La pathologie cellulaire

Les historiens s’accordent à reconnaître que 1858, année de la publication du célèbre cours de Rudolf Virchow : Die Cellularpathologie 108 , fruit des recherches menées par l’auteur depuis une décennie dans le domaine de l’histopathologie, marque une date importante dans l’histoire de la théorie cellulaire, et même plus généralement dans l’histoire des sciences de la vie et de la médecine. C’est à la divulgation des thèses et des résultats contenus dans l’ouvrage de l’éminent pathologiste qu’on doit la prise de conscience par les biologistes que la théorie cellulaire constitue désormais une théorie bien formalisée, reposant sur deux principes simples et clairement définis : 1) le principe de composition élémentaire des organismes dont l’unité de base est la cellule ; 2) le principe selon lequel toute cellule dérive d’une cellule préexistante, dont les observations de Virchow sur l’origine et la structure cellulaire des néoplasies – ces formations anormales de tissus que constituent les tumeurs (malignes ou non), les hypertrophies et les suppurations notamment – fourniraient enfin la preuve décisive. Ce n’est pas dire pourtant qu’avant sa codification ou sa consécration par Virchow en 1858, l’idée exprimée dans le second principe n’ait pas déjà été formulée à titre d’hypothèse ou même d’affirmation générale concernant l’histogenèse animale ou végétale ; ni même qu’avant sa confirmation par les travaux du même auteur effectués durant la décennie 1850, elle n’ait pas été validée par des observations et/ou des expériences précises menées par d’autres que lui dans des domaines différents de la recherche. L’historien John R. Baker a montré au contraire comment cette notion s’était, sinon imposée, du moins affirmée progressivement dans les années 1850, à la faveur d’observations portant sur des sujets aussi divers que la genèse des êtres unicellulaires (C. Morren, C. Ehrenberg), la reproduction des algues marines (B. Dumortier, H. von Mohl, F. Meyen), l’embryogénie des premiers stades chez quelques espèces d’oiseaux, de batraciens, de poissons (J. L. Prévost et J. B. Dumas, K. von Siebold, A. de Bary, A. Kölliker, K. Reichert, R. Remak 109 ), mais convergentes quant à leur signification générale 110 . Les documents accumulés par les embryologistes surtout sont tels qu’en 1855 Robert Remak (1815-1865) se sent fondé d’affirmer l’identité stricte du phénomène de segmentation de l’œuf à un processus de division cellulaire, et la généralité de ce processus, étendu à toute production de nouvelles cellules. Avec toute la clarté requise il écrit :

‘« Toutes les cellules ou leurs équivalents dans l’organisme adulte se sont formés par la segmentation progressive de la cellule-œuf en éléments morphologiquement similaires ; et les cellules qui forment l’ébauche de n’importe quelle partie ou organe de l’embryon, si peu nombreuses soient-elles, constituent la source exclusive de tous les éléments figurés (c’est-à-dire les cellules) dont est constitué l’organe une fois développé. 111  »’

C’est donc de différents points de la recherche que convergent les preuves de l’origine cellulaire (et non a-cellulaire) des éléments anatomiques. Pourtant il est deux avancées essentielles dont le mérite revient indiscutablement à Virchow. C’est d’avoir complété et achevé l’axiomatisation de la théorie cellulaire, en conférant à l’adage omnis cellula e cellula la même portée, la même valeur logique qu’au principe de composition élémentaire définitivement établi selon lui depuis Schwann ; et d’avoir cherché les moyens de sa vérification en dehors des chemins déjà balisés (l’embryologie, la protistologie), en s’engageant dans une voie nouvelle qui en assurera définitivement le succès : la pathologie. Mais une pathologie qui se voit en retour profondément réformée par le point de vue nouveau qui y est appliqué, et à laquelle Virchow donnera nom de pathologie cellulaire.

