4. La Grammaire de la phrase française de Pierre Le Goffic et la notion de la portée et de l’incidence

En fait, l’étude du circonstant prend une place tout à fait remarquable dans cet ouvrage. L’auteur a pu poser le problème dans son ensemble et présenter quelques éléments d’explication qui méritent d’être étudiés et discutés à fond. Son approche permet en effet de situer le problème dans le domaine linguistique. Il essaie de proposer des solutions s’inspirant des cadres d’une théorie linguistique bien structurée, ce qui peut lui donner une certaine crédibilité. Nous allons maintenant en présenter les grandes lignes afin de la discuter ou, si besoin est, en tirer quelques éléments de réflexion.

D’abord, dans son exposé des différentes fonctions dans la phrase française, le circonstant se présente comme un des constituants primaires accessoires jouant la fonction accessoire dans la phrase. Mais pour lui, il faut toujours se rappeler que « accessoire » ne doit pas être pris dans le sens de « sans importance » :

‘« Les constituants primaires accessoires ne sont, par définition, pas nécessaires pour que la phrase « tienne debout » syntaxiquement : ainsi hier et en revenant du lycée dans : Hier, j’ai rencontré Marie en revenant du lycée ». Le qualificatif d’accessoire est à prendre au plan strictement syntaxique et ne signifie pas que ces constituants ont une importance sémantique de second ordre : ils peuvent être rhématiques, et donc cruciaux sémantiquement,-mais, même alors, ils ne sont pas nécessaires à la bonne formation syntaxique de l’énoncé » 1 . ’

Les circonstants ne sont pas alors nécessaires pour que la phrase soit correcte grammaticalement, mais il arrive parfois que leur existence devienne indispensable pour que la phrase soit complète sémantiquement : Il travaille à l’usine n’est en aucun cas égal à Il travaille. On est donc amené à envisager un nouveau genre de problèmes, celui de la distinction entre un complément accessoire et un complément essentiel. Le Goffic constate la difficulté de tracer des frontières entre les deux genres de compléments et critique même les critères traditionnels habituellement utilisés pour cet objectif.

Pour lui, le critère de la mobilité n’est pas pertinent parce qu’il est souvent la cause de changement du sens de l’énoncé du départ voire même de son altération :

‘47. Paul s’avance au-devant de ses camarades ’

ne peut être considéré comme :

‘48. Au-devant de ses camarades, Paul s’avance ’

ni même

‘La voiture stationne à l’angle de la rue,

n’aura pas le même sens que

‘49. À l’angle de la rue, la voiture stationne. ’

Seul le critère de la supressibilité pourrait avoir moins de défauts que ceux du critère de la mobilité. Mais il faut quand même avoir certaines réserves lors de son application car il est :

‘« […] théoriquement plus satisfaisant, mais il est souvent peu net, avec une réponse en « plus ou moins », et il conduit par ailleurs à des difficultés : (faut-il considérer l’objet de Il mange du pain comme accessoire, en raison de la possibilité de dire simplement il mange ? […])» 2 . ’

La création d’un continuum s’avère donc important pour envisager ce genre de problèmes : un complément est plus ou moins essentiel, plus ou moins circonstanciel. Cela peut être bien expliqué par l’opposition entre les trois verbes : Ressembler à N (essentiel), mentir à N ( ?) et dormir à N (accessoire) qui montre bien le degré de la cohésion entre le verbe et de son complément. Toutefois, il faut se rendre bien compte qu’avec ces restrictions syntaxiques, les considérations subjectives que le sujet parlant peut introduire dans son énoncé peuvent agir sur le choix entre tel ou tel complément :

‘« On considère plus volontiers comme essentiel un complément direct qu’un complément indirect (cf. habiter Paris / habiter à Paris), un complément animé qu’un inanimé (cf. sourire à quelqu’un / sourire à cette idée) ou un adverbe ; Par ailleurs, le statut d’un complément n’est pas fixé rigoureusement en langue ; les locuteurs sont libres de resserrer plus ou moins le lien entre verbe et complément, au gré de leurs interprétations en discours » 3 . ’

