3 - La controverse entre Jürgen Habermas et Peter Sloterdijk

A l’automne 1999, une vive polémique a éclaté en Allemagne, reprise dans les journaux français et européens, et vite qualifiée d’« affaire Sloterdijk », ou encore de « scandale Sloterdijk-Habermas » 240 . L’objet dudit scandale était un petit texte intitulé « Règles pour le parc humain » 241 qui venait d’être publié chez Suhrkamp. Il s’agissait à l’origine d’une conférence prononcée à deux reprises par Sloterdijk, d’abord à Bâle en juin 1997 à l’occasion d’un colloque consacré à la question de l’humanisme, puis à Elmau en juillet 1999 lors d’un congrès consacré à Heidegger et Lévinas. Il y était question de « posthumanisme », de manipulations génétiques, de « domestication » de l’être humain, ou encore de « planification explicite des caractéristiques ». On imagine sans peine le potentiel explosif de ce type de formules, surtout lorsqu’elles sont extraites de leur contexte. Les réactions, après un temps de gestation, ont été soudaines et vives, déclenchées par un article très critique de Thomas Assheuer paru dans Die Zeit et intitulé : « Le projet Zarathoustra » 242 . Sloterdijk ne tarde pas à répondre à ces attaques et, voyant derrière la cabale dont il s’estime victime les agissements de Habermas, il proclame dans les pages du même journal la semaine suivante la « mort de la théorie critique » 243  : Habermas serait en effet incapable d’accepter un débat pourtant prôné par sa fameuse éthique de la discussion 244 . La polémique s’envenime donc, le Spiegel met à sa une la photo d’un athlète saluant la foule tout droit sorti de l’imagerie du IIIe Reich et titre : « Hitler, Nietzsche, Dolly et la nouvelle querelle des philosophes. Un projet génétique, le surhomme » 245 . Ce titre démontre de manière éclatante l’amalgame qui est fait et suggère l’impossibilité d’aborder sereinement des questions qui n’ont pas nécessairement des liens directs entre elles sitôt que l’on fait l’effort d’approfondir la logique propre à chacune d’elles. Mais tout concourt, dans les médias, à créer la confusion. Tous ces thèmes, tous ces noms sont inextricablement liés : parler de génétique, c’est inévitablement raviver les plaies de l’eugénisme nazi ; citer Nietzsche, c’est faire un signe en direction du surhomme hitlérien. Impossible d’isoler un élément : le terrain est miné. Dans ces conditions, les simplifications sont un risque auquel succombent bien des commentateurs. De l’aveu de Sloterdijk, on a vu dans cette affaire « l’irruption de la presse à scandale dans les pages culturelles [...] révélant une tendance toute puissante à la réorientation des médias, qui passent de l’information à la production d’émotion » 246 .

