2. La Grammaire Larousse du Français contemporain et le retournement au passif 

Comme la grammaire de Wagner et Pinchon, cette grammaire évoque, elle aussi, des critères syntaxiques et sémantiques pour caractériser le complément circonstanciel. Mais ces critères ne sont pourtant pas les mêmes. D’abord, le complément circonstanciel figure parmi la liste des fonctions essentielles dans la phrase. Il est reconnu par trois critères syntaxiques différents :

1. Il n’accepte pas le retournement au passif.

2. Il est démultipliable.

3. Il est susceptible d’être précédé par plusieurs prépositions de nature différente.

Le premier critère permet, selon les auteurs, de le différencier du complément d’objet direct et du complément d’objet indirect second 1 . Mais, par contre, les deux derniers critères sont fondamentaux et susceptibles d’enlever tout risque d’ambiguïté et d’imprécision 2 dans la mesure où, à la différence des compléments circonstanciels, un complément d’objet indirect offre, au plus, le choix de deux prépositions (ex. : répondre de ou à) et que dans une même proposition, on rencontre, au plus, deux objets (sauf cas de coordination).

Mais le critère de la mobilité est dénoncé sans aucune raison apparente et les auteurs se contentent seulement de formuler que

‘« […] certains compléments circonstanciels disposent d’une grande liberté de mouvement, d’autres non » 3 . ’

Un peu plus loin (p. 184, § 279), les auteurs ont attribué une définition sémantique au complément circonstanciel. Il est classé, comme l’adverbe, selon des nuances sémantiques :

‘« Les compléments circonstanciels indiquent les circonstances dans lesquelles se déroule le procès exprimé par le verbe. Leur nombre dans la proposition n’est pas limité : un même verbe peut avoir plusieurs compléments circonstanciels, alors qu’il n’a jamais qu’un seul sujet (ou, ce qui revient au même, un seul groupe de sujets coordonnés) : En montagne, l’hiver, par le froid, les paysans restent dans leurs maisons pendant de longues heures ». ’

Mais ce classement basé essentiellement sur les nuances sémantiques des catégories circonstancielles fausse la réalité de cette fonction dans la mesure où il peut englober sous une même catégorie des compléments qui ont des modes de fonctionnement différents. De même, il peut introduire, dans l’ensemble des compléments circonstanciels des catégories qu’on ne peut jamais imaginer exprimer des circonstances ou qui n’ont rien à voir avec les catégories de la circonstance. C’est pour cela que les auteurs attribuent ces emplois illogiques à l’ingéniosité de leur auteur et donnent un exemple révélateur pour ce cas de blocage. Ainsi pour le complément de

‘Traduisez-moi ce texte en latin, ’

il est absurde qu’on parle d’un complément circonstanciel de lieu ou de manière 4 .

La typologie des phrases complexes chez les auteurs reste presque de la même nature que dans les phrases simples. Cela veut dire que la totalité des fonctions dans la phrase simple sera généralement transposée sur la phrase complexe. Les subordonnées peuvent alors exprimer les fonctions : sujet, objet, attribut, complément circonstanciel. Les propositions subordonnées circonstancielles jouent alors le même rôle que les compléments circonstanciels et sont souvent classées intuitivement, comme eux, sur des critères logiques en des propositions exprimant : la cause, le but, l’hypothèse, le temps, etc. avec toutes les conséquences néfastes que peut avoir ce classement sémantique 5 .

Ainsi les propositions qui expriment la condition peuvent parfois avoir le sens de la concession et les propositions qui expriment le but peuvent avoir aussi le sens de la conséquence. Et l’on peut de même contester le statut des propositions comparatives.

Comme nous l’avons vu tout à l’heure dans la grammaire de Wagner et Pinchon, les auteurs de la Grammaire Larousse du français contemporain ont fini par poser le problème dans sa totalité et par montrer leurs hésitations et leurs réserves vis-à-vis de cette notion. Leurs critères, bien que plus opératoires et plus scientifiques que ceux des grammaires traditionnelles, sont insuffisants pour cerner cette fonction et sont toujours sujet à discussion. Ainsi la passivation en tant que critère discriminant entre un complément d’objet et un complément circonstanciel, évoquée par les auteurs, n’est-elle pas pertinente parce qu’il peut y avoir des compléments d’objet qui refusent cette passivation :

‘43. Sidonie perd la mémoire → *La mémoire est perdue par Sidonie 6 . ’

La dislocation avec pronominalisation des compléments d’objet n’est pas non plus un critère infaillible du fait qu’on peut trouver des compléments circonstanciels qui peuvent, eux aussi, accepter la dislocation avec pronominalisation :

‘44. Là, il y faisait moins chaud. (Queneau) 7 . ’

Ce qui nous reste à faire, c’est donc de continuer notre investigation sur cette notion dans les autres travaux de linguistique pour que nous arrivions à mieux nous renseigner sur son statut linguistique qui est défini jusqu’à maintenant d’une manière insuffisante et inopérante.

Notes
1.

Cf. Jean-Claude Chevalier, Grammaire Larousse du français contemporain, Paris, Librairie Larousse, 1964, p. 75.

2.

Notons que pour les auteurs, le complément d’objet indirect second peut accepter le retournement au passif par le recours à la formule (se faire + l’infinitif) surtout quand l’objet prépositionnel incarne un personnage qui peut participer à l’action du type :

Le ministre a donné un tableau à son conseiller.

Le conseiller s’est fait donner un tableau par le ministre. Cf. Jean-Claude Chevalier et al, 1964, p. 73, § 100.

3.

Ibid., p. 76.

4.

Ibid., p. 186.

5.

Voir sur ces points pp. 124-125.

6.

Exemple cité in M. Wilmet, Grammaire critique du français, Belgique, Duculot, 1997, p. 482.

7.

Exemple cité in A. Goosse, 1993, p. 487.