Une première définition générale du circonstant qui se révèle de nature apparemment morpho-syntaxique, est donnée par l’auteur. Elle prévoit qu’on accepte de mettre sous cette étiquette tous les éléments accessoires et invariables tels que les adverbes et les groupes prépositionnels :

‘« Ce terme, très général, recouvre des réalités de fonctionnement et de signification très diverses, bien au-delà du sens ordinaire du mot de  ‘‘circonstance’’ : il s’agit de tous les constituants de phrase, invariables, qui sont syntaxiquement accessoires […] quel que soit l’apport sémantique qu’ils représentent (circonstances de temps ou de lieu au sens ordinaire, - ou autre) » 4 . ’

Les adverbes et les groupes adverbiaux sont répartis en un premier temps en un groupe d’adverbes en –ment et un autre groupe des adverbes qui n’ont pas de marque spécifique tels que : comment, peut-être, combien. Ils sont classés intuitivement sur des critères sémantiques, en un deuxième temps, en cinq catégories : lieu, temps, manière, degré et quantité, et adverbes énonciatifs. L’ensemble des subordonnées adverbiales (ou circonstancielles) reçoit d’ailleurs le même type de répartition 5 . Quant aux prépositions et aux groupes prépositionnels, il y a quelque difficulté dans leur classement vu leur caractère abstrait et polysémique. Du fait qu’elles sont, dans la plupart du temps, suivies d’un conséquent 6 .

Comme les verbes ont des compléments, les prépositions peuvent aussi avoir des compléments. Elles doivent relever du même type d’étude que celle des verbes. La préposition peut ainsi avoir un complément zéro : Je vote pour !, un pronom : pour vous, pour ce que vous savez, un infinitif : pour vaincre, une complétive : pour que tout soit prêt, une intégrative pronominale : pour qui vous savez, adjectif : pour sûr, Adverbe : pour demain , pour quand vous voulez, groupe prépositionnel : pour dans quinze jours 7 .

La catégorie des circonstants ainsi définie tant sur le plan morphologique que sur le plan sémantique, il est donc indispensable d’examiner son mode de fonctionnement dans la phrase, c’est-à-dire en discours. Pour ce faire, Le Goffic (Cf., p. 451.) propose une simple esquisse permettant d’interpréter le circonstant sur le plan syntaxique et sémantique :

Sens + place et construction → portée → signification

Dans cette esquisse, il faut distinguer entre “sens” en langue et “signification” en discours (dans un énoncé donné) : le sens est le signifié lexical de l’unité en elle-même (ou du groupe en lui-même) ; la signification est ce que l’unité (ou le groupe) signifie en contexte (en conservant l’équivoque ou l’ambivalence de suffixation : opération et / ou résultat) 8 . La place constitue le deuxième élément qui pourrait aider à l’interprétation du circonstant.

La portée de celui-ci découle enfin de la mise en exécution de ces deux derniers éléments, c’est-à-dire le sens et la place dans la phrase. Les deux modes de fonctionnement de l’adverbe circonstant justement dans les deux phrases suivantes sont révélateurs sur ce point :

‘50. Il a répondu très justement que ce n’était pas son rôle = d’une manière très adéquate, avec beaucoup de justesse.
51. Justement, j’allais vous en parler = pour dire les choses adéquatement, avec justesse, je dirai qu’il se trouve précisément que j’allais nous en parler. ’

Le circonstant reçoit alors des significations différentes suivant les mécanismes de sa portée dans la phrase. Mais son sens originel unique, de base, est modulé en contexte. La plupart des significations sont, comme le souligne l’auteur, à aborder dans une perspective de dérivation polysémique (et non de multiplicité homonymique des sens de l’unité).

