1.1.1. Les compléments d’attitude

La première catégorie des compléments du nœud actanciel est celle des compléments d’attitude. Ces compléments

‘« […] caractérisent tous le rapport du sujet et du verbe, plus exactement l’attitude du sujet dans l’accomplissement du procès » 1 . ’

C’est la catégorie appelée traditionnellement la catégorie des adverbes de manière se rapportant au sujet.

L’étude de la distribution des compléments d’attitude avec les différentes classes des verbes a permis à Melis de conclure que les compléments d’attitude ne peuvent figurer que dans la construction transitive : 

‘185. Pierre casse sauvagement la branche.’ ‘186. *La branche casse sauvagement. ’

Cela revient au fait que dans le cas des constructions transitives, une action est exprimée alors que dans le cas des constructions intransitives c’est une non-action. Pour la classe des verbes psychologiques, Melis distingue deux sous-classes : ceux qui n’ont qu’un sens psychologique tels que : Amuser, décourager, dégoûter, ennuyer, étonner, horrifier, humilier, intéresser…et ