1.2. La notion de « la circonstance » dans la tradition rhétorique

Avant de passer en revue les étapes au cours desquelles la notion de complément circonstanciel a fait son entrée dans les grammaires scolaires françaises, il faut savoir qu’elle a passé par trois étapes avant sa notion actuelle. La première est d’inspiration rhétorique, les deux autres grammaticales. La tradition rhétorique c’est celle qui s’inscrit dans le terme de circonstanciel et énonce une série de « circonstances » correspondant à une série parallèle de questions. Les deux traditions grammaticales remontent au VIII e siècle.

La première, c’est celle qui définit le circonstanciel par l’adverbe ; la seconde, cherche à identifier le circonstanciel avec l’idée accessoire 1 . Mais la notion de circonstance et de complément circonstanciel était donc, au départ d’inspiration rhétorique :

‘« À la rhétorique, le circonstanciel de notre grammaire scolaire doit trois choses : son nom, ses caractéristiques fondamentales et sa procédure d’identification » 2 .’

Dans le sens purement rhétorique aussi, la notion de circonstance signifiait les lieux communs, du latin (adjuncta), notion qui regroupait les trois lieux des (adjuncta, des antecedentia et des consequentia). L’expression des lieux des circonstances, ou adjuncta, par exemple, occupait une place particulière puisqu’elle sert de moyen privilégié pour la persuasion sans pour autant constituer une preuve. La notion s’étend aussi à l’expression des différentes phases de déroulement des actions qu’aux circonstances qui concernent l’agencement des périodes et les sources des preuves.

‘« circonstances. Les circonstances en général sont de tous les lieux communs de la rhétorique le plus fécond : Voyez sources des preuves. On les divise en trois classes par rapport au temps ; celles qui précèdent une action, celles qu l’accompagnent, celles qui la suivent » 3 .’

En plus, les circonstances constituaient alors la réalité même de l’action, de la manière, du sujet dans sa totalité. L’auteur de l’action et l’action elle-même étaient des circonstances.Dans l’élocution, les circonstances étaient considérées comme des moyens privilégiés de l’expression ou de l’amplification des périodes.

Selon M. Le Guern, Caussin en énumère cinq dans son livre d’élocution à savoir : la définition, l’énumération, l’interprétation, l’accumulation et les circonstances. Mais il y a peu de distance entre la manière dont Caussin envisage les moyens d’amplifier les périodes et la théorie grammaticale des circonstanciels, telle que la formulent l’abbé Girard, Demandre, Beauzée, Court de Gébelin ou le lyonnais Morel.

M. Le Guern souligne aussi que le citoyen Morel publie, en 1804,  Un Traité ou examen analytique de la phrase et de la période par leurs membres ou parties constitutives, qui s’inspire des innovations théoriques de l’abbé Girard. Voici ce que Morel écrit sur « le membre circonstanciel » :

‘« Le membre circonstanciel est un complément indirect ou médiat de l’attribut. Il est énoncé par les mots qui expriment la manière d’être de l’attribut, ou la circonstance dans laquelle il a lieu ; et ces mots sont ou des adverbes, ou des phrases subordonnées ou des expressions adverbiales. […]. En un mot, tout ce qui sert à exprimer une manière, une circonstance, soit de temps, soit de lieu, soit de moyen, est un complément circonstanciel de l’attribut » 4 .’

Il est devenu aussi clair que les notions de circonstance et de circonstanciel ont pris naissance à partir de deux sources différentes mais qui se rejoignent enfin. Ainsi voit-on s’estomper les traces qui distinguent les deux circonstances ou plutôt les deux circonstanciels. Désormais, les deux sources vont s’amalgamer et feront une seule unité qui va s’identifier et va aussi trouver son chemin dans les prochaines grammaires.

Notes
1.

Cf. André Chervel, « Rhétorique et grammaire : Petite histoire du circonstanciel », Langue Française, n° 41, 1979, p. 8.

2.

Ibid., p. 12.

3.

Demandre, Dictionnaire de l’élocution Françoise, 1769, cité par Michel Le Guern, « Les antécédents rhétoriques de la notion de circonstance » in : S. Rémi-Giraud et A. Roman (éds.), Autour du circonstant, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1998, p. 54. Voir aussi pp. 55-56.

4.

Ibid., p. 61.