3.3. Classement du complément en tout (e) N au sein des circonstants

Reste enfin la désignation des paramètres linguistiques qui permettent de classer ce type de compléments au sein des classes des circonstants. Pour ce faire l’auteur propose un certain nombre de tests syntaxiques :

(1) Le complément en tout (e) N ne figure pas parmi les compléments de phrase puisqu’il ne peut être placé en tête d’une phrase négative mais il peut accepter l’extraction en c’est…que :

‘171. ?? En toute légalité, Max n’a pas laissé l’héritage à Marie.’ ‘172. ≠ En toute sérénité, Marie n’a pas répondu.’ ‘173. C’est en toute légalité que Max a laissé cet héritage à Marie.’ ‘174. C’est en toute sérénité que Marie a répondu. (Cf. p. 161.)’

On peut donc dire qu’a priori, ce complément peut être considéré comme un complément intégré à la proposition.

(2) Il y a, parmi ces compléments, un groupe qui caractérise le verbe et son sujet (à la manière des adverbes de manière orientés vers le sujet) et un groupe qui caractérise uniquement le verbe (comme les adverbes de manière verbaux) :

‘175. Paul a été (serein+ *conscient) dans sa décision de priver Marie de cet héritage. ’

(3) Ce genre de complément se distingue des adverbes de point de vue (appelé aussi des adverbes de domaine) car il n’a pas le même comportement syntaxique. Alors qu’on peut avoir : Paul a (légalement + en toute légalité) expulsé son locataire, on n’a pas : Paul a (légalement + * en toute légalité) le droit d’agir ainsi.

Légalement peut être paraphrasé par « du point de vue légal » mais en toute légalité est difficilement paraphrasable. Il est à ajouter aussi que les tests de la négation et de l’extraction en c’est…que sont deux critères qui militent pour le classement de ce complément parmi les compléments intégrés au prédicat constitué par la relation sujet-verbe. Face à l’exemple suivant qui fait appel au test de la restriction :

‘176. *Il n’a que franchement un geste à faire, ’

on peut constater aussi l’impossibilité de :

‘177. * Il n’a qu’en toute franchise un geste à faire’

L’auteur a avancé un contre-exemple pour montrer l’inconsistance de ce test :

‘178. *Léa n’a répondu qu’en toute sérénité ’

On ne peut pas retenir le test de la restriction pour la caractérisation de ces compléments car, dans cet exemple :

‘« […] la phrase présuppose que l’interlocuteur pourrait penser que Léa était susceptible de répondre autrement, et c’est ce contraste qui, s’opposant au caractère absolu du jugement véhiculé par le complément, empêche l’association de en tout(e) N à la forme restrictive » 1 .’

Le test de l’exclamation est aussi à rejeter parce qu’elle exprime l’intensité indéfinie et le complément en tout (e) N exprime une nuance de l’intensité aussi. On peut dire en bref que ce genre de complément distingué par l’auteur est à classer parmi les compléments intégrés au prédicat en dépit des ressemblances qu’il a pu manifester avec les adverbes de phrase.

Notes
1.

D. Leeman, 1998, p. 168.