1.1.2. Le circonstant dans la théorie de la valence

En dépit des remarques précédentes, ce critère morpho-sémantique a mis l’accent sur une des caractéristiques essentielles du circonstant qui est son indépendance par rapport au verbe. Pour bien illustrer cette démarche, Tesnière a mis en œuvre une théorie linguistique de la valence transposée du domaine de la chimie :

‘« On peut ainsi comparer le verbe à une sorte d’atome crochu susceptible d’exercer son attraction sur un nombre plus au moins élevé d’actants, selon qu’il comporte un nombre plus ou moins élevé de crochets pour les maintenir dans sa dépendance. Le nombre de crochets que présente un verbe et par conséquent le nombre d’actants qu’il est susceptible de régir, constitue ce que nous appelons la valence du verbe » 1 . ’

À la lumière de cette théorie, trois types d’actants ont été distingués pour le verbe (Cf. pp. 108-109.), toujours selon un point de vue sémantique. Ainsi le prime actant est celui qui fait l’action et le verbe est dit monovalent, le second actant est celui qui supporte l’action et le verbe est dit bivalent, et enfin le tiers actant est celui au bénéfice ou au détriment duquel se fait l’action et le verbe peut être alors dit trivalent. De ce fait, les circonstants sont donc définis comme des éléments qui ne répondent ni au prime actant ni au second actant ni au tiers actant. Plus exactement, ce qui n’est pas un actant devrait être un circonstant. C’est pour cela que Tesnière a considéré le syntagme de veste comme un circonstant 2 dans :

‘115. Alfred change de veste.

À notre avis, cela peut entraîner deux effets néfastes pour le problème du circonstant : d’abord, suite à cette définition, il faudra considérer comme circonstant tout élément indéfinissable ou dont on ne sait que faire dans la phrase, bref elle fait de la classe des circonstants une classe fourre-tout qui accepte les éléments inclassables. Ensuite, selon la position de Tesnière, le circonstant est un élément facultatif pour le verbe alors que le syntagme de veste est considéré comme circonstant bien qu’il soit indispensable à la construction du verbe. Tout cela complique le problème et donne une image négative sur le fonctionnement des circonstants dans la phrase.

Toujours selon cette démarche négative, les constituants qui sont construits au datif ou avec la préposition à sont arbitrairement considérés comme des tiers actants tels que plaire à quelqu’un, nuire à quelqu’un alors que tous les compléments qui sont construits au génitif seront considérés comme des circonstants tels que dépendre de quelqu’un, changer de chaussettes, se souvenir de quelque chose, se tromper de porte. Cette manière de voir peut être rejetée comme le font Wagner et Pinchon qui ont souligné qu’à propos de « parler à quelqu’un » (complément d’objet) et « parler de quelque chose » (complément circonstanciel), les deux compléments sont en relation avec le verbe de la même façon : seule la préposition diffère 3 .

Notes
1.

Lucien Tesnière, 1959, Chap. 97, p. 238.

2.

Cf. L. Tesnière, 1959, p. 128.

3.

Cf. R. L. Wagner et J. Pinchon, 1962, p. 75, § 68.