6.2. Le complément circonstanciel intégré au GV

Pour la deuxième grande catégorie des compléments circonstanciels, il s’agit des compléments circonstanciels intégrés au GV. Non loin de l’autre catégorie, cette classe des compléments englobe aussi des constituants qui expriment les mêmes circonstances de lieu, de temps, de manière, etc. Mais ils ont des modes de fonctionnement bien distingué :

‘« Ce type de compléments ne s’oppose pas au précédent par son rôle sémantique : il permet lui aussi de préciser les circonstances qui déterminent l’accomplissement du procès. Mais son comportement syntaxique présente d’importantes différences : il entre dans le groupe verbal, dont il constitue ainsi l’un des éléments intégrés (tandis que le complément circonstanciel adjoint a été défini comme un complément de phrase, portant sur tout le groupe sujet-verbe) » 1 . ’

Leurs critères d’identification sont les suivants :

1. Adossés au verbe, parfois placés devant lui.

2. Ils n’ont pas d’autonomie syntaxique et ne sont pas mobiles dans l’ensemble de l’énoncé.

3. Intégrés au groupe verbal mais il faut savoir que ce degré d’intégration n’est pas unique et qu’il peut y avoir des relations d’intégration fortes, d’autres moins fortes et d’autres enfin assez faibles.

Ces compléments peuvent aussi être classés en deux groupes :

(1) Les compléments d’expression facultative, dits compléments adverbiaux du type :

‘86. Il court vers sa fiancée / contre la montre / avec rapidité.’

Ce genre de compléments diffère apparemment des compléments circonstanciels adjoints dans la mesure où ils sont adossés au verbe qu’ils complètent, bien que leur expression ne soit pas indispensable à la cohérence syntaxique de la phrase. Ils peuvent exprimer de ce fait les relations de la manière, du moyen, de la cause, et de l’accompagnement…etc. (Cf., p. 93.). Mais il est fort possible de rencontrer des difficultés dans la distinction entre ces compléments circonstanciels dits adverbiaux et les circonstanciels adjoints.

L’examen de la catégorie des compléments circonstanciels de lieu met en évidence cette difficulté puisque le complément de lieu peut être à la fois libre et mobile. Le groupe à Paris peut être considéré comme un complément circonstanciel adjoint dans :

‘87. À Paris, il pleut souvent.’

Mais dans le cas des compléments avec des verbes dits locatifs (qui situent dans l’espace), ils dépendent du groupe verbal. C’est ce qui peut amener à considérer « à sa robe » comme un complément circonstanciel intégré sans ou avec antéposition :

‘88. À sa robe pendaient des rubans / Des rubans pendaient à sa robe.’

Cette variation dans les degrés de nécessité du lien verbe-complément, conduit à isoler une autre catégorie des compléments circonstanciels intégrés : il s’agit des compléments exigés par la construction du verbe, les compléments deviennent donc des expansions contraintes du verbe.

Les verbes qui sont susceptibles d’exiger ce genre de compléments sont divisés en deux catégories sémantiques : les verbes locatifs du type : habiter, résider, loger, se trouver, être (dans ce sens locatif), le verbe impersonnel il y a, ainsi que les tournures passives être appuyé, être disposé, être situé…et leurs synonymes. Ce qui distingue ce genre de compléments des compléments d’objet, c’est que la construction du complément circonstanciel intégré conserve une relative liberté (antéposition parfois possible, choix de la préposition).

(2) La deuxième catégorie concerne les verbes dits de mesure (poids, prix, durée, distance). Ces verbes ont un comportement syntaxique plus proche des compléments d’objet car leur construction permet moins de liberté avec leurs compléments et ils sont parfois compatibles avec une opération de pronominalisation :

‘89. Ces deux kilos, ce poulet les pèse presque.’

Il est à noter que les auteurs sont favorables pour conserver la distinction entre un complément d’objet direct et un complément circonstanciel intégré à construction directe. Ils font remarquer que l’existence d’une marque syntaxique peut parfois trancher : l’accord de la forme adjective du verbe, obligatoire avec le complément d’objet direct :

‘90. Les efforts que ce livre leur a coûtés.’

ne se fait pas lorsqu’il s’agit du complément circonstanciel intégré :

‘91. Les cinquante francs que ce livre leur a coûté.’

Les auteurs soulignent l’existence incontestable d’une sorte de continuum dans la typologie générale des compléments se trouvant autour du verbe qui peut ainsi :

‘ « […] mener du complément d’objet (le plus contraint et le plus dépendant du verbe) au complément circonstanciel adjoint (le plus libre et le plus « périphérique ») » 2 . ’

Ce qui laisse entendre que cette manière de voir aide à donner une explication réaliste du fonctionnement des différents compléments dans la phrase qui permet de mieux se rendre compte aussi bien de la relativité des critères retenus que de l’existence de différents cas limites, avec lesquels il est souvent difficile de trancher ou de caractériser le statut des compléments en question.

Pour les propositions subordonnées circonstancielles, Delphine Denis et Anne Sancier-Château sont pour la conservation des principes qui ont permis de classer les compléments circonstanciels en compléments circonstanciels adjoints et compléments circonstanciels intégrés au groupe verbal car :

‘«A la rigidité du lien qui unit la complétive à sa proposition rectrice, on a souvent opposé la souplesse de la relation entre circonstancielle et proposition rectrice : tandis que la complétive est essentielle dans la phrase, dont elle forme l’un des constituants principaux, et ne peut être de ce fait ni supprimée ni déplacée, la circonstancielle serait ainsi une proposition à l’expression facultative » 3 . ’

Elles peuvent donc de ce fait être absentes de la phrase sans en altérer la grammaticalité :

‘92. (Quand tu auras terminé,) nous irons au cinéma / Nous irons au cinéma (quand tu auras terminé). ’

La proposition d’un classement en circonstancielles adjointes et en circonstancielles intégrées trouve donc sa validité parce que la définition précédente ne rend pas compte des circonstancielles à construction essentielle comme dans :

‘93. Tout alla de façon qu’il ne vit plus aucun poisson. (La Fontaine)’

Au niveau sémantique, les propositions circonstancielles peuvent exprimer tout un éventail de relations qu’elles entretiennent avec la proposition principale. Elles peuvent exprimer les relations de temps, de but, de cause, d’opposition ou de concession, d’hypothèse et de conséquence. Mais cette définition reste toujours insuffisante car elle peut introduire des constituants parmi les circonstancielles qui ne peuvent, en aucun cas, dénoter la catégorie de la circonstance telle que la catégorie des comparatives par exemple qui, pour les auteurs, ont le rôle de mettre en relation deux propositions par le biais de l’analogie ou de la proposition 4  :

‘94. Comme le champ semé en verdure foisonne (…)’ ‘Ainsi de peu à peu crût l’empire romain. (J. Du Bellay)’

Reste à dire enfin que l’approche de ces deux auteurs, si lacunaire qu’elle soit, a contribué à apporter un regard nouveau sur le problème des compléments circonstanciels car elles ont souligné l’importance du principe d’une classification basée sur un continuum entre les différents compléments dans la phrase : un complément est plus ou moins circonstanciel, plus ou moins essentiel. Mais à l’aide des critères linguistiques proposés, elles ont pu arriver à classer et à identifier différentes catégories parmi l’ensemble des compléments. Les auteurs affirment qu’on ne doit pas aborder le problème des circonstants d’un seul point de vue sémantique ou syntaxique.

À la lumière de ce qui précède, il s’est apparu évident que les regards doivent être multiples et que les points d’attaque doivent se croiser entre eux car le domaine des compléments circonstanciels constituent un champ carrefour où tous les regards des domaines linguistiques sont possibles et où chacun peut contribuer à déchiffrer un aspect nouveau du problème. Une chose est sûre pourtant, c’est qu’un traitement syntaxico-sémantique du problème serait indispensable pour arriver à une explication unitaire et satisfaisante.

Mais cela n’empêchera pas le fait d’introduire d’autres critères et d’autres cadres linguistiques qui peuvent aider à mieux cerner le problème, comme nous allons le voir dans notre passage en revue des différentes approches qui puisent dans les différents courants linguistiques d’une manière directe ou indirecte. Cela sera développé d’une manière beaucoup plus détaillée dans la suite de notre recherche.

Nous optons maintenant pour la présentation de la contribution d’un auteur qui a pris en charge de critiquer l’approche traditionnelle des grammairiens dans leur conception de notre langue. Il remet en cause l’ensemble des problèmes envisagés et essaie de proposer des solutions soit pour privilégier un point de vue quelconque, soit pour le réfuter d’emblée afin d’en forger un nouveau propre à lui et conforme à son cadre théorique adopté. Nous croyons qu’il est intéressant de savoir maintenant ce qu’il dit à propos du complément circonstanciel.

Notes
1.

Ibid., p. 92.

2.

Ibid., p. 95.

3.

Ibid., p. 96.

4.

Ibid., p. 97.