L’application du concept dynamique au niveau cellulaire

Nous n’avons jusqu’ici parlé que de la division du travail des cellules appliquée aux termes composant la série animale (les organismes adultes), c’est-à-dire au sens où l’entend le zoologiste. Mais qu’en est-il de la division du travail cellulaire appliquée cette fois aux termes de la série des étapes du développement individuel (les formes embryonnaires), au sens actif où l’entend l’embryologiste ? On se rappelle que, dans les années 1840-1850, les recherches menées en embryologie, notamment à l’instigation des savants de langue allemande (Carl von Siebold, Theodor Bischoff, Karl Vogt, Karl Reichert, Robert Remak, Albert von Kölliker 448 ) ont abouti à des résultats parfaitement conformes aux principes proclamés par Schwann et Virchow : découverte de la nature unicellulaire de l’ovule puis du spermatozoïde ; identification du mécanisme du développement à un processus (appelé segmentation de l’œuf) de division réitérée des cellules ; généralité de ces phénomènes dans l’ensemble du règne animal 449 . Au point que la jeune discipline s’est révélée rapidement, en même temps qu’elle s’en appropriait les principes, comme un des plus sûrs soutien de la théorie cellulaire, dont les contributions à cet égard égalent peut-être en importance celles de la pathologie, de la physiologie et de l’anatomie générale.

Aussi n’y a-t-il pas lieu de s’étonner de voir les embryologistes qui s’emparent du concept de division du travail physiologique en opérer presque immédiatement la jonction avec la théorie qu’ils considèrent à bon droit comme un des fondements de leur discipline et un outil ayant prouvé sa valeur heuristique, savoir la théorie cellulaire. Sur ce point encore les sources abondent, qu’il nous faut sélectionner. Nous nous en tiendrons aux plus anciennes et à quelques grands noms de l’embryologie. Parmi ceux-ci : Gegenbaur, auquel on doit la confirmation de l’hypothèse, hasardée quelques années plus tôt par Schwann (1839), selon laquelle l’œuf des vertébrés est une simple cellule. Dans son Manuel d’anatomie comparée (déjà cité), il écrit à propos de la différenciation histologique :

‘« La marche que suivent les tissus dans leur formation [Gewebeentstehung], et leur séparation dans le cours du développement [Entwickelung] subséquent, est donc une différenciation [Differenzirung]. Comme chaque agrégation de cellules [jedem different gewordenen Zellenaggregate] ayant subi de telles transformations correspond à une fonction déterminée de l’organisme, laquelle auparavant n’était pas attachée à une partie nettement circonscrite, et dévolue même, confusément avec toutes les autres fonctions à une seule cellule pendant l’existence de l’organisme comme œuf, on doit considérer cette différenciation comme une division du travail [so ist diese Differenzirung als eine Arbeitstheilung aufzufassen]. De nouvelles manifestations apparaissent, les fonctions se divisent, et les forces actives déterminant chaque acte principal s’étant réparties sur des portions spéciales, principalement ou exclusivement perfectionnées à leur but, l’organisation se complique. 450  »’

On retrouve dans ce passage les couples traditionnels de notions dont l’emploi a déjà été mentionné en embryologie : division du travail-différenciation, division du travail-perfectionnement ; mais ces notions se voient à présent accorder une portée du point de vue de la compréhension des mécanismes élémentaires des phénomènes ontogénétiques, autrement dit du point de vue d’une théorie embryologique résolument et explicitement cellulaire. Pour le dire plus précisément, ce qui est nouveau ce n’est pas tant que la division du travail physiologique se présente ici chargée d’un sens actif, l’idée que le degré de division du travail physiologique augmente à mesure qu’on passe d’un stade à un autre plus avancé du développement individuel – cela, on le savait au moins depuis 1844, date de la publication des Considérations de Milne-Edwards – ; ce qui est inédit, c’est l’idée que cette division du travail physiologique s’applique, au-delà des propriétés fonctionnelles des tissus et des organes des formations embryonnaires, à celles de leurs constituants élémentaires que sont les cellules. Ce nouveau degré (cellulaire) atteint dans l’analyse du phénomène de la division du travail aux diverses phases de l’évolution embryonnaire retiendra particulièrement l’attention d’un des élèves de Gegenbaur : l’auteur (souvent cité par nous) de la célèbre et controversée Gastraeatheorie, Ernst Haeckel. Parmi les ouvrages de ce dernier, il n’en est guère qui ne revienne à un moment ou à un autre sur le sujet, et ne contienne à ce propos quelque développement intéressant. Nous en reproduisons quelques passages, extraits respectivement de l’Histoire de la création des êtres organisés (1868), de l’Anthropogénie (1874) et des Essais de psychologie cellulaire (1880) :