Quant à la sémantique des circonstants, elle se réduit à une liste simple des grands domaines, communément citée dans les grammaires, à savoir : le lieu, le temps, la qualité et le degré, la manière, les relations logiques et le rapport à l’énonciation. Cette liste n’est pas exhaustive car, comme on vient de le constater, le circonstant et ses valeurs sémantiques peuvent être multiples selon les contextes différents.

Il faut toujours partir du principe selon lequel le sens du circonstant se modifie d’autant plus qu’il a une relation distante avec le verbe : les adverbes de manière par exemple, sont la plupart du temps considérés comme des adverbes de prédicat, mais dans une position détachée, ils peuvent remplir la fonction d’adverbes de phrase. Il en est de même des circonstants de temps qui, suite à un changement de position, peuvent passer facilement à l’expression des relations logiques.

En ce qui concerne les positions que peut remplir un circonstant dans la linéarité de la phrase, l’auteur, à partir du schéma simple de la phrase canonique qui se compose de « sujet - verbe - compléments essentiels », a pu lui distinguer trois positions-clés :

(1) Position initiale.

(2) Position post-verbale.

(3) Position finale.

Mais ces positions ne semblent guère être arbitraires dans la phrase et elles sont toujours significatives du fait qu’elles sont soumises à des facteurs discursifs différents et souvent conditionnés par des contraintes syntaxiques, sémantiques, pragmatiques ou éventuellement textuelles assez variées comme nous allons le voir au cours des chapitres suivants. Pour l’auteur, chaque position devra être définie à partir d’une vue d’ensemble fonctionnelle de la phrase :

‘« […] parler de position initiale au même titre pour dans Où Paul a-t-il trouvé ce livre ?, et pour à votre avis dans A votre avis, où Paul a-t-il trouvé ce livre ? n’aurait guère d’intérêt ; de même le circonstant de Il parle vite est à la fois post-verbal et final. Les positions devront donc être définies dans le cadre d’une vue fonctionnelle de la phrase » 9 . ’

Quand on parle de la position et de la construction du circonstant, on doit parler aussi de sa portée qui aboutit par la suite à son interprétation et à sa signification dans le discours. Il sera donc naturel d’associer :

‘« - la construction liée et la portée interne au prédicat,
- la construction détachée et la portée externe au prédicat » 10 . ’

Mais il faut admettre que cette règle peut souffrir quelques exceptions et que son application appelle parfois à la prudence car la ponctuation, à l’écrit, peut se faire à cause, par exemple, de la longueur des constituants ou de l’éloignement par rapport au verbe. De la même manière, un constituant à construction liée n’a pas forcément une portée interne au prédicat, à savoir, les circonstants peut-être, à mon avis, peuvent être en construction liée sans être des intra-prédicatifs.

Un autre problème vient s’ajouter à celui évoqué précédemment, c’est qu’on a toujours coutume de rattacher les circonstants tantôt à des termes, tantôt à des relations entre termes, ce qui cause un autre type de problèmes pour la question de leur portée. C’est justement ici qu’on peut trouver quelques premiers éléments de réponse à la question posée pour savoir la source des ambiguïtés attribuées aux circonstants. Il s’agit en effet de découvrir leurs mécanismes de portée dans la phrase : est-ce une portée sur un terme ou sur une relation entre termes ? :

‘52. Je voudrais bien comprendre. ’

L’ambiguïté de cette phrase, selon l’auteur (p. 455.), vient du fait que bien peut se rapporter soit à voudrais (vouloir bien = désirer) ou à comprendre (= je voudrais comprendre à fond).

