.

Notes
1.

Ainsi les termes de contractilité et d’élasticité, qui servent à désignent une propriété spécifique des fibres musculaires.

2.

G. Canguilhem : « Le tout et la partie dans la pensée biologique », op. cit., p. 323.

3.

Ibid., p. 306.

33.

Renseignements pris dans : Dictionnaire Robert historique de la langue française (Paris, éd. Le Robert, 1992, 3 vol.) et Le Grand Robert de la langue française (Paris, éd. le Robert, 1985, 9 vol.). Dans la plupart des cas, on trouve mentionnée la date d’apparition de la première occurrence relevée du terme dans son application à l’anatomie : « cornée » (1314), « vaisseau » (1314), « cellule » (1503), « trompe » (1538), « scaphoïde » (1588), « marteau » (1611), « sac » (1677), « poulie » (1690), « thyroïde » (1721), « tissu » (1744), « axis » (1801).