4. Success story

Après 1839 et la parution de l’ouvrage de Schwann, l’idée de l’individualité des parties du tout organique semble désormais avoir trouvé dans cette nouvelle et prometteuse théorie, la théorie cellulaire, une base enfin solide. Nous avons vu précédemment qu’un penseur à la contribution aussi décisive que Claude Bernard dans la formation de cette problématique de l’intégration que nous essayons de retracer n’avait jamais admis sans réserve le second principe (le principe génétique) de la théorie cellulaire, comme si celle-ci n’avait pas été complétée et enrichie, sur le plan de ses principes formels, depuis Schwann. Faut-il en tirer comme conséquence qu’il n’est point besoin d’aller plus loin dans l’investigation historique ? Nous répondrons par la négative, et pour deux raisons principales, l’une d’ordre psychologique et sociologique, l’autre d’ordre logique. La première c’est que la formulation et la validation du second principe de la théorie cellulaire résumé dans l’axiome de Virchow (omnis cellula a cellula), selon lequel toute cellule provient d’une cellule préexistante et non d’une substance amorphe endogène ou exogène aux cellules, ont joué un rôle déterminant dans le processus au terme duquel la théorie a obtenu la consécration académique, et ont ce faisant contribué indirectement à crédibiliser aux yeux du public scientifique le premier principe. Très certainement, l’adjonction de cette deuxième partie de la théorie a renforcé, sinon logiquement du moins psychologiquement, l’autorité de la première en renforçant logiquement celle de la théorie tout entière. – La seconde raison c’est qu’un certain nombre d’expériences et d’observations nouvelles, faites en physiologie, en pathologie, en embryologie (et dont on tirera d’ailleurs parti sur le plan pratique en chirurgie et en médecine) vont venir confirmer directement le principe de composition élémentaire des organismes et l’idée d’individualité des éléments anatomiques. Elles constituent des preuves supplémentaires de leur validité qui viennent s’ajouter à celle déjà obtenues par les anatomistes et méritent à ce titre d’être mentionnées.

Par contre, il ne nous semble pas nécessaire, comme on l’a dit plus haut, de revenir sur les autres aspects de l’histoire de la théorie cellulaire : soient par exemple les différents progrès effectués dans l’analyse de la structure, des fonctions et de la valeur relative des différents composants de la cellule (noyau, nucléole, membrane, protoplasme…), des modes de reproduction cellulaire (division directe et indirecte) et des différentes phases de la mitose ; la découverte de cellules au sein de tous les tissus soumis à l’examen microscopique, même ceux qui en semblaient jusqu’alors dépourvus, « qu’il n’est aucune partie du corps qui ne possède des éléments cellulaires 1  », et la spécification de nouvelles catégories cellulaires (comme les cellules osseuses ou les cellules nerveuses, dont les fibres nerveuses ne vont s’avérer être qu’un prolongement) ; la formation du concept moderne de protoplasma au rebours de son sens étymologique et de sa définition initiale (puisque aussi bien on passe de la notion d’une substance initialement amorphe s’organisant ultérieurement en cellule à celle de contenu cellulaire entourant le noyau), etc. – Tous ces aspects intéressent certes l’historien de la biologie mais, étant donné leur rôle au mieux négligeable dans la fortune du principe de l’individualité des parties anatomiques et donc dans la formation de cette problématique que les sociologues vont emprunter aux biologistes dans le dernier tiers du 19e siècle, ils n’ont pas à être développés dans le cadre d’une contribution à l’histoire des sciences sociales.

Notes
1.

R. Virchow, La pathologie cellulaire, fondée sur l’étude physiologique et pathologique des tissus, trad. Ricard, 1861, op. cit., leçon XVIII, p. 334.