Chapitre 2. La « révolution anatomique »

« Globule », « cellule », « vésicule », « corpuscule », « utricule », « cuticule », « saccule », « plastide », « organite », « infusoire », « animalcule ». Tous ces mots empruntés un temps par les uns ou les autres avant que le terme « cellule » ne finisse par s’imposer dans la seconde moitié du 19ème siècle, en dépit de l’impropriété de la conception morphologique qu’il suggérait et souvent rappelée par les biologistes qui se plièrent pourtant à l’usage 1 – ces mots servent-ils à désigner des entités dont la notion nous serait pour ainsi dire imposée par l’observation sensible des phénomènes vivants ? Sont-ils de simples termes descriptifs et génériques, permettant de regrouper sous une même dénomination un ensemble de faits d’ordre anatomique ayant un certain nombre de caractères communs bien définis et dont il suffirait en quelque sorte de constater l’existence ? Depuis un siècle et demi l’on parle cependant volontiers et de façon récurrente de théorie cellulaire. L’usage terminologique laisse ainsi supposer que ces mots ne sont pas tout à fait innocents, qu’il s’agit moins en l’espèce de notions instrumentales et récapitulatives intéressant le classificateur, que de notions théoriquement discriminantes, emportant avec elles une certaine idée quant à la composition fondamentale de l’être vivant.

Ce point de vue a été confirmé de façon magistrale par un certain nombre de travaux aujourd’hui classiques d’historiens des sciences biologiques et médicales, au premier rang desquels il faut placer ceux de Marc Klein et de Georges Canguilhem 2 . On reprendra leurs arguments dans l’exposé qui va suivre des raisons par lesquelles on cherche à justifier l’idée que la théorie cellulaire constitue bien une révolution en anatomie. Mais dans une perspective d’ensemble sensiblement différente, à la mesure de la dissemblance des problématiques, puisque aussi bien notre intérêt pour l’histoire de la théorie cellulaire est seulement indirect pour ainsi dire. Qu’à dire vrai il porte moins sur l’histoire de la théorie cellulaire en tant que telle (ce qui supposerait de s’intéresser à tous ses aspects, et par exemple de retracer l’histoire des controverses relatives à la définition morphologique de la cellule avant sa fixation dans les années 1860, l’histoire de la formation du concept de protoplasme, l’histoire des étapes au cours desquelles furent identifiées les différentes phases de la division cellulaire, etc.), que sur l’histoire du principe d’individualité des parties qui en est le corollaire. Qu’il est en somme celui d’un historien des sciences sociales et non d’un historien de la biologie.

Notes
1.

En raison de ses acceptions traditionnelles d’usage (architecture, apiculture), « cellule » renvoie à l’idée d’un espace fermé par des cloisons solides. Or il est apparu progressivement que la membrane d’enveloppe n’est pas un composant essentiel et nécessaire de la cellule. Les historiens ont pu montrer que l’image suggérée par le terme a mis en erreur un certain nombre de biologistes et retardé ce faisant la formation d’un consensus sur la définition morphologique de la cellule.

2.

Cf. M. Klein : « Histoire des origines de la théorie cellulaire » (1936), in M. Klein, Regards d’un biologiste, Paris, Hermann, 1990, pp. 7-70 ; G. Canguilhem : « La théorie cellulaire » (1945), in G. Canguilhem, La connaissance de la vie, op. cit., pp. 43-80.