Car le changement de perspective modifie l’idée que l’on se fait de l’objet. L’extension de la théorie cellulaire aux phénomènes pathologiques n’en atteste pas seulement considérablement la validité ; elle aboutit aussi à une transformation en profondeur de la nosologie, de la terminologie et de l’étiologie des maladies. Les choses vont ainsi à double sens. A la question de savoir si la théorie cellulaire a tiré profit jusqu’ici (1858) de l’étude des phénomènes pathologiques, Virchow répond par la négative: « Ce que Schwann a fait pour l’Histologie a été peu développé et peu appliqué à la Pathologie ; c’est une étude à faire, c’est une lacune à combler que de généraliser les applications de la théorie cellulaire à la Pathologie 112  ». Mais cette généralisation ne pouvait se faire sans une refonte de la classification nosologique, c’est-à-dire sans un travail de déconstruction critique des concepts et des catégories traditionnelles utilisées en pathologie pour nommer les maladies et de leur reconstruction à la lumière des principes de la théorie cellulaire. C’est cette tâche-là qu’a entreprise Virchow concernant la notion de néoplasie et ses sous-espèces, dont la compréhension et l’extension, autrement dit l’étiologie et la nosologie des néoplasies, vont être complètement remaniées par l’introduction du « point de vue histologique » dans l’analyse pathologique. La néoplasie est définie par Virchow conformément aux résultats de ses propres recherches comme une formation histologique nouvelle résultant d’une anormale « prolifération d’éléments cellulaires préexistants 113  ». Il s’agit donc d’un phénomène pathologique dont la notion vérifie parfaitement les deux principes de la théorie cellulaire et contredit la théorie de Schwann de la formation libre des cellules dans un blastème : « Toute espèce de néoplasie a pour point de départ des éléments cellulaires préexistants. [...] On ne peut plus aujourd’hui défendre l’hypothèse des substances plastiques, et supposer qu’à côté des éléments du corps, il se dépose une substance, laquelle produit d’elle-même un tissu, qui serait un véritable surcroît pour le corps 114  ».

Mais ce point de vue nouveau appliqué aux néoplasies nécessite en retour de rejeter les classifications traditionnelles (fondées sur les qualités physico-chimiques, la forme extérieure ou les caractères cliniques des tissus malades), et d’élaborer une nosologie ayant pour critères l’homologie de structure entre les éléments cellulaires composant le néoplasme et ceux du tissu générateur (d’où la distinction entre néoplasies homologues et hétérologues), le type d’hétérologie (quant au lieu, au moment ou au degré du développement néoplasique), la ressemblance des cellules néoplasiques hétérologues avec des cellules normales d’autres tissus, etc. – Autant de critères histologiques qui aboutissent à rapprocher certaines formes pathologiques jugées naguère disparates, à en éloigner d’autres qui voisinaient dans l’ancienne classification, à modifier le champ d’extension de l’espèce et des sous-espèces de néoplasies, etc.

Cette modification de la théorie pathologique montre que Virchow a pris la mesure des conséquences de la théorie cellulaire. La proclamation de ses principes par l’auteur de la Pathologie cellulaire n’est pas que de surface. Quand même il n’en invente pas le contenu il en fournit l’application décisive ; il en démontre la portée heuristique révolutionnaire dans un domaine autre que l’anatomo-physiologie normale. Ceci explique pourquoi les formulations que nous allons citer de Virchow concernant la réponse aux questions de la composition et de la genèse des organismes sont passées à la postérité.

S’agissant la réponse à la question de la composition élémentaire des êtres vivants, Virchow adopte sans réserve la théorie cellulaire de Schleiden et de Schwann, qu’il considère comme un préalable acquis définitivement à la science, ainsi que la notion sous-jacente à cette théorie – que n’admettaient pas, on l’a vu, les Philosophes de la nature – de l’individualité des parties anatomiques au sein du tout :

‘« La cellule est le dernier élément morphologique de tout phénomène vital [das letzte eigentliche Form-Element aller lebendigen Erscheinung], et l’action vitale ne doit pas, en dernière analyse, être rejetée au-delà de la cellule [...] L’action vitale émane de l’élément organique per se ; l’élément n’est actif qu’aussi longtemps qu’il se présente à nous comme un tout complet [als Ganzes], jouissant d’une existence particulière. 115  »’

Tout conçu – point significatif sur laquelle nous reviendrons – sur le modèle de l’organisation sociale :