‘« Le développement individuel progressif, ou l’ontogenèse de chaque organisme individuel, à partir de l’œuf jusqu’à la forme parfaite, consiste simplement en un mouvement de croissance, de différenciation et de progrès [Reihe von Differenzirungs und Fortschrittsbewegungen]. Cela est vrai aussi bien des animaux que des plantes et des protistes. [...] Chacun de ces animaux a pour point de départ originel une simple cellule, un ovule. Cette cellule ovulaire se multiplie par division et forme un groupe de cellules ; ce groupe de cellules s’accroît, les cellules primitivement semblables se développent inégalement, la division du travail et le perfectionnement s’opèrent [sich durch Arbeitstheilung und Vervollkommnung derselben vermehren] ; de tout cela résulte l’organisme parfait, dont nous admirons la structure. 451  »’

Le second contient déjà plus de précision sur le processus de division du travail cellulaire durant le développement :

‘« Au début de l’évolution individuelle, on voit d’abord naître d’une cellule ovulaire, par bipartition réitérée, un amas de cellules semblables entre elles. [...] Au début, ces nombreuses cellules, nées par bipartition réitérée de l’ovule fécondé, sont toutes identiques. Mais peu à peu il s’établit entre elles une certaine division du travail [allmählich tritt unter ihnen Arbeitstheilung ein] ; elles assument des tâches diverses. Aux unes l’alimentation, aux autres la reproduction, à d’autres la protection ou la locomotion, etc. En langage histologique, il faut dire que ces cellules deviennent digestives, musculaires, osseuses, nerveuses, cellules des organes des sens, cellules des organes de la génération, etc. 452  »’

Dans le troisième, Haeckel s’attarde longuement sur les premiers stades de cette division du travail cellulaire:

‘« Les divers tissus, qui donnent à chaque organe ses propriétés physiologiques, sont composés de différentes espèces de cellules – cellules musculaires, cellules des os, des glandes, de l’intestin, des organes de la génération, etc. Comment toutes ces diverses espèces de cellules sont nées et descendent généalogiquement, par la division du travail, d’une seule et unique forme cellulaire originelle, le développement individuel de tout œuf d’animal supérieur nous le montre encore aujourd’hui. En effet, la cellule ovulaire fécondée se divise d’abord, par scission répétée, en un grand nombre de cellules de même espèce tout à fait simple. De ces cellules de la Morula proviennent ensuite les deux feuillets germinatifs primaires de la Gastrula, et cette différenciation en deux couches de cellules différentes est le commencement de la division du travail histologique. De la différenciation des cellules du feuillet germinatif externe, ou cellules de l’exoderme, en cellules de la peau, des nerfs, des muscles, etc., et de la production, également par différenciation des cellules du feuillet germinatif interne, ou cellules de l’entoderme, – des cellules de l’intestin, des glandes, etc., résulte la formation des tissus, ou différenciation histologique, sur laquelle repose l’élaboration des différents organes. 453  »’

Tout se passe comme si les récents acquis de la recherche en matière d’histogenèse animale (la nature cellulaire de l’œuf, la formation des feuillets germinatifs puis des premiers tissus par voie de division cellulaire, etc.) fournissaient à la fois un argument et une illustration supplémentaires à la théorie de la division du travail physiologique. S’il n’est pas fait état dans ces propos du thème de l’interdépendance des parties, il en est d’autres qui montrent que l’idée d’une relation de causalité entre la division du travail et la solidarité des parties et l’importance qu’elle revêt du point de vue de la résolution du problème du tout et de la partie en biologie n’ont pas non plus échappé à Haeckel : « Originairement tout organisme polycellulaire est une cellule simple ; il devient polycellulaire, parce que la cellule primitive se divise, et que les jeunes cellules ainsi formées demeurent juxtaposées et constituent, grâce à la division du travail [durch Arbeitstheilung], une communauté [Gemeinde], un véritable Etat 454 . » Preuve encore une fois de la nouvelle fonction à laquelle on entend dorénavant faire servir le concept et de la richesse des déterminations que recouvre sa compréhension en biologie, comparée à sa compréhension économique.

Pour finir sur ce point, nous laisserons la parole à l’un des plus grands embryologistes de sa génération (entres autres contributions, il a été le premier à observer en 1875 chez l’oursin la pénétration du spermatozoïde dans l’ovule et la fusion des noyaux ; il a établi en 1890 l’identité fondamentale (mécanisme de la méiose) des phénomènes d’ovogenèse et de spermatogenèse) : Oscar Hertwig. Voici ce que ce dernier écrivait à propos de la division du travail physiologique, en 1886, dans son Traité d’embryologie – ouvrage qui s’est rapidement imposé comme une référence en la matière :

‘« Pour bien comprendre l’importance de ce principe [de la division du travail] pour le développement de l’embryon, nous devons nous rappeler que la vie de tout être organisé se manifeste par un ensemble de fonctions différentes. Les organismes tirent leur propre substance du dehors ; ils assimilent ce qui peut leur être utile et rejettent ce qu’ils ne peuvent utiliser (nutrition et assimilation). Ils peuvent modifier la forme de leur corps en contractant leurs muscles (motilité) ; ils sont en état d’être impressionnées par les agents extérieurs (sensibilité ou irritabilité) ; enfin ils possèdent le pouvoir de produire des êtres semblables à eux-mêmes (reproduction). Chez les organismes pluricellulaires inférieurs, les différents éléments constitutifs [alle einzelnen Theile] accomplissent encore tous, de la même manière, les diverses fonctions nécessaires à la vie organique. Mais, plus l’organisme est hautement organisé, plus ses différentes cellules se partagent les fonctions [seine einzelnen Zellen sich in die Aufgaben des Leben theilen]. Certaines d’entre elles ne s’occupent que de la nutrition ; d’autres servent à la motilité, d’autres à la sensibilité ; d’autres encore à la reproduction. Cette division du travail physiologique entraîne nécessairement un perfectionnement dans l’accomplissement des diverses fonctions. De plus, tout changement ou perfectionnement physiologique que subit une cellule détermine chez elle des modifications dans sa texture intime. Il en résulte que la différenciation morphologique ou histologique marche toujours de pair avec la division du travail physiologique [der physiologischen Arbeitstheilung geht stets auch Hand in Hand eine morphologische oder histologische Differenzirung]. Les éléments cellulaires [Elementartheile]qui sont spécialement affectés à la digestion se présentent sous la forme de cellules glandulaires ; ceux qui sont affectés à la contractilité sont devenus des cellules musculaires ; d’autres se sont transformés en cellules nerveuses ; d’autres encore en cellules sexuelles, etc. Enfin les cellules qui accomplissent une même fonction sont généralement réunies par groupes, en un tissu spécial. 455  »’

On ne saurait être plus clair ni plus précis : le progrès de la division du travail physiologique, tout à fait manifeste à mesure que l’embryon se développe, entraîne à la fois un meilleur accomplissement des fonctions assumées par les éléments anatomiques ou cellules (perfectionnement organique), et une modification de leur forme (différenciation morphologique). La différenciation dépendant de la division du travail, le parallélisme observé entre les phénomènes anatomiques (de différenciation) et physiologiques (de localisation des fonctions) perd son caractère mystérieux. Le perfectionnement dépendant aussi de la division du travail, il s’ensuit qu’il est justifié d’employer la différenciation comme critère de perfection organique. Pour reprendre les formules utilisées par Hertwig dans un ouvrage postérieur : s’il est vrai d’une part que « par la différenciation histologique, qui s’accomplit peu à peu au cours du développement, nous avons une preuve tangible de la division physiologique du travail s’établissant dans l’agrégat constitué par les cellules embryonnaires primitivement semblables », d’autre part que « à la division du travail est liée en même temps à un grand perfectionnement dans l’exécution des fonctions 456 », il est clair en effet que la différenciation doit être tenue aussi pour une « preuve tangible » du perfectionnement organique.

Reste le troisième rapport de causalité, celui qui existe entre la division du travail (comme cause) et la solidarité des parties composant le tout (comme effet), dont la notion est, il est vrai, absente dans le passage précédent. A en lire d’autres cependant, on s’avise qu’elle est parfaitement familière à l’embryologiste. Dans son traité sur Les tissus (1898), Hertwig va jusqu’à élever cette relation causale, relation qui veut que « plus la cellule se différencie, plus elle perd son autonomie et devient une partie dépendante d’une unité vitale d’ordre plus élevé », au rang de « loi de l’intégration physiologique 457  ». L’importance que revêt cette loi aux yeux de Hertwig est telle qu’il lui consacre un exposé à part, dont nous reproduisons ici une partie qui condense l’essentiel :

‘« Dans une communauté vitale, plus un élément se spécialise dans sa fonction [eine besondere Leistung übernimmt] et, par conséquent, se différencie [differenzirt wird]dans sa structure, plus il perd de son autonomie et se trouve mis sous la dépendance des autres parties de la communauté et de la communauté elle-même : il lui devient subordonné ou intégré [subordinirt oder integrirt]. Cela signifie qu’il devient une partie essentielle d’un tout d’ordre plus élevé, ce qui fait que la diminution de son autonomie et de son indépendance est proportionnelle à son degré de différenciation. Le processus de la division du travail, qui conduit à la séparation des fonctions, trouve ainsi son complément naturel et nécessaire dans le processus inverse et non moins important de l’intégration [Process der Integration], grâce auquel les parties différenciées et séparées s’unissent, à leur tour, en une unité vitale [Lebenseinheit] indivisible, plus élevée et plus perfectionnée. [...] Dans la société humaine, l’individu, en dépit de sa liberté apparente et d’un semblant d’indépendance, est au contraire un membre fort dépendant, subordonné, d’un organisme social d’ordre plus élevé. De même dans une association, dans un « Etat » de cellules [Zellenstaat], le degré d’intégration est proportionnel au degré de la division du travail physiologique [dem Grad der physiologischen Arbeitstheilung entsprechend, ein geringere oder höherer Grad von Integration aus]. Chez les végétaux et les animaux inférieurs, par exemple chez les Mousses et les Polypes hydroïdes, dont les cellules sont moins différenciées en tissus et organes, ces éléments sont aussi moins dépendants les uns des autres. Aussi peut-on diviser ces organismes en plusieurs fragments : chaque fragment est capable de continuer à vivre par lui-même et de régénérer le tout à ses propres dépens. Chez les animaux supérieurs, plus la division du travail s’est poussée à l’extrême en même temps que se différenciaient des tissus et des organes de plus en plus distincts, plus aussi chaque partie est devenue subordonnée au tout et a perdu le pouvoir de continuer à vivre par elle-même, dès qu’elle se trouve séparée du tout. 458  » ’

L’extrait en fait suffisamment foi : ce qui intéresse Hertwig dans l’idée selon laquelle la solidarité entre les parties élémentaires que sont les cellules varie en fonction du degré auquel est portée la division du travail physiologique dans l’organisme, ce qui en fait la valeur, c’est sa portée explicative relativement à la question du tout et de la partie en biologie. Ici comme ailleurs, l’enjeu c’est de comprendre les conditions nécessaires à l’intégrité du tout, ou si l’on veut, à l’intégration des parties de telle sorte qu’elles forment un tout, une fois reconnue l’individualité des éléments cellulaires. Quitte à ce qu’à cette fin on importe par-dessus le marché, en même temps que l’idée censée constituer l’une des pièces de la solution, les autres déterminations que recouvre la notion de division du travail.

Notes
448.

Cf. Partie I, chap. 2, 4.

449.

Pour plus de détail sur l’histoire des débuts de l’embryologie histogénétique, voir A. Kölliker, Embryologie de l’homme et des animaux supérieurs, op. cit., pp. 16-28 ; O. Hertwig, Traité d’embryologie, op. cit., pp. 20-26.

450.

K. Gegenbaur, Manuel d’anatomie comparée, op. cit., p. 30 (souligné par l’auteur).

451.

E. Haeckel, Histoire de la création…, op. cit., pp. 259-60.

452.

E. Haeckel, Anthropogénie, op. cit., p. 103.

453.

E. Haeckel : « La périgenèse des plastidules », in E. Haeckel, Essais de psychologie cellulaire, op. cit., pp. 54-55 (souligné par l’auteur).

454.

E. Haeckel, Histoire de la création…, op. cit., p. 168 (souligné par nous). Pour preuve encore plus explicite de notre affirmation selon laquelle cette détermination (l’interdépendance des parties du tout) est bien présente dans l’idée que se fait Haeckel de la division du travail physiologique, on pourrait aussi citer cet extrait, tiré de son essai sur « La périgenèse des plastidules » : « Je considère tout organisme supérieur comme une unité sociale organisée, comme un Etat dont les citoyens sont les cellules individuelles. Dans tout Etat civilisé, les citoyens sont bien, jusqu’à un certain degré, indépendants, en tant qu’individus ; mais ils dépendent pourtant les uns des autres en vertu de la division du travail et ne laissent pas d’être soumis aux lois communes ; de même, dans le corps de tout animal ou végétal supérieur, les cellules microscopiques, en nombre innombrable, jouissent bien jusqu’à un certain point de leur indépendance individuelle, mais elles diffèrent aussi les unes des autres en vertu de la division du travail, elles sont dans un rapport de dépendance réciproque et subissent plus ou moins les lois du pouvoir central de la communauté. » (E. Haeckel, Essais de psychologie cellulaire, op. cit., pp. 17-18) –Même si ces considérations valent pour les organismes achevés non moins que pour les formes embryonnaires, et s’adressent donc autant sinon plus au zoologiste qu’à l’embryologiste, on ne saurait plus insister sur l’idée que la division du travail est cause d’un accroissement de l’interdépendance des parties.

455.

O. Hertwig, Traité d’embryologie, op. cit., p. 75 (souligné par l’auteur).

456.

O. Hertwig, Précis d’embryologie de l’homme et des animaux, trad. Mercier sur la 2e éd., Paris, Steinheil, 1906, pp. 75-76 (souligné par nous).

457.

O. Hertwig, Les tissus, op. cit., p. 114. – L’expression d’ « intégration physiologique » est une formule que l’auteur avoue emprunter à Herbert Spencer, qui en fait usage dans ses Principes de biologie.

458.
Ibid., pp. 114-16 (souligné par l’auteur). Hertwig utilise ici indifféremment les vocables d’autonomie et d’indépendance ; mais il est clair que lorsqu’il parle de la perte de l’autonomie d’une cellule, c’est l’augmentation de sa dépendance à l’égard de l’ensemble constitué par les autres parties qu’il a en tête ; non la disparition de ses propriétés vitales (sensibilité, croissance, nutrition, reproduction), que nul ne songe à nier. La distinction conceptuelle est donc bien conservée, quand même elle s’exprime sous une autre forme, en des termes différents de ceux que nous avons employés – en l’occurrence : sous la forme d’une distinction entre la cellule comme « partie dépendante d’une unité vitale d’ordre plus élevée » et la cellule comme « organisme élémentaire » (cf. Ibid., pp. 114-121). Le cas de figure inverse existe également : il est des auteurs comme Haeckel et Verworn qui prennent pour synonymes les termes d’autonomie et d’indépendance, mais en assimilant cette fois non pas l’autonomie à l’indépendance à la manière de Hertwig, mais l’indépendance à l’autonomie entendue dans le sens que nous avons défini. En sorte qu’ils se voient obligés, pour exprimer l’idée que la très forte intégration que connaissent parfois les cellules ne leur fait pas perdre leurs propriétés d’êtres vivants, de parler de la condition cellulaire dans les organismes supérieurs comme d’une « indépendance relative », ou d’un « compromis » (cf. M. Verworn, Physiologie générale, op. cit., pp. 631-37) entre dépendance (au sens où nous avons entendu ce terme) et indépendance (au sens cette fois où nous avons entendu autonomie). – La diversité des usages terminologiques ne doit donc pas faire illusion sur le fond, savoir que personne ne conteste que ce que nous avons appelé l’indépendance des cellules diminue à mesure qu’augmente la division du travail dans l’organisme, sans que ce que nous avons appelé l’autonomie des cellules en souffre fondamentalement.