1.3. Le circonstanciel depuis la grammaire du Port-Royal

Les Vrais Principes de la Langue Françoise (1747) de l’abbé Girard joue en effet un rôle important dans l’histoire des grammaires scolaires du XIXe et du XX e siècles. Elle est la première à avoir formalisé les notions de sujet, d’objet et de circonstance. C’est avec l’abbé Girard que commence La Grammaire Générale. Le complément, pour l’abbé Girard, est ce qui est attiré par un élément explicite de rection, il parle ainsi de complément de la préposition 1 .

Quant au circonstanciel, il semble qu’il lui pose beaucoup de problèmes dans l’analyse des fonctions de la langue. Celles-ci sont analysées selon les articulations de la pensée en vertu du parallélisme logico-grammatical.

« Il énumère soigneusement les fonctions et son tableau recouvre exactement le tableau des cas du latin : les termes eux-mêmes sont ceux qui sont devenus peu à peu classiques […] La seule équivoque porte sur « circonstanciel », le terme de circonstance renvoyant généralement à l’adverbe, en sorte qu’on verra, dans le choix des exemples, l’abbé Girard passer de l’adverbe au complément prépositionnel » 2 .

Malgré cela, il faut dire que c’est l’abbé Girard qui a le mérite de donner une définition plus ou moins claire du complément circonstanciel :

« Ce qu’on emploie à exposer la manière, le temps, le lieu et les diverses circonstances dont on assaisonne l’attribution gardera le nom de circonstanciel ; puisque toutes ces choses y paraissent d’un air de circonstance » 3 . ’

Mais l’abbé Girard mourut avant d’achever son œuvre et c’est Dumarsais, son disciple, qui va compléter la tâche jusqu’à sa mort en 1756. Il va pousser plus loin la théorie de son maître. Quant à la notion de la circonstance et du complémentcirconstanciel, elle est considérée comme quelque chose d’accessoire et dont l’inexistence n’affecte pas la grammaticalité de la phrase. Il souligne qu’ 

‘« Il faut donc bien distinguer les déterminations nécessaires d’avec celles qui n’influent en rien à l’essence de la proposition grammaticale, en sorte que sans ces adjoints on perdroit à la vérité quelques circonstances de sens, mais la proposition n’en serait pas moins telle proposition » 4 . ’

A. Chervel souligne le fait quesi l’on attribue à l’abbé Girard la paternité de la notion du circonstanciel, c’est Beauzée qui a remarqué que l’on peut envisager les compléments dans l’effet de leur signification. Il distingue d’une façon apparemment très moderne, les compléments circonstanciels de lieu, de l’instrument, de cause, de fin, de temps, et les compléments modificatifs exprimant la manière.

Pour Restaut et ses successeurs aussi, la notion de circonstanciel était associée à celle de l’adverbe. Si des groupes de mots comme avec prudence, en ce jour, en ce lieu peuvent eux aussi exprimer la circonstance, c’est parce que  la préposition avec son régime peut être regardée comme un véritable adverbe : prudemment, aujourd’hui, ici.

Il est à noter encore que Boniface et Dumarsais remplacent le complément circonstanciel par complément adverbial. Mais Domergue et Silvestre de Sacy le rattachaient à une analyse logique de la phrase, il est classé parmi les éléments qui ne sont pas logiquement nécessaires à la construction de l’énoncé 5 .

D’après ce qui vient d’être dit, nous avons pu constater que la notion de « circonstance » et de « complément circonstanciel » tire son origine d’une tradition très longue et très variée. Il est temps alors de savoir comment elle a pu faire son chemin dans les grammaires scolaires qui sont à l’origine de celles de nos jours.

Notes
1.

Cf. Jean-Claude Chevalier, 1968, p. 680.

2.

Ibid., p. 681.

3.

L’abbé Girard, Les vrais principes de la langue française, cité par Michel Le Guern, 1998, p. 53.

4.

Dumarsais, cité par J.-C. Chevalier, 1968, p. 700.

5.

Cf. André Chervel, 1977, pp. 171-172.