Toujours selon l’auteur, le principe de l’incidence qui est au cœur de la théorie linguistique de Gustave Guillaume semble apporter des solutions pertinentes à ce genre de questions. Selon cette théorie, un circonstant qui porte “sur un verbe” porte en fait sur une des relations tissées autour du verbe, c’est-à-dire sur une relation d’incidence en cours. Il peut porter par exemple, sur la relation entre le verbe et l’objet comme dans : Paul boit seulement de l’eau, (seulement porte sur boire de l’eau), ou Paul range soigneusement ses affaires, (soigneusement porte sur ranger ses affaires).

Il peut porter sur la relation entre le verbe et l’attribut comme dans : Il est de plus en plus inquiet (de plus en plus porte sur est inquiet), et aussi sur la relation entre le verbe et un circonstant dans :

‘53. Le docteur reçoit seulement le matin’

(Seulement porte sur recevoir le matin (GN circonstant)). Et enfin, il peut porter sur la relation entre le verbe et le sujet (ou plus exactement la place du sujet, indépendamment du terme qui le remplit effectivement) :

‘54. Il conduit prudemment, Il remplit soigneusement le questionnaire 11 . ’

Selon ce principe de la portée, deux groupes de circonstants sont à distinguer :

(1) Les circonstants de prédicat ou intra-prédicatifs ou tout simplement les circonstants prédicatifs, sont facultatifs et accessoires du point de vue syntaxique, mais sur le plan sémantique ils jouent un rôle essentiel : rhématiques, ils apportent l’information primordiale. Ils sont de ce fait inclus dans la portée de la négation et sont susceptibles de s’extraire dans une phrase clivée du type c’est…que. Leur place canonique dans la phrase est la position post-verbale liée, dans le groupe intonatif du verbe :

‘55. Je travaille à Billancourt

(2) Les circonstants de phrase, ou les circonstants extra-prédicatifs, n’appartiennent pas au prédicat, mais portent sur la phrase dans son ensemble ou plus exactement sur la relation (ou la méta-relation) entre la phrase et son énonciation, ou entre la phrase et l’état du monde. Ils sont donc hors de la portée de la négation et ne peuvent être clivés:

‘56. Malheureusement, il est trop tard.’

À partir d’une étude pratique des différentes positions du circonstant à l’intérieur de la phrase surtout dans le but d’expliquer sa portée et de savoir sur quoi il prédique quelque chose, Le Goffic a pu distinguer les positions qu’il peut avoir dans la linéarité de la phrase.

D’abord le circonstant en position initiale et sa variante  entre le sujet et le verbe : cette position est d’une importance capitale parce qu’elle donne au locuteur une grande liberté pour façonner son énoncé ou le modeler selon le type de message qu’il veut délivrer à son interlocuteur. Le circonstant aura par conséquent un champ de portée plus vaste : il a la possibilité de porter tant sur n’importe quel élément de la phrase que sur celle-ci dans son ensemble. Il peut donc, selon le degré de son intégration à la phrase 12  :

(1) avoir une portée sur l’énonciation : Franchement, à vrai dire, P

(2) avoir une portée sur l’énoncé comme un tout : Heureusement, P

(3) donner un cadre à la phrase : Hier (à trois heures), P

(4) indiquer « une manière de phrase » : Avec effort, P

Il est à ajouter que cette position reçoit presque toute sorte de circonstants : adverbes, groupes adverbiaux, groupes prépositionnels et propositions subordonnées et d’autres, mais leur interprétation est souvent en attente d’un filtrage du contexte.

Pour la position post-verbale, la position qui suit immédiatement le verbe, l’auteur a distingué deux variantes : la position liée et la position détachée. Le pourcentage des adverbes dans cette position est relativement plus élevé que les autres constituants circonstants. Cette prédominance des adverbes sur les groupes prépositionnels n’empêche cependant pas le fait que dans cette position, il peut y avoir d’autres adverbes jouissant d’une portée extra-prédicative, adverbes qui ont une grande liberté dans l’énoncé et qui représentent la catégorie type des adverbes de phrase comme dans : Paul reviendra probablement.

