2.4. Un critère pour identifier le complément circonstanciel

L’intérêt de cette recherche vient aussi du fait qu’elle a pu identifier un critère principal pour distinguer les compléments circonstanciels. C’est une sorte de paraphrase qui pourrait indiquer la catégorie sur laquelle le complément circonstanciel est prédiqué :

‘« Dans une structure : (XY), où la répartition linéaire de X et Y peut être variée, Y est un circonstanciel si et seulement si P peut être paraphrasé par la formule : « Le fait que X a lieu Y » » 1 . ’

Gosselin a pu distinguer les circonstanciels de ce qui ne sont pas des circonstanciels :

‘135. Pierre se promène dans le jardin.’ ‘(135a) Le fait que Pierre se promène a lieu dans le jardin.’ ‘136. Jean regarde Marie.’ ‘(136a) *Le fait que Jean regarde a lieu à Marie.’

De la même manière, ce critère a pu distinguer les comparatives et les consécutives circonstancielles des comparatives et consécutives non circonstancielles :

‘137. Pierre s’est sauvé comme s’il avait fui un incendie.’ ‘(137a) Le fait que Pierre se soit sauvé eut lieu (s’est produit) comme s’il avait fui un incendie.’ ‘138. Ce livre n’est pas aussi intéressant que tu ne me l’avais prédit.’ ‘(138a)*Le fait que ce livre ne soit pas aussi intéressant a lieu que tu ne me l’avais prédit.’ ‘139. Pierre s’est présenté comme un homme tolérant, de façon à plaire à tous.’ ‘(139a) Le fait que Pierre se soit présenté comme un homme tolérant eut lieu de façon à plaire à tous.’ ‘140. Ce clown est si drôle qu’il fait rire la salle entière. ’ ‘(140a) *Le fait que ce clown soit si drôle a lieu qu’il fait rire la salle entière 2 . ’

Il est à noter aussi que l’application de ce critère a eu pour résultat réel de considérer les concessives et les hypothétiques comme de vraies circonstancielles et d’exclure de la classe des compléments circonstanciels les compléments de poids, de prix et certains compléments du type : Je mesouviens de (X) qui étaient considérés comme de vrais circonstanciels par Tesnière. Suivant l’intuition selon laquelle seules les propositions qui acceptent les compléments circonstanciels sont celles et uniquement celles qui constituent des réponses possibles aux questions : « Qu’arrive-t-il ?, Que se passe-t-il ? », Gosselin a dégagé un autre critère complémentaire au premier. Il s’agit tout simplement de poser l’une des questions :

‘141. Que se passe-t-il ? Qu’arrive-t-il ?’

Mais il faut signaler ici que ni ce critère ni l’autre n’ont pu donner les mêmes résultats dans les structures, avec par exemple, les gérondifs, les participes présents, les concessives à fonction d’adjectif ainsi que les syntagmes adjectivaux détachés.

‘142. Pierre se promène en sifflant.’ ‘(142a) *Le fait que Pierre se promène a lieu en sifflant. ’

Il a même introduit certains tours au sein de la classe des circonstanciels selon le seul fait qu’ils expriment l’une des circonstances. Ce critère adopté n’est donc plus un critère syntaxique toujours opératoire :

‘143. Ce peintre, très célèbre au XVIIe siècle, est oublié aujourd’hui.’ ‘(143a) Le fait que ce peintre soit très célèbre eut lieu au XVIIe siècle.’

Reste à dire enfin que l’approche de L. Gosselin portant sur la question des compléments circonstanciels a discuté le problème à fond. Il a contribué à donner à la notion du complément circonstanciel un véritable statut dans notre langue dans la mesure où elle aura désormais une définition positive se basant, quoique difficile en pratique, sur la notion de la circonstance.

Ce qui témoigne de l’originalité de ce travail, c’est le traitement du problème du circonstant dans plus d’un domaine de la linguistique : syntaxe, sémantique, polyphonie pragmatique et grammaire de texte. Mais la remarque qui a attiré notre attention, c’est que l’auteur a traité d’abord le problème à partir des deux domaines essentiels : la syntaxe et la sémantique, qui sont - et nous sommes d’accord là-dessus- les deux domaines fondamentaux pour le traitement de ce problème. Le seul défaut est que, la plupart du temps, chaque domaine a été étudié à part sans que l’auteur veille à les relier ensemble pour donner une explication convaincante de son fonctionnement.

L’autre remarque la plus frappante, c’est qu’il a réduit sa recherche sur un type particulier de compléments circonstanciels : les groupes prépositionnels compléments circonstanciels et les subordonnées circonstancielles sans tester cette théorie sur les autres constituants qui remplissent la même fonction du complément circonstanciel comme, par exemple, les adverbes et les syntagmes nominaux non prépositionnels.

Gosselin a identifié un critère fondamental pour la caractérisation des circonstants, mais ce même critère, malgré les résultats réels qu’il a pu donner n’a pas eu les mêmes résultats pour certains compléments circonstanciels comme les gérondifs, les participes présents, certaines concessives ainsi que les syntagmes adjectivaux détachés sans compter les constructions verbales non personnelles.

Après avoir fait le point sur cette recherche et après en avoir apprécié les points forts et les points faibles, nous allons poursuivre notre démarche vers une solution plus globale et plus convaincante du problème du circonstant.

Notes
1.

Ibid., p. 530.

2.

Cf. L. Gosselin, 1985, p. 535.