2. L’analogie socio-politique

Nous voici arrivés au point où il faut faire état de ce changement fondamental affectant la représentation de l’organisme vivant. En rejetant le postulat de l’instrumentalité des parties, les biologistes s’interdisent dorénavant de se figurer l’organisme à l’image d’une machine ou d’une fabrique dont les parties seraient des pièces ou des instruments au service d’une finalité imposée par le tout (que ce tout soit animé par un souffle vital, pneuma ou archée, comme chez Aristote, ou qu’il soit un automate fonctionnant strictement « suivant les lois exactes des Mécaniques », comme chez Descartes). Le temps n’est plus où l’on pouvait assurément se référer, fut-ce de manière seulement implicite, au modèle technologique pour expliquer l’ordre et la disposition remarquables des parties-organes par lesquels les organismes se distinguent des pseudo-touts de sommation, et qui leur valaient par excellence d’être qualifiés de tout par Aristote. Georges Canguilhem disait « qu’aussi longtemps qu’on prend dans la technologie les modèles d’explication des fonctions de l’organisme, les parties du tout sont assimilées à des outils et à des pièces de machines 142  ». Inversement : à présent que l’expression fonction organique, au sens général du terme – c’est-à-dire abstraction faite de la distinction faite plus haut entre propriété et fonction –, ne s’entend plus seulement des fonctions des organes et des appareils, mais aussi et même premièrement des diverses propriétés fonctionnelles de la cellule, et qu’il n’est par conséquent plus possible d’assimiler le concept de fonction organique au concept d’usage, l’implication de cette assimilation, laquelle consiste dans l’usage d’un modèle technologique de l’organisme, disparaît.

Notes
142.

G. Canguilhem : « Le tout et la partie dans la pensée biologique », op. cit., p. 323.