L’adverbe dans cette position, bien qu’il ait la marque d’un adverbe intra-prédicatif, marque non pas une manière sur le prédicat mais un jugement de l’énonciateur sur la totalité de son énoncé ; il admet la paraphrase en :

« P est adj. » ou « il est adj. que P » 13 .

Selon l’auteur, les compléments dans la position post-verbale liée constituent avec le verbe une unité sémantique : travailler n’a pas la même signification que dans : travailler comme caissier, travailler régulièrement. Cette unité se trouve fréquemment dans des GN construits sur une nominalisation du verbe : un travail de caissier, un travail régulier. Ces circonstants sont en général sous la portée de la négation : Il ne travaille pas à l’usine (mais dans un bureau). Cette position connaît aussi tout un éventail de valeurs sémantiques comme la manière, la quantification, le temps et le lieu, ainsi que les relations logiques.

De ce qui précède, il est apparu évident que la portée de l’adverbe change sensiblement selon la distance qu’il prend avec le verbe. L’adverbe en position enclavée entre l’auxiliaire et le participe passé ne jouit plus, semble-t-il, d’une portée intra-prédicative, mais il aura une portée extra-prédicative. C’est pour cela que cette position est la position privilégiée des adverbes d’énonciation ou de modalité, naturellement extra-prédicatifs, de certains adverbes aspectuels et de certains adverbes de manières qui sont généralement appelés ‘‘les adverbes de manière orientés vers le sujet’’ 14 .

Quant au circonstant en position post-verbale détachée, entre l’auxiliaire et le participe, ou derrière un verbe à une forme simple, il sera alors en construction clairement détachée. Il marque dans ce cas une rupture dans le cours normal de la phrase, et sa portée est extérieure au prédicat. Il est de ce fait rapproché par l’auteur d’une proposition incidente. Il s’agit d’un nouveau plan d’énonciation qui s’installe :

‘57. Paul a, immédiatement, flairé le danger (= “et ce, immédiatement”) ’

Mais quand le détachement concerne un circonstant qui est, par nature, intra-prédicatif, il se présente dans ce cas comme une correction ou comme une rectification de l’énoncé :

‘58. J’ai examiné, à fond, toutes les éventualités ’

(Correction dans le sens d’un renchérissement : “Je veux dire : j’ai examiné à fond”) 15 .

Comme il a été déjà dit du circonstant en début de phrase qu’il ouvre un champ de manœuvre assez vaste au locuteur pour orienter son énoncé, la position du circonstant en position finale a la même importance. Mais cette fois-ci elle représente le foyer de plusieurs cas d’ambiguïté et d’indécision quand il s’agit de l’interprétation de la portée du circonstant.

Du fait qu’il est souvent rhématique, il apporte l’information nouvelle de l’énoncé. Comme la position initiale, la position finale permet aussi une accumulation des groupes circonstants mais qui sont pour la plupart, des groupes prépositionnels. S’il est en construction détachée, le circonstant dans cette position ressemble à celui de la position initiale et porte rétrospectivement sur toute la phrase 16 .

‘59. Je n’ai pas tout retenu, malheureusement. ’

Il est intéressant de constater ici que le circonstant peut avoir les mêmes valeurs sémantiques dans les deux positions initiale et finale, exception faite des circonstants de temps ou de lieu qui, en position post-finale, prennent une valeur de rappel d’un élément thématique ou de cadrage :

‘60. Je travaille chez moi, l’après-midi.’

Mais ces mêmes circonstants perdentles effets de “création de monde imaginaire” signalés en position initiale. Ils n’auront pas la même netteté en position finale. Il est temps enfin de dire quelques mots sur les propositions subordonnées pour savoir quelle place elles peuvent avoir dans le système des circonstants. À ce propos, P. Le Goffic a distingué quatre grands types de subordonnées 17  :

1. La percontative (interrogation indirecte), dotée de fonction nominale non anaphorique[dis-moi] qui tu as vu ?

2. L’intégrative, connecteur doté de fonction non anaphorique, ce sont les relatives sans antécédents et les circonstancielles : Qui dort dîne.

