1.2. Critique de l’approche structuraliste

Malgré les oppositions qui ont été faites contre Tesnière, il a eu le mérite d’introduire l’appellation du mot circonstant dans la linguistique moderne. Il a eu aussi le mérite de distinguer entre actants et circonstants et même de considérer que les actants sont dépendants du verbe alors que les circonstants sont facultatifs. Mais la position de Tesnière laisse penser que les circonstants ont un statut négatif dans la phrase, ils apparaissent comme des constituants mis à part : ce qui n’est pas un actant doit être un circonstant.

Dans un développement récent de la théorie de Tesnière sur le circonstant, Christian Touratier considère que la notion de la valence ne peut être admise que dans son acception sémantique et qu’il est possible de l’utiliser à des fins syntaxiques. Dans le cadre de cette théorie, l’auteur constate qu’on doit faire usage de la définition de Tesnière pour le circonstant dans la syntaxe afin de bien expliquer les faits. L’idée de départ pour lui est de conserver la notion de complément circonstanciel de la grammaire traditionnelle pour exprimer les compléments qui font sémantiquement référence à la notion de la circonstance (temps, lieu, manière, cause, but,…) et de n’attribuer la notion de circonstant qu’aux constituants accessoires à l’ensemble du SV mais non pas à la phrase dans son ensemble comme le fait Tesnière :

‘« Il nous semblerait préférable de les [les circonstants] définir négativement, en disant seulement qu’ils correspondent aux constituants- Tesnière aurait dit : de la phrase, nous dirons pour notre part : du seul syntagme verbal- qui n’appartiennent pas à la valence du verbe » 1 .’

Le complément du verbe sera alors considéré comme un constituant immédiat du syntagme verbal ou comme une adjonction du verbe, tandis que le circonstant est lui aussi un constituant immédiat du syntagme verbal mais qui est considéré comme une de ses expansions. Notons au passage que c’est la seule position structurale reconnue par l’auteur aux circonstants : la position immédiate après le verbe tout en étant l’une de ses expansions. Les autres positions où peut se trouver le circonstant antéposé ou interposé ne sont pas reconnues. Il s’agit justement d’une autre fonction que peuvent avoir ces constituants. C’est la fonction d’extraposition définie en ces termes :

‘« On peut l’appeler extraposition, en la définissant d’une façon proprement syntaxique, c’est-à-dire d’une façon constructionnelle, comme un constituant immédiat de P qui est en même temps expansion de P. De fait la contribution au sens de l’énoncé qu’apportent ces extrapositions n’a rien à voir avec celle des circonstants » 2 .’

Ainsi les constituants soulignés dans les exemples suivants ne seront-ils plus considérés comme des circonstants, il s’agit tout simplement de la fonction syntaxique d’extraposition :

‘116. Tout est gris, à Paris. ’ ‘117. Baudelaire, au milieu du romantisme, fait songer à quelque classique.’

Nous constatons que cette manière de voir qui dépend essentiellement de la notion de la valence de Tesnière prise dans son acception sémantique contredit aussi bien la démarche habituelle traditionnelle que celle d’aujourd’hui qui reconnaît généralement plus d’une seule position au circonstant dans la phrase. Bien plus, le circonstant est généralement reconnu par sa manifeste mobilité dans les positions majeures de la phrase 3 . La notion de la fonction de l’extraposition, bien qu’elle soit une nouveauté syntaxique évidente dans ce domaine, est une notion vague du point de vue syntaxique car rien n’a été dit sur les critères qui peuvent l’identifier sauf qu’elle est un constituant immédiat de la phrase et qu’elle a une position structurale toute différente de celle des circonstants dans une schématisation de la phrase.

Notons que cette fonction peut contribuer à négliger les propriétés sémantiques et même le statut syntaxique de certains circonstants qui ne changent relativement pas de sens quand ils changent de position et à créer une confusion entre la fonction d’extraposition et la fonction de circonstant. Faudra-t-il donc considérer la nuit dans les deux phrases suivantes comme un circonstant ou comme une extraposition ? S’agit-il d’une même fonction ou de deux fonctions différentes ?

‘118. Il travaille la nuit.’ ‘119. La nuit, il travaille.’

De tout ce qui précède, nous pouvons dire en bref que si Tesnière a eu la préoccupation de souligner constamment les propriétés sémantiques des constituants de la phrase, Touratier a privilégié, au contraire, le rôle des faits de syntaxe au détriment des propriétés sémantiques du circonstant.

Après ce passage en revue assez rapide de l’approche structuraliste, nous allons dire quelques mots aussi sur l’approche générativiste représentée par les développements récents de la théorie de N. Chomsky. Nous allons présenter l’essentiel de ce qui a été dit sur le problème du circonstant surtout selon la contribution de L. Gosselin dans sa thèse de Doctorat (1985).

Notes
1.

Christian Touratier, « La notion de circonstant » in : Adverbe et Circonstant, Travaux du cercle linguistique d’Aix-en-provence, n° 17, 2001, p. 21. C’est nous qui soulignons.

2.

Ibid., p. 27.

3.

Pour Riegel, Pellat et Rioul par exemple et comme nous l’avons déjà vu dans le chapitre précédent, la mobilité est la propriété caractéristique du complément circonstanciel. Cf., Grammaire méthodique du français, Paris, Presses Universitaires de France, 1994, p. 140.