Avant d’entrer dans l’analyse plus précise du texte de Sloterdijk et d’en dégager des conséquences sur un plan philosophique, essayons de saisir les enjeux proprement culturels et politiques de cette controverse. Dans un article du Monde des débats, Gerhard Höhn estime que ce débat dépasse en fait largement ses deux protagonistes. Il est le révélateur d’un nouveau climat politique : « Ce pourrait bien être la définition d’une nouvelle « donne » philosophique, c’est-à-dire une morale politique inédite et une nouvelle identité nationale. » 247 Le fond sur lequel prend place cette controverse est surtout celui d’un conflit de générations, avec d’un côté des intellectuels qui ont connu la guerre et qui ne la perdent jamais de vue dans leur prise de position, et de l’autre côté, des auteurs plus jeunes, nés après la guerre (Sloterdijk est né en 1947), et qui ne veulent plus être obligés de porter le poids écrasant d’un passé dont ils ne sont pas responsables. Ce rapport au passé nazi est bien sûr la marque de toute l’histoire culturelle et politique de l’Allemagne d’après 1945, depuis la question de la responsabilité collective posée en 1946 par Karl Jaspers dans Die Schuldfrage à la « seconde affaire Walser » déclenchée en 2002 par la parution du livre Tod eines Kritikers, en passant par la célèbre « Querelle des historiens », « Historikerstreit » 248 , qui éclata en 1986 et dans laquelle Habermas joua un rôle essentiel. L’année 1998 vit, à côté de l’affaire Sloterdijk, éclater une autre affaire dont le potentiel explosif est directement lié à la question de la responsabilité collective vis-à-vis du nazisme : la première affaire Walser 249 , déclenchée par le discours que l’écrivain prononça à la Paulskirche lors de la remise du Prix la Paix des libraires allemands. Cette affaire Walser est directement liée au débat sur le Mémorial de la Shoah. C’est dire si l’ambiance est pesante et s’il est utile de bien avoir à l’esprit cet enchevêtrement de controverses pour apprécier les prises de position de Habermas et de Sloterdijk. Dans ce contexte, en effet, critiquer l’humanisme classique, proclamer que « les sociétés actuelles sont post-littéraires et donc post-humanistes », parler de « domestication de l’espèce », et convoquer enfin comme références philosophiques Nietzsche et Heidegger, peut apparaître sinon comme une provocation, du moins comme une volonté de mettre de l’huile sur le feu. Jean Christophe Merle parle à ce sujet de « Querelle des Anciens et des Post-modernes » 250  : mais on pourrait plutôt parler de « Querelle des Modernes et des Postmodernes », faisant ainsi le lien avec d’autres débats engagés par Habermas avec d’autres interlocuteurs 251 . A chaque fois, sous des motifs différents, il s’agit bien du même enjeu pour Habermas : conserver les acquis des Lumières : l’autonomie, la responsabilité, la raison.

Venons-en au texte même la conférence de Sloterdijk. A la vérité, les arguments avancés ne me paraissent pas spécialement sulfureux. L’affaire montre surtout qu’il n’est guère facile d’aborder sereinement les discussions relatives aux manipulations génétiques, en Allemagne sûrement moins qu’ailleurs. Les termes de « Zähmung », de « Selektion » et d’« Auslesung » ont été, semble-t-il, interprétés de façon excessive et ont déclenché une vive polémique. Les précisions apportées par le traducteur O. Mannoni dans l’avertissement au lecteur sont très claires sur ce point. Que Sloterdijk ait calculé son effet, il est permis de le penser. Mais une lecture objective permet pourtant de rester en-deçà des réactions de franche hostilité que le texte a pu provoquer. En fait, les deux protagonistes appréhendent la question des manipulations génétiques de façon très différente. Ils ne peuvent pas se comprendre parce qu’ils ne se placent pas sur le même plan. Sloterdijk regarde l’histoire de l’espèce humaine dans son ensemble. Sa perspective est celle d’un essayiste méditatif qui analyse cette histoire en termes d’auto-domestication et qui suggère que les manipulations génétiques seront un jour ou l’autre un des instruments de ce processus. Formulé autrement : s’il est vrai que l’histoire de l’homme est avant tout l’histoire de son auto-apprivoisement, il faut se demander quelle sera la place que prendra la génétique dans ce processus irrésistible. La biogénétique pose la question de savoir comment les hommes vont dans les siècles à venir réaliser le processus d’auto-apprivoisement 252 . Il ne s’agit donc nullement de défendre ici et maintenant une politique de sélection génétique, il ne s’agit pas non plus de prescrire des règles ou des normes pour la communauté des hommes en ce début de XXIe siècle : l’horizon est celui des siècles voire des millénaires à venir. Son analyse est de l’ordre de la prospection et non de la prescription. Il ne se demande pas si l’homme doit ou non recourir à tel ou tel type d’intervention, dans quel cas il peut ou non le faire et ce que cela signifie dans notre champ normatif moderne. Non, il lui semble juste évident que la connaissance des gènes et leur manipulation entrera d’une façon ou d’une autre, tôt ou tard, dans l’expérience quotidienne des générations à venir – ce qui est d’ailleurs déjà le cas. Il ne recommande en la matière aucune direction. Il se contente de constater. Le contrôle, les règles et techniques qui rendent ce contrôle possible, font partie intégrante de la société humaine. Celle-ci ne peut se maintenir qu’en imposant un certain nombre de règles coercitives, conscientes ou inconscientes. Cette coercition peut émaner du pouvoir en place, mais plus généralement elle procède d’une sorte d’autorégulation de la société. Sloterdijk ne tombe d’ailleurs pas dans les excès d’une simplification de ce type de problématique : il critique l’analyse que fait Nietzsche du rôle des prêtres et des enseignants dans le processus de domestication des hommes. Pour lui, Nietzsche envisage un espace temporel bien trop court et il accentue trop lourdement l’idée d’une intentionnalité, d’un véritable projet d’apprivoisement de l’espèce, ce qui mène à une rhétorique du complot et du « monopole de l’élevage » peu digne de foi. Non, ce processus est un processus sans véritable sujet, une auto-régulation, un équilibre qui a pris des formes différentes au gré des millénaires et des contextes sociaux et culturels : l’idée de Nietzsche est ainsi à ses yeux « délirant[e] parce qu’il suppose l’existence d’un acteur ourdissant des plans là où l’on pourrait plutôt compter sur un élevage sans éleveurs, c’est-à-dire sur une dérive bioculturelle sans sujet » 253 .

Sloterdijk revendique ainsi explicitement une approche anthropologique. Ce qu’il a en vue, c’est la nécessité qu’il y a de rendre compte du processus de l’« hominisation ». Renouant avec des thématiques largement développées par l’anthropologie philosophique des années vingt et trente, il rappelle que l’homme contrairement à l’animal n’est pas simplement dans le monde, mais qu’il a un monde. Ce type de formules fait écho aux problématiques soulevées par Max Scheler, notamment dans Die Stellung des Menschen im Kosmos (1927) et aux expériences réalisées par Jakob von Uexsküll sur les comportements animaux ainsi qu’aux développements qu’il a consacrés aux notions de Welt et d’Umwelt. On se situe donc bien dans cette constellation de l’entre-deux-guerres, où les philosophes s’affrontent autour de la question de la définition de l’homme et qui culmine dans les rencontres de Davos en 1929 au cours desquelles Heidegger et Cassirer tentent de répondre à la question posée par l’anthropologie kantienne : qu’est-ce que l’homme ? 254 Se voir rebasculer soixante-dix ans en arrière, à l’année de sa naissance, et défendre des positions défendues alors par Cassirer face à un nouveau Heidegger, du moins face à un de ses héritiers doit, soit dit en passant, passablement agacer Habermas, lui dont toute l’œuvre est une tentative de conjurer les démons du passé allemand.

Or, toute la deuxième partie de la conférence de Sloterdijk ne vise qu’à une chose : montrer que l’effort de Heidegger pour penser l’humanisme en des termes censés redonner à l’homme une place privilégiée comme « gardien de l’Être » au sein du monde, quels que soient justement ses mérites à redéfinir le véritable humanisme, en un temps où le premier humanisme semble avoir été définitivement disqualifié, cet effort reste une posture philosophique, reposant sur des figures de pensée « crypto-catholiques » ; c’est de surcroît une posture « anachronique », tant il importe de penser l’homme dans ce processus qui de l’animal le fait devenir homme : or Heidegger ne prend pas en compte cette dimension anthropologique fondamentale. L’être humain est précisément cette créature qui a échoué « dans son être-animal » et son « demeurer-animal ». La penser en des termes d’immuabilité est un contresens anthropologique. Et si Heidegger pose une question essentielle : « Qu’est-ce qui apprivoise encore l’homme lorsque les efforts d’auto-domestication qu’il a menés jusqu’ici n’ont conduit, pour l’essentiel, qu’à sa prise de pouvoir sur tout l’étant ? » 255 il est nécessaire de la retraduire dans des termes anthropologiques ou plutôt « anthropotechnologiques », dans une perspective balayant l’histoire de l’évolution de l’humanité et de la société humaine. Dans cette perspective, la problématique des manipulations génétiques devient centrale. La biogénétique oblige à se demander de quelle façon les hommes vont dans l’avenir réaliser leur processus d’auto-apprivoisement. Arrêtons-nous un instant sur cette notion, manifestement sulfureuse, d’apprivoisement, de domestication. La domestication, c’est, au sens propre, le fait d’être tenu dans les limites d’une maison. La référence au passage de Zarathoustra où celui-ci ne reconnaît plus l’homme vivant dans de trop petites maisons, est éclairante. Ce qui peut choquer, c’est le lien direct qui est fait entre l’humanisme et l’apprivoisement. Et à voir la réaction d’hostilité qu’il a déclenchée, on peut penser que Sloterdijk a vu juste quand il déclare : « La domestication de l’être humain constitue le grand impensé face auquel l’humanisme a détourné les yeux depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours » 256 . Ainsi, l’humanisme n’aurait été qu’un processus de domestication, de sélection, de discrimination, « une culture de l’écrit aux « effets brutalement sélectifs », créant entre lettrés et illettrés une « différence d’espèce », et un processus s’ignorant soi-même, ou feignant de ne pas reconnaître sa propre logique de sélection. Le problème, c’est que Sloterdijk choisit d’interpréter de façon provocatrice un phénomène au fond très banal. En effet, faire de le la culture littéraire et de l’éducation en général un instrument de discrimination et de domination est tout simplement démagogique : l’éducation en soi n’a rien de discriminant, tout dépend de l’intention de l’éducateur et de son caractère inclusif ou exclusif, démocratique ou aristocratique. En jetant sans discernement le discrédit sur la culture humaniste en général, il semble recourir au même type de démagogie et de rhétorique du complot qu’il reproche pourtant à Nietzsche d’utiliser. De la même façon, Sloterdijk a peut-être raison quand il écrit que : « l’humanisme a toujours besoin d’un « contre quoi » et que toute société est traversée par des influences « inhibantes » et des influences « désinhibantes ». L’humanisme antique serait né, par exemple, de la lutte entre le livre et l’amphithéâtre. Mais on ne peut s’empêcher de voir dans ce type d’affirmation une forme de platitude tout comme l’intention à peine cachée de présenter un mécanisme de régulation basique comme un projet sulfureux.

Au fond, si la critique de l’humanisme paraît suspecte à Habermas, c’est qu’elle semble s’inscrire dans la lignée de toutes les tentatives de réduction (fonctionnalistes, positivistes, naturalistes...) qui, en dévoilant les ressorts de l’humain, de son organisation, les équilibres qui sont trouvés, en mettant à plat ce par quoi l’humain se construit et se distingue de l’animal, se différencie de la nature, n’aboutissent au fond qu’à nier ce qui est précisément spécifiquement humain, ce qui est son œuvre. En outre, ce qui est essentiel dans cette controverse, c’est que l’approche pseudo-anthropologique dont se prévaut Sloterdijk évacue toute considération politique, alors que nous avons vu que la question des manipulations génétiques recevaient chez Habermas une lecture essentiellement politique Ainsi, quand Sloterdijk écrit : « L’évolution à long terme mènera-t-elle à une réforme génétique des propriétés de l’espèce – une anthropotechnologie future atteindra-t-elle le stade d’une planification explicite des caractéristiques ? » 257 , ou quand il prédit qu’à l’avenir, les « anthropotechniques », déjà utilisées de façon plus ou moins inconscientes (règles de parenté, de mariage, punitions, techniques d’éducation, dressage sexuel) seront, du fait des possibilités de la génétique, de moins en moins inconscientes et feront probablement partie intégrante de politiques de planification, il n’entrevoit ni les conséquences socio-politiques de cette éventuelle planification ni le partage des responsabilités qui incombent aux principaux acteurs. Il y a sûrement là pour Habermas l’expression d’une contradiction performative : Sloterdijk se moque des conditions démocratiques grâce auxquelles il peut s’exprimer 258 . Par exemple, dans son Essai sur l’hyperpolitique, Sloterdijk rejette l’idée de hasard génétique. Or, c’est nier, comme nous l’avons vu dans l’argumentaire de Habermas, la condition de toute reconnaissance réciproque d’égalité de droits et de dignité morale. C’est, pour Habermas, ne pas être un « philosophe responsable de ses actes ». Ce débat permet ainsi de faire le lien entre les considérations sur les manipulations génétiques et la notion de responsabilité qui traverse tout l’argumentaire – et toute l’œuvre - de Habermas, sans que celui-ci ne l’ait jamais explicitement thématisée.

Notes
240.

Selon les termes mêmes de Sloterdijk : voir l’interview publiée dans la revue « Multitudes », mars 2000, p. 64-87. Sloterdijk rappelle que l’« affaire » a même eu « des épicentres en Israël et au Brésil (bastions d’un habermassianisme mondialisé) », ibid., p. 65.

241.

Regeln für den Menschenpark. Ein Antwortschreiben zu Heideggers « Brief über den Humanismus », Francfort/Main, Suhrkamp, 1999 ; trad. : O. Mannoni, Règles pour le parc humain. Une lettre en réponse à la « Lettre sur l’humanisme » de Heidegger, Paris, Mille et une nuits, 2000.

242.

T. Assheuer, « Das Zarathustra-Projekt », in Die Zeit, 2 septembre 1999.

243.

Pour plus de précisions sur le déroulement et les rebondissements de l’affaire, voir par ex. l’interview de Sloterdijk citée supra, et l’article de Jean Christophe Merle dans Libération du 22 novembre 1999. L’extrait suivant donne une idée de l’ambiance et des termes mêmes du débat : « Ce n'est que le 2 septembre que le journaliste Assheuer dénonce en termes virulents, dans la Zeit, le « Projet Zarathoustra » d'élevage des êtres humains : un projet eugéniste et fascisant. Sloterdijk voit dans cette accusation la main de Habermas et de ses puissants réseaux universitaires et journalistiques. Habermas nie. Pour lui, cette « dangereuse » conférence a suscité une indignation spontanée. Habermas dénonce le « ton supérieur » du génie philosophique autoproclamé et amoral que les philosophes de la génération d'après guerre auraient banni au profit de la discussion démocratique. Sloterdijk relève que Habermas a pourtant préféré à son endroit l'invective à la discussion entre égaux prônée par la théorie critique de Francfort, dont Sloterdijk s'empresse alors de dresser « l'acte de décès ». Une lettre de Habermas à Assheuer est rendue publique. Habermas apparaît bien avoir sollicité l'intervention de ce dernier. », J. C. Merle, art. cit.

244.

Die Zeit, 9 septembre 1999.

245.

Der Spiegel, le 27 septembre 1999. Voir à ce sujet l’article de Daniel Vernet dans Le Monde du 29/09/99 : « Der Spiegel n’y va pas par quatre chemins. En couverture, […] on voit un athlète saluant la foule, sorti de la statuaire d’Arno Breker, le sculpteur du IIIe Reich. Le débat enflamme depuis quelques jours les cahiers culturels des journaux [...]. L’an dernier, à pareille époque, le discours de l’écrivain Martin Walser, lors de la remise du Prix des libraires pour la paix, avait nourri les polémiques et ravivé des plaies mal fermées. Ce n’est pas un hasard si, une fois encore, le rapport de l’Allemagne au passé et à sa mémoire est au centre des discussions, des invectives et des anathèmes ».

246.

P. Sloterdijk, art. cit.

247.

G. Höhn, « Vers une nouvelle morale politique, l’« affaire Sloterdijk », in Le monde des débats, novembre 1999.

248.

Voir par ex. : J. Habermas, Ecrits politiques I, Paris, Le Cerf, 1990. Je reviendrai dans ma IIIe Partie sur cette Querelle et sur le concept de « patriotisme constitutionnel » que Habermas développa pour l’occasion.

249.

Dans Une époque de transitions, Ecrits politiques 1998-2003, paru en en français en 2005 (Paris, Fayard), Habermas fait des allusions à cette affaire dans son article « Rorty, Achieving our Country ». La note explicative de C. Bouchindhomme résume parfaitement le contenu de l’affaire : « Au prétexte qu’il aurait été sommé de prononcer un discours « critique », Walser s’employa en effet à dénoncer crûment les médias, en particulier les médias de référence, qui seraient selon lui entre les mains d’un certain type d’intellectuels, cherchant à s’identifier de manière obsessionnelle aux victimes du nazisme et y trouvant argument pour exercer un terrorisme sans merci sur les sociétés allemande et autrichienne — cherchant, en fait, à « instrumentaliser » le déshonneur lié au passé à des fins actuelles. La dernière preuve de ce terrorisme aurait été, selon Walser, le débat sur le Mémorial de la Shoah [...], qui allait aboutir à ce que l’on « bétonne le centre de la capitale avec un cauchemar grand comme un terrain de football » : « une monumentalisation du déshonneur [allemand] ». Se déclarant saturé ad nauseam par ce rapport au passé (« je sens quelque chose en moi se révolter contre cette présentation de notre déshonneur ») au point de se détourner du moindre programme télévisé évoquant l’horreur nazie, il en appelait enfin, invoquant les grands auteurs de la littérature allemande, à un retour à la liberté de conscience pour l’écrivain, sur la tempe duquel les « soldats de l’opinion publique » devaient cesser de braquer le pistolet de la morale — le discours ne livrait aucun nom, mais il ne faisait aucun doute que le critique littéraire d’origine juive polonaise, Marcel Reich-Ranicki, était au nombre des intellectuels visés, ainsi peut-être que Habermas ou Thomas Bernhardt, en tant, du moins, que cibles-types. Ce discours fut — Habermas le dit — applaudi debout par l’essentiel de l’élite politique et culturelle allemande, à l’exception d’Ignatz Bubis, président du Consistoire juif allemand (décédé depuis), qui, un peu plus tard, tenta d’engager avec Walser un débat. Des voix s’élevèrent pour dire que Walser se montrait incapable de faire la part de ce qui doit se dire à la Paulskirche et sur le divan du psychanalyste. [...] Dans le débat qui s’ensuivit, Walser persista dans la ligne de son discours, quitte à ce que ses relations difficiles avec certaines personnalités juives apparaissent comme cas particulier d’un malaise objectif, dont on pouvait avoir, dès lors, l’impression qu’il justifiait indirectement un nouvel antisémitisme. La publication en 2001 du roman Tod eines Kritikers (La mort d’un critique) renforça grandement cette impression et relança de manière très polémique le débat public », p. 288-289.

250.

« Le scénario est bien connu : la Querelle des Anciens et des Modernes, actualisée en Querelle des Anciens et des Postmodernes. Peter Sloterdijk (le Postmoderne) reproche à l'humanisme en général, et à Habermas en particulier (les Anciens), d'ignorer les possibilités ouvertes par les techniques génétiques, qui s'imposeront inéluctablement. Habermas reproche à Sloterdijk son eugénisme fascisant et condamne tout clonage humain. », J-C Merle, art. cit.

251.

Voir J. Habermas, Le Discours philosophique de la modernité, op. cit. Voir également l’article « La modernité : un projet inachevé », art.cit.

252.

P. Sloterdijk, ibid, p.42-43.

253.

Ibid., p. 40.

254.

Sur ce sujet, voir par exemple : E. Cassirer, Geist und Leben, Reclam, Leipzig, 1993.

255.

P. Sloterdijk, ibid, p. 30.

256.

Ibid., p. 40.

257.

Ibid., p. 43.

258.

Il est d’ailleurs difficile, et probablement vain, de situer Sloterdijk sur un échiquier politique. Mais selon Pierre Bouretz : il n’y a pas de doute : « Sloterdijk relève d’une catégorie bien identifiée : un ultra-gauchisme recyclé en néo-conservatisme radical et qui maintient sa passion dominante dans une haine fondamentale de la société bourgeoise, un rejet catégorique de la vie démocratique. », « La confusion des arguments », in Le Monde des débats, décembre 1999.