3. La relative, connecteur de fonction anaphorique : [le livre] qui est là.

4. La complétive, connecteur non doté de fonction, non anaphorique : [Je crois] que c’est lui.

Ce qu’il faut savoir c’est que ces subordonnées sont traitées par l’auteur comme des constituants simples et chaque subordonnée sera équivalente au groupe auquel appartient son terme introducteur :

‘«Les percontatives sont toujours équivalentes à un GN. Les autres subordonnées sont équivalentes à un groupe de la catégorie de leur terme introducteur ; elles sont elles-mêmes, en fait, des groupes, d’un type particulier, de la catégorie de leur terme introducteur » 18 . ’

On peut donc comprendre que les subordonnées circonstancielles sont des connecteurs simples non anaphoriques semblables aux compléments circonstanciels habituels. À cet égard, l’étude des effets de sens du type spécial des subordonnées en comme est révélatrice sur ce point 19 . Selon l’auteur, comme joue bel et bien le rôle d’un adverbe de manière quand il est en position d’un adverbe de prédicat en position post-verbale liée :

‘61. Paul (n’) a (pas)fait comme je lui avais dit de faire ; ’

et d’un adverbe de phrase quand il est séparé ou éloigné du verbe de la principale par un signe de ponctuation :

‘62. Quelquefois, comme Eve naquit d’une côte d’Adam, une femme naissait pendant mon sommeil d’une fausse position de ma cuisse (Proust). ’

La place de comme étant invariable dans la subordonnée, le seul paramètre qui compte est sa place par rapport au verbe principal. Son rôle dans tous ces cas est de cheviller deux structures propositionnelles, en les marquant à l’identique 20 . Malgré la concordance apparente entre les circonstants et les subordonnées circonstancielles, nous constatons que la liste des valeurs sémantiques des subordonnées circonstancielles n’a pas la même correspondance avec celle des constituants simples. Cela pour la simple raison que dans la subordonnée :

‘« […] un terme phrastique peut entretenir avec sa structure matrice d’autres rapports, a priori plus abstraits, qu’un terme simple » 21 . ’

Cette remarque appelle donc à la prudence quand on essaie de donner une explication unitaire pour les deux volets de la question : ni syntaxiquement, ni sémantiquement la concordance entre les compléments circonstanciels simples et les subordonnées n’est complète. Ce qu’il faut retenir de tout ce qui précède, c’est le fait que l’auteur a pu bien montrer que le problème du circonstant doit être traité aussi bien sur le plan morphosyntaxique que sur le plan sémantique pour arriver à une explication cohérente et satisfaisante de son comportement dans la phrase.

Il est important aussi de déterminer les différentes portées du circonstant qu’elles soient sur un constituant ou qu’elles soient sur la phrase dans son ensemble. Ces diverses mises de fonctionnement peuvent être expliquées par les différents mécanismes d’incidence dans la phrase qui s’appuient essentiellement sur la notion de la portée qui est un paramètre fondamental pour la signification du circonstant en contexte.

L’inspiration d’une théorie linguistique bien structurée a aidé l’auteur à donner des explications pour le fonctionnement du circonstant dans la phrase. Il ne s’est pas contenté d’évoquer seulement les critères syntaxiques et sémantiques traditionnels, mais il a fait appel aussi à de nouveaux critères, entre autres, le contenu pragmatique de la phrase ainsi que le rôle du cotexte linguistique dans les mécanismes de l’interprétation.

Un autre profit qu’on peut tirer de cette approche, c’est son appel constant à un traitement fonctionnel global de la phrase pour arriver enfin à donner une explication pertinente au circonstant. Cela dit, la fonction de circonstant se révèle après la définition exacte des autres fonctions dans la phrase. Après avoir défini les différentes structures valencielles du verbe, on peut arriver à décider du statut du complément qui vient après lui, selon qu’il est un complément essentiel ou un circonstant.

