1.4.1. La grammaire de Noël et Chapsal et la tendance à l’analyse logique

En fait, La Grammaire Générale joue un rôle considérable sur les premiers moments de la grammaire scolaire. Noël et Chapsal ont le mérite de la faire entrer à l’école vers le début du XIXe siècle. André Chervel (1977) constate que c’est à une double source que la première grammaire scolaire puisera son inspiration. D’une part la grammaire française traditionnelle, celle qui a cours, et progresse, depuis deux siècles, à travers Meigret, Vaugelas, Ménage, Régnier-Desmarsais, Restaut ou d’Olivet : grammaires du bon usage pour le public cultivé, manuels pour les étrangers, ouvrages scolaires déjà préliminaires à l’étude du latin. D’autre part, la Grammaire générale issue de Port-Royal, et qui triomphe en France avec Dumarsais, Beauzée ou Condillac.

Deux courants qui, bien évidemment, se mêlent intimement au XVIIIe siècle 1 . Cet amalgame des deux courants a fait naître, en 1823, La Nouvelle Grammaire Française de Noël et Chapsal, un ouvrage fondamental de toute la grammaire de XIXe siècle. Le rôle des auteurs consiste à sélectionner une vingtaine de règles syntaxiques que leur offre la Grammaire Générale pour constituer leur propre modèle syntaxique. Ils utilisent en général le mot « complément ». Mais il faut dire que c’est la grammaire scolaire qui imposera ce choix. Ils ne distinguent en fait que deux sortes de compléments (direct ou indirect), et ils proposent la question en quoi ? comme critère de la distinction entre ces compléments. Mais,

‘« […] chaque fois qu’un de ces compléments résiste à la question quoi ?, il faut retrouver une préposition sous-jacente, effacée par l’ellipse. Le procédé est bien connu, puisqu’il a été conservé pour les pronoms dans la seconde grammaire scolaire : « il m’estime », c’est « il estime moi », tandis que « il me parle », c’est « il parle à moi ». Même chose pour les noms, dit Chapsal. (La veille de son départ) est bien un complément indirect, parce que le sens exige : (Je l’ai vu à la veille de son départ). L’absence d’une préposition dans l’énoncé réel ne saurait donc être un critère du complément direct. C’est au niveau de la phrase « logique » sous-jacente qu’on doit observer l’absence ou la présence d’une préposition. « Point de régime indirect sans une préposition précédente », écrit Chapsal. Si elle n’y est pas, on doit la rétablir :
Ceci posé, le reste s’explique aisément (Après) ceci posé…
Partir la tristesse dans l’âme (Avec) la tristesse…
Marcher les pieds nus (Avec) les pieds nus […] » 2 . ’

Dans cette optique, Chervel constate que Chapsal a évincé d’emblée le complément circonstanciel de sa grammaire et le cantonne dans l’analyse logique, où, en tout état de cause, il ne joue qu’un rôle secondaire. L’accord du participe ne nécessite pas la mention du circonstanciel. Malgré cela, dans les travaux qui portent sur l’analyse logique, on nuance un peu, les adverbes sont interprétés logiquement et sont considérés comme des compléments circonstanciels 3 .

On reste encore dans la logique où l’on ne peut pas reconnaître un statut grammatical au circonstanciel. Il n’est qu’une des parties logiques de la proposition. Dans les lignes qui suivent, nous allons voir l’influence des premiers moments de son entrée dans la grammaire et à quel point cette entrée a bouleversé tout l’appareil fonctionnel de la langue.

Notes
1.

Ibid., p. 70.

2.

Ibid., p. 121.

3.

Ibid., p. 123.