3. Modèle ou métaphore ?

Un doute au demeurant subsiste quant à la signification logique de ces analogies. Cette assimilation de l’organisme à la société sous le rapport de l’organisation est-elle une simple métaphore, une image commode dont la valeur serait purement didactique ou pédagogique ? Ou bien faut-il la prendre au sens littéral, comme la conséquence ou l’expression d’un nouveau modèle de l’organisation des êtres vivants ? On a pu dire que ce qui différencie un modèle – un modèle analogique 1 du moins – d’une métaphore, c’est sa portée théorique prescriptive. Un modèle se reconnaît à ce qu’il impose certaines contraintes d’ordre logique dans la façon de concevoir les problèmes, et par suite, dans l’orientation et la pratique de la recherche. Nul doute que l’application du terme entendu en ce sens soit justifiée dans le cas du « modèle technologique ». On a vu les conséquences qui résultaient de son emploi sur le plan de la terminologie anatomo-physiologique, de l’heuristique (où il s’est avéré être un frein plutôt qu’un accélérateur du progrès des connaissances 2 ) et de l’orientation de la recherche physiologique (les fonctions de relations des animaux articulés, dont certains organes au moins sont susceptibles de ressembler morphologiquement à des outils), de la définition de la physiologie (anatomia animata, discours de usu partium) et de sa méthode (déduction anatomique), du statut épistémologique (inférieur) qui lui est conféré, etc. Qu’en est-il maintenant que les parties organiques apparaissent moins comme des outils ou des pièces de machines que comme les individus d’une société ?

Notes
1.

Nous reprenons la distinction entre modèle analogique et modèle illustratif développée par Georges Canguilhem : « Modèles et analogies dans la découverte en biologie » (1961), in G. Canguilhem, Etudes d’histoire, op. cit., pp. 305-318). En l’occurrence il s’agit bien d’un schème de type analogique, c’est-à-dire d’un modèle permettant de se représenter, de se figurer mentalement une structure ou un fonctionnement ; non d’un modèle matériel illustratif, valant comme exemple, comme il est fait généralement usage dans les sciences physico-chimiques. Il en va pareillement, à ce qu’il semble, du modèle linguistique en biologie moléculaire. Cf. sur ce point F. Jacob : « Le modèle linguistique en biologie », Critique, t. 30, n° 322, mars 1974, pp. 197-205.

2.

Cf. supra partie I, chap. 1, 3 : sur les découvertes des mécanismes de la circulation du sang et de la respiration, auxquelles l’application de ce modèle fit obstacle.