‘« Quelque modifiée qu’elle puisse être, quelque variable que soit sa composition intérieure, la cellule représente une forme élémentaire qui sert de base à tous les phénomènes vitaux. [...] Une seule forme élémentaire [eine bestimmte Uebereinstimmung der elementaren Form] traverse tout le règne organique, restant toujours la même ; on chercherait en vain à lui substituer autre chose, rien ne peut la remplacer. Nous sommes donc conduits à considérer les formations plus élevées, la plante, l’animal, comme la somme [Summirung], comme la résultante d’un nombre plus ou moins grand de cellules semblables ou dissemblables. [...] Chaque animal représente une somme d’unités vitales qui portent chacune en elles-mêmes les caractères complets de la vie [eine Summe vitaler Einheiten, von denen jede den vollen Charakter des Lebens an sich trägt]. [...] On voit donc que l’organisme élevé, que l’individu résulte toujours d’une espèce d’organisation sociale [eine Einrichtung socialer Art], de la réunion de plusieurs éléments mis en commun : c’est une masse d’existences individuelles dépendantes les unes des autres [eine Masse von einzelnen Existenzen auf einander angewiesen ist] ; mais cette dépendance est d’une nature telle que chaque élément a son activité propre [eine besondere Thätigkeit hat], et même lorsque d’autres parties impriment à l’élément une impulsion, une excitation quelconque, la fonction n’en émane pas moins de l’élément lui-même et ne lui en est pas moins personnelle. 116  »’

Il en va de même s’agissant de la réponse à la question du mode de génération des éléments anatomiques. L’éclectisme n’est plus possible selon Virchow, qui permettait aux biologistes de s’accommoder au besoin, selon la nature du tissu, de l’organisme ou du stade de développement examinés, de plusieurs théories. La théorie de la formation libre des cellules à partir d’un blastème défendue par Schleiden et Schwann est à écarter absolument, même dans les cas où manquent encore les preuves permettant de l’infirmer. « Je rejette complètement aujourd’hui, dit Virchow, la théorie du blastème. Je l’ai remplacée par la doctrine plus simple du développement continu des tissus 117  ». L’idée selon laquelle toute cellule provient d’une cellule préexistante, que « partout où il existe des parties morphologiques, elles viennent d’une partie préexistante, d’une cellule 118  », est un principe qui ne souffre aucune restriction :

‘« Actuellement on ne peut considérer la fibre, le globule ou le granule élémentaire comme le point de départ du développement histologique ; on n’a plus le droit de supposer que les éléments vivants proviennent de parties non organisées ; on n’en est plus à regarder certaines substances, certains liquides comme plastiques (matière plastique, blastème, cytoblastème). Sur ces points, il s’est fait, dans ces dernières années, une révolution profonde. En pathologie comme en physiologie, nous pouvons poser cette grande loi [allgemeines Princip]: Il n’y a pas de création nouvelle [keine Entwicklung de novo beginnt] ; elle n’est pas plus pour les organismes complets que pour les éléments particuliers, la génération hétérogène [Generatio aequivoca] est à rejeter pour les uns comme pour les autres. De même que le mucus saburral ne forme pas un ténia, de même qu’un infusoire, une algue, un cryptogame, ne sont pas produits par la décomposition des débris organiques végétaux ou animaux ; de même, en histologie physiologique et pathologique, nous nions la possibilité de la formation d’une cellule par une substance non cellulaire. La cellule présuppose l’existence d’une cellule [wo eine Zelle entsteht, da muss eine Zelle aufbauen könne] (omnis cellula a cellula), de même que la plante ne peut provenir que d’une plante et l’animal d’un autre animal. Quand bien même on ne serait pas certain de la génération de certaines parties du corps, le principe [Prinzip]n’en est pas moins démontré. Dans toute la série des êtres vivants, plantes, animaux ou parties constituantes de ces deux règnes, il est une loi éternelle [ein ewiges Gesetz], c’est celle du développement continu [continuirlichen Entwicklung]. 119  »’