Nous passons maintenant à un autre manuel de grammaire ancré lui aussi dans une perspective linguistique, puisqu’il est écrit par deux linguistes s’inspirant tous les deux des découvertes récentes en linguistique. Nous allons poursuivre notre investigation dans ce domaine pour pouvoir déterminer les traces d’un progrès vers une solution plus convaincante qui puisse donner un statut clair de cette notion marquée par son ambiguïté.

Notes
1.

P. Le Goffic, Grammaire de la phrase française, Paris, Hachette, 1993, p. 76, § 42 (Les soulignements sont dans le texte).

2.

Ibid., p. 77.

3.

Ibid., p. 78, § 43.

4.

Ibid., p. 386, § 277.

5.

Voir sur ces points, pp. 391-409.

6.

Il est à noter ici que le statut linguistique de la préposition est difficile à établir. Elle est l’objet de beaucoup de polémiques et constitue le centre de plusieurs études qui sont apparues au cours de ces dernières années, voir entre autres : Jean Cervoni, La préposition, étude sémantique et pragmatique, Paris, Louvain-la-Neuve, Duculot, 1991.

7.

Cf. P. Le Goffic, 1993, p. 422.

8.

À ce titre C. Fuchs note que […] bien des ambiguïtés potentielles de phrases isolées ne subsistent pas dans un contexte plus large et, inversement, d’autres ambiguïtés sont engendrées par le tissage progressif des significations au fil du texte […], cf. C. Fuchs, citée par Frank Neveu, Étude sur l’apposition  : aspects du détachement nominal et adjectival en français contemporain, dans un corpus de textes de J.-P. Sartre, Paris, H. Champion, 1998, n.1, p. 65.

9.

P. Le Goffic, 1993, p. 454, § 311.

10.

Ibid., p. 455.

11.

Cf. P. Le Goffic, 1993, p. 456.

12.

Cf. P. Le Goffic, 1993, pp. 460-461.

13.

Cf. P. Le Goffic, 1993, p. 471.

14.

Ibid., pp. 473-475.

15.

Ibid., pp. 476-477.

16.

Ibid., p. 478.

17.

Cf. P. Le Goffic, 1993, p. 42, § 21. Mais ce même auteur a fait ailleurs un classement beaucoup plus détaillé et beaucoup plus complexe des subordonnées qui sont généralement réparties en complétives, relatives, intégratives, percontatives. Quant aux subordonnées circonstancielles, les propositions en quand, où, comme, que (adverbe) sont les seules qui puissent avoir la fonction du circonstant. Les autres constituants, qui ne sont pas des vraies circonstancielles, peuvent être analysés comme des groupes adverbiaux ou prépositionnel en fonction du complément circonstanciel. Pour plus de détail, voir P. Le Goffic, « les subordonnées circonstancielles et le classement formel des subordonnées » in : Claude Guimier, 1001 circonstants, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1993, pp. 69-97. Notons que Charles Bally a eu la même idée « Lorsqu’une phrase est transposée en proposition conjonctionnelle, marquant une notion spatiale, temporelle ou logique (où, quand, parce que, etc.), elle équivaut à un complément circonstanciel introduit par une préposition », cf. Charles Bally, Linguistique générale et linguistique française, Berne, éd. Francke, 1965, p. 152.

18.

P. Le Goffic, 1993, p. 43, § 23.

19.

P. Le Goffic a fait une étude systématique de ce type de subordonnée en comme. Voir P. Le Goffic, « Comme, adverbe connecteur intégratif : éléments pour une description », L’adverbe dans tous ses états, Travaux linguistiques du cerlico , Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1991.

20.

Cf. Le Goffic, 1993, p. 483-484.

21.

Ibid., p. 452, § 310.