3. Les progrès contrariés de l’anatomie animale microscopique

Le retard des zoologistes

Au moment où paraît l’ouvrage de Schwann (1839) qui va donner au principe de composition élémentaire sa véritable portée, les études micrographiques de morphologie animale sont à la traîne. Les zoologistes ne disposent pas, loin s’en faut, d’un corpus de données sur la structure élémentaire des tissus animaux comparable en quantité et en qualité à celui des botanistes. Les quelques rares travaux sur la question ne permettent pas d’inférer l’idée d’une identité de structure fondamentale des animaux et des végétaux. En 1822, Karl Friedrich Heusinger, histologiste allemand réputé (et créateur du terme « histologie ») dressait ainsi un historique érudit et détaillé des recherches ayant trait à l’existence d’un constituant commun aux corps animaux, parmi lesquelles ne figure, aux dires de Klein, aucune étude dépassant le cadre de l’histologie animale, « cherchant à établir l’existence d’un élément commun à tous les tissus, et qui démontre une similitude de structure entre les plantes et les animaux 82  ». En 1839, année de la parution des Mikroskopische Untersuchungen de Schwann, le même auteur maintenait son principe d’incomparabilité entre les structures élémentaires animale et végétale, après une analyse de la « substance celluleuse » animale qui en dit long sur l’état de vague et d’incertitude des opinions des zoologistes à ce sujet : « substance grisâtre résistante qui entoure et pénètre partout les organes et qui montre sous le microscope des granules très petits, mal délimités et très mous ; on les appelle cylindres ou mieux flocons et ils sont eux-mêmes si mous et si mal délimités qu’on ne peut pas les comparer avec des fibres. [...] Dans cette matière gluante se rassemblent des gouttelettes d’une substance plus aqueuse et de graisse donnant une image de cellules. Les parois de ces dernières sont si molles et si fragiles après la disparition du contenu qu’il n’est pas possible d’établir une comparaison avec le tissu cellulaire végétal 83  ». Deux années auparavant, le naturaliste français Barthélemy-Charles Dumortier avait déclaré sur le ton d’une affirmation ne prêtant pas à discussion, en guise de conclusion du débat sur l’existence d’un ou plusieurs tissus générateurs, tout le bien qu’il pensait de l’idée d’irréductibilité des animaux et des végétaux sous le rapport de leur structure fondamentale et de la position « histologique » du problème de la composition élémentaire des organismes :

‘« Chez les animaux, les tissus ne se forment pas aux dépens les uns des autres ; il n’y existe pas un tissu générateur unique, mais bien plusieurs tissus originairement distincts. – Les belles observations de M. Mirbel ont prouvé que chez les végétaux, il existe un seul tissu originel, le tissu cellulaire, qui par une suite de métamorphoses se transforme en tissu vasculaire. Par conséquent, le règne végétal est caractérisé par l’unité originelle, le règne animal par la pluralité originelle des tissus. 84  »’

A la veille de la parution du traité de Schwann, les zoologistes semblent donc très loin d’admettre et même plutôt partager le sentiment qu’il est impossible d’établir, au vu des résultats de leurs propres travaux, l’idée fondamentale de la théorie cellulaire d’une homologie structurale de tous les organismes vivants. Pourquoi ce retard dans la pratique de la recherche et dans la théorie ? Les historiens évoquent plusieurs raisons, d’importance inégale.

Notes
82.

M. Klein : « Histoire des origines… », op. cit.., p. 43.

83.

K. F. Heusinger, Grundriss der Enzyklopädie und Methodologie der Natur und Heilkunde, Eisenach, Barecke, 1839, cité et trad. par Klein : « Histoire des origines... », op. cit., pp. 44-45.

84.

B.C. Dumortier ; « Mémoiresur l’embryogénie des Mollusques Gastéropodes », Annales des Sciences Naturelles. Zoologie, 2e série, t. 8, 1837, p. 163.