La théorie cellulaire est désormais étayée sur des données anatomiques, protistologiques, embryogéniques et pathologiques solidement établies, et clairement identifiée sur le plan formel (cf. les deux principes). Elle va gagner l’assentiment de la plupart des biologistes et des médecins, et même au-delà, une notoriété et une crédibilité qui dépasse largement les cercles académiques, à mesure de la divulgation des résultats déjà acquis et de ses confirmations ultérieures, de la publicité faite autour des controverses aux enjeux philosophiques non moins que scientifiques qu’elle soulève. A partir des années 1860, la théorie cellulaire c’est, pour une fraction croissante du public intéressé aux questions scientifiques, la promesse d’une ère nouvelle en biologie et en médecine. Canguilhem date de 1874, année des premières publications de Ernst Haeckel (1834-1919) sur la Gastraeatheorie 120 et de Claude Bernard sur le mécanisme cellulaire des phénomènes physiologiques fondamentaux (nutrition et génération), la consécration « sociale » (qui ne se réduit pas à celle donnée par la communauté scientifique) de la théorie cellulaire. En 1882, un homme qui n’est pas, comme on dit, du métier – quoique qu’il fut volontiers porté pour des raisons intellectuelles à l’étude des travaux d’histoire naturelle et de biologie et auteur d’une thèse déjà citée sur les sociétés animales à l’appartenance académique (la philosophie) discutable – et qui est resté un défenseur de la théorie largement abandonnée du blastème 121 , Alfred Espinas, pouvait dire que « la théorie cellulaire est le fond même de la biologie moderne 122  ». Quand bien même on n’accepte pas ou mal, à l’instar d’Espinas, l’axiome omnis cellula a cellula, il faut mettre au crédit de son auteur le fait d’avoir fait progresser le sentiment que s’imposent dans les sciences de la vie le principe de composition élémentaire et son corollaire, l’idée de l’individualité des éléments du tout organique, que ces philosophèmes participent désormais des fondamentaux de la biologie 123 . Le bouleversement opéré dans les sciences de la vie par la doctrine darwinienne de l’évolution n’empêche pas l’un de ses partisans résolus, l’embryologiste Oscar Hertwig de donner la préséance sous ce rapport à la théorie cellulaire, « à juste titre, considérée comme le fondement le plus important [der wichtigsten Fundamente] de toute la biologie moderne 124  ».

Notes
108.

R. Virchow, Die Zellularpathologie in ihrer Begründung auf physiologische und pathologischer Gewebelehre, 1858. Pour la traduction française de l’ouvrage, cf. supra n. 1.

109.

En 1844, A. Kölliker émettait déjà l’hypothèse, qu’il abandonnera avant qu’elle soit à nouveau confirmée au début des années 1850 par les travaux de R. Remak et d’autres, « que dans tout le développement des tissus animaux, aussi bien que végétaux, il n’y a aucune production de cellules en dehors de celles existant déjà ; qu’au contraire tous les phénomènes doivent être interprétés comme dérivant de modifications d’organes élémentaires tous initialement de même valeur et descendant d’un seul élément primitif. » (texte repris in A. Kölliker, Embryologie de l’homme et des animaux supérieurs (1861),trad. Schneider sur la 2e éd., Paris, Reinwald, 1882, pp. 18-19)

110.

Cf. J. R. Baker : « The Cell-Theory : a Restatement, History and Critique. Part. IV: The Multiplication of Cells », in Quarterly Journal of Microscopical Science, t. 94, 1953, pp. 407-40.

111.

R. Remak, Untersuchungen über die Entwicklung der Wirbeltiere, Berlin, Reimer, 1855, p. 140, cité et trad. par F. Jacob, La logique du vivant, op. cit., p. 141. Plus généralement, sur la synthèse qui s’opère à partir des années 1840 entre la théorie cellulaire et l’embryologie et les progrès des études histogénétiques au 19e siècle, cf. M. L. Vialleton : « Les théories embryologiques et les lois de la biologie cellulaire », Revue Scientifique, 1893, pp. 1-21.

112.

R. Virchow, La pathologie cellulaire…, op. cit., 1re leçon, p. 2.

113.

Ibid., 1re leçon, pp. 24, 28 ; 18e leçon, pp. 333, 335, 347, 358.

114.

Ibid., 19e leçon, p. 371.

115.

Ibid., 1re leçon, p. 3.

116.

Ibid., pp. 11-12 (souligné par l’auteur).

117.

Ibid., 18e leçon, p. 332.

118.

Ibid., p. 336.

119.

Ibid., 1re leçon, pp. 23-24 (souligné par l’auteur).

120.

Théorie qui corrobore les principes de la théorie cellulaire selon laquelle les Métazoaires dériveraient phylogénétiquement d’une souche commune disparue, appelée par Haeckelgastraea, ayant pour forme une vésicule invaginée constituée de deux feuillets cellulaires homologues, et dont on retrouverait l’équivalent morphologique (la gastrula) aux premiers stades de l’embryogenèse (cette théorie, de plus en plus critiquée, sera progressivement abandonnée par les biologistes au 20e siècle). Cf. E. Haeckel : « Die Gastraea-Theorie », Jenaische Zeitschrift für Naturwissenschaft, n° 8, 1874, pp. 1-55. On trouvera une traduction française d’un extrait substantiel de cet article dans : J. C. Dupont et S. Schmitt, Du feuillet au gène. Une histoire de l’embryologie moderne : fin 18 e / 20 e siècle, Paris, éd. Rue d’Ulm, 2004, pp. 61-69.

121.

Cf. partie I, chap. 2, 1, « L’énoncé des principes ».

122.

« Personne ne nie plus que l’être vivant soit composé d’éléments anatomiques physiologiquement et morphologiquement distincts. La théorie cellulaire est le fond même de la biologie moderne. » (A. Espinas : « Les études sociologiques en France », Revue Philosophique, n° 6, juin 1882, p. 567)

123.

Il faut cependant se garder de penser que le principe de composition élémentaire des organismes a triomphé sur toute la ligne après 1870. Les historiens, et en premier lieu Marc Klein, ont montré au contraire la résistance obstinée opposée jusque tard dans le siècle, notamment par certains membres éminents des milieux des biologistes et des médecins parisiens, à l’idée que l’organisme ne serait qu’un composé de cellules et de produits dérivés de cellules, et que la cellule serait l’unique constituant élémentaire de tous les êtres vivants. C’est le cas particulièrement de Charles Robin (1821-1885) et de certains de ses élèves (Georges Pouchet, Robert Tourneux). Robin micrographe français fort réputé et influent sur le plan intellectuel et institutionnel, auteur de nombreuses découvertes d’importance (gaines lymphatiques des vaisseaux cérébraux, périnèvre des nerfs, myéloplaxes de la moelle…), co-auteur avec Littré du célèbre Dictionnaire de Médecine, premier titulaire d’une chaire d’histologie à Paris, co-fondateur et vice-président de la prestigieuse Société de Biologie, tient encore dans les années 1870 la cellule pour un constituant élémentaire parmi d’autres de l’organisme, et pour possible la formation libre des cellules à partir d’un blastème entendu d’une certaine manière (qu’il ait une courte durée d’existence, qu’il soit histologiquement divers et le produit des éléments anatomiques). Autrement dit, il n’admet ni le premier ni le second principe de la théorie cellulaire : 1° « Sous le nom de cellule on désigne en anatomie et en physiologie l’une des formes élémentaires de la substance organisée des plantes et des animaux, irréductible en parties plus simples autrement que par destruction mécanique ou par décomposition chimique lui enlevant son individualité anatomique et physiologique dans l’un et l’autre cas. Presque toutes les individualités élémentaires organiques débutent par l’état de cellule [...]. Pourtant il n’est pas rigoureusement exact de dire, avec quelques auteurs, que tous les éléments anatomiques, sans exception, sont des cellules ou, en d’autres termes, que la substance organisée des plantes et des animaux ne présente aucune autre forme que la forme cellulaire. » (C. Robin : « Cellule », in Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, op. cit., t. 26, 1874, p. 563-64) ; 2° « Ainsi qu’on le voit, les principes des blastèmes sont fournis d’une manière immédiate par la substance même des éléments anatomiques, entre lesquels ou à la surface desquels ils apparaissent, qui préexistent à leur production, mais non par le plasma sanguin. [...] Les principes immédiats servant à la génération de nouveaux éléments anatomiques [...] par leur ensemble constituent les blastèmes à l’aide et aux dépens desquels vont naître ces éléments. » (C. Robin : Anatomie et physiologie cellulaires, Paris, Baillière, 1873, pp. 13-14.) – On le voit : si la théorie cellulaire garde des adversaires acharnés à une époque où elle semble paradoxalement avoir partie gagnée du côté de l’épreuve des faits, c’est parce que l’idée répugne encore à des esprits fortement imbus d’une idée contraire. On a là une preuve supplémentaire du problème idéologique, et non strictement technique (l’administarion de la preuve), que pose la théorie cellulaire en raison de sa nature même de théorie d’anatomie fondamentale.

124.

O. Hertwig, La cellule et les tissus. Eléments d’anatomie et de physiologie générales, trad. Julin, Paris, Carré, 1894.