8. Un bilan Récapitulatif

Faisons le bilan maintenant de tout ce qui a précédé afin de nous renseigner davantage et plus précisément sur les orientations générales des recherches sur le circonstant dans ces grammaires d’inspiration linguistique. Premièrement, nous remarquons que l’introduction même de la notion du circonstant dans certaines de ces grammaires était problématique. La réticence constatée dans la grammaire de Wagner et Pinchon même dans les deux versions de leur ouvrage était évidente.

Ce qui est frappant aussi, c’est l’unanimité de ces grammaires sur le fait d’adopter un traitement basé sur des critères syntaxico-sémantiques, ce qui a fait que ces critères sont pratiquement presque les mêmes avec, bien sûr, quelques modifications d’un auteur à l’autre. Ces critères, bien qu’ils se répètent tous d’un ouvrage à l’autre, appellent souvent à la prudence au moment de leur application dans la mesure où ils sont tous contestables et le degré de l’acceptabilité de chacun dépend des arguments évoqués par son auteur pour justifier son choix.

L’opposition complément essentiel / complément non essentiel n’est pas toujours opératoire car il peut y avoir des constituants qui peuvent être qualifiés de non essentiels sans forcément être des circonstants. D’où la notion de la prévisibilité du circonstant, c’est-à-dire qu’il peut, soit exister dans la phrase, il est donc obligatoire, soit il ne peut pas y être du tout : il n’est pas nécessaire, donc non essentiel et susceptible de se déplacer et d’être mobile.

Deuxièmement, le critère de la mobilité, nous l’avons déjà constaté, constitue l’objet de beaucoup de divergences entre les grammairiens : bien que les auteurs de La Grammaire Larousse du français contemporain ainsi que celui de Grammaire de la phrase française, le considèrent comme impertinent, les auteurs de la Grammaire méthodique du français, l’estiment le plus pertinent et le plus sûr.

Le raisonnement de Le Goffic repose sur le fait que la mobilité permet à un circonstant de changer de sens à la suite d’un changement de place, ce qui n’est pas tenable pour lui. Paul s’avance au-devant de ses camarades ne peut être considéré comme Au-devant de ses camarades, Paul s’avance ni même La voiture stationne à l’angle de la rue n’aura pas le même sens que À l’angle de la rue, la voiture stationne. On peut se demander alors pourquoi ne pas considérer cette propriété comme un trait caractéristique de certains circonstants du fait qu’il peut y avoir des circonstants qui se déplacent facilement dans toutes les positions majeures de la phrase sans aucun changement de sens.

‘110. Il était parti finalement, Finalement, il était parti 1 .’

Ce qui va dans le sens du classement graduel préconisé par Wilmet et D. Denis et A. Sancier-Château. Cela ne contredit cependant pas la démarche des auteurs de la Grammaire méthodique du français qui distinguent par ce même critère des circonstants qui constituent le thème de l’énoncé et des circonstants qui en constituent le propos. Le reste des autres compléments doit donc être classé sous forme d’un continuum qui prévoit une hiérarchie graduelle au sein de ces compléments. Une hypothèse soutenue par P. Le Goffic (1993), D. Denis et A. Sancier-Château (1994) et M. Wilmet (1997).

Un autre constat important à citer ici, c’est que les grammaires traditionnelles donnent des définitions sémantiques des fonctions syntaxiques dans la phrase, alors que les grammaires d’inspiration linguistique, bien qu’elles ne refusent pas totalement cette démarche, font du sens la toile de fond de leur définition. Le sens est bien là en soutien des autres paramètres proposés car c’est lui qui est le responsable de l’acceptabilité et de la non acceptabilité de telle ou telle phrase.

Nous pouvons dire globalement que ces différentes grammaires ont fait appel à une définition globalisante du circonstant, mais quant aux critères évoqués, ils se contredisent les uns par rapport aux autres du fait qu’ils s’appliquent à des exemples généraux qui manquent souvent de précision : bien que Wagner et Pinchon attribuent au circonstant le caractère non essentiel, ils donnent des exemples qui ne sont en fait que des compléments de nom et n’ont rien à voir avec cette définition : Un peintre célèbre en son temps 2 .

Cela nous conduit alors à supposer que le travail sur un corpus attesté pourrait donner des résultats beaucoup plus probants et une explication beaucoup plus adéquate des différents modes de fonctionnement du complément circonstanciel. Sauf la grammaire de P. Le Goffic et à quelques exceptions près celle de M. Wilmet, aucune de ces grammaires n’a donné une vue d’ensemble des différentes mises en fonctionnement du circonstant dans la phrase. Chacune d’elle se contente de critiquer les approches traditionnelles et essaie de proposer un traitement dans le cadre de la syntaxe sans proposer une théorie ou une solution qui peut présenter le problème dans sa totalité.

Ces grammaires ont pourtant le mérite de refléter les différentes facettes du problème et ont signalé les progrès sensibles dans ce domaine. L’inspiration dans les théories linguistiques a aussi permis de donner des résultats et a ouvert le domaine pour des études plus poussées dans ce cadre afin d’arriver à donner une explication linguistique plus satisfaisante.

Vu ces lacunes méthodologiques et ce manque d’un traitement globalisant, notre travail ne fera pas référence uniquement à ces grammaires, mais nous cherchons des éléments de solution dans le cadre d’une théorie linguistique globale qui puisse satisfaire à toutes les ambitions déclarées et faire avancer la recherche dans ce vaste domaine. Pour ce faire, nous commencerons d’abord par une étude critique des différentes approches linguistiques s’inscrivant dans différentes théories linguistiques ou se déclarant comme des approches linguistiques plus personnelles.

Notes
1.

Exemple cité in M. Arrivée et al, 1986, p. 49.

2.

Cf. R. L.Wagner et J. Pinchon, 1962, p. 76.