1. La division du travail physiologique au niveau cellulaire

Nous voici parvenus au moment historique et logique où la notion de division du travail va être mobilisée aux fins de résolution de cette problématique de philosophie biologique. Théorie cellulaire, théorie de la division du travail : en toute logique, les biologistes n’allaient pas tarder à trouver leur point d’articulation. S’il apparaît comme établi, d’une part que la partie organique par excellence, ce n’est pas le tissu ou l’organe mais la cellule (théorie cellulaire), d’autre part que les fonctions sont plus ou moins localisées dans une partie déterminée du corps animal selon le rang zoologique qu’il occupe ou son degré d’achèvement embryogénique (théorie de la division du travail), comment résister à l’idée d’identifier ces parties aux cellules, d’étendre le champ d’application du concept de division du travail jusqu’au niveau de la structure élémentaire des êtres vivants ? Autrement dit la division du travail physiologique ne doit dorénavant plus porter seulement sur les propriétés fonctionnelles des tissus, organes, appareils, systèmes de l’organisme – toutes formations secondaires que l’on doit se garder de confondre avec l’ « élément » anatomique –, mais aussi et en premier lieu sur celles des cellules. On parlera alors de « division du travail cellulaire », de « division du travail des cellules » 1 . Or, comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent 2 , la notion de division du travail physiologique se présente par ailleurs comme une théorie étiologique cohérente de l’interdépendance des parties dans un tout complexe. Dès 1826, Milne-Edwards relevait que les mutilations subies par un animal lui étaient d’autant moins dommageables et les parties sectionnées d’autant plus viables que ses fonctions étaient diffuses sur tout le corps, et non l’apanage d’une partie déterminée de celui-ci. Autrement dit en termes abstraits : le degré de dépendance mutuelle des parties du tout varie en fonction du degré de concentration de ses fonctions. La localisation fonctionnelle, en plus d’être tenue pour la cause d’un perfectionnement organique une fois qu’elle a été assimilée à un phénomène de division du travail, apparaît comme la cause d’une augmentation de la dépendance mutuelle des parties du tout. Ceci revenait à faire de la division du travail une notion intéressante non seulement du point de vue du problème du fondement de la valeur organique – problème qui avait motivé à l’origine l’adoption de cette notion d’origine économique –, mais aussi du point de vue du problème du rapport entre le tout et la partie dans l’organisme – question que l’on croyait alors résolue (cf. le modèle technologique du vivant) mais qui va retrouver une soudaine actualité avec l’avènement de la théorie cellulaire. Double problématisation d’une même notion donc, qui n’allait pas manquer de faire sentir ses effets dans le traitement du second problème. Car en employant une notion utilisée à l’origine à d’autres fins, les biologistes couraient évidemment le risque d’introduire dans leurs analyses les déterminations (la relation de causalité entre division du travail et perfectionnement organique notamment) qui lui avait valu d’être qualifiée pour cette première fonction. Ces déterminations eussent assurément été absentes si la localisation fonctionnelle n’avait pas été assimilée à un phénomène de division du travail. Mais en tenant pour acquis cette assimilation, on s’impose l’obligation de se servir d’une notion dont la compréhension déborde les besoins théoriques qui motivent sa présente utilisation.

Notes
1.

On trouve ces expressions notamment chez E. Haeckel, Essais de psychologie cellulaire, op. cit., pp. 19, 55, 111-112, 114, 154 ; Anthropogénie, op. cit., p. 109 ; M. Verworn, Physiologie générale, op. cit., p. 637 ; A. Labbé : « La différenciation des organismes », op. cit., p. 776 ; M. Duval, Précis d’histologie (1897), Paris, Masson, 1900, p. 97.

2.

Cf. notamment pp. 16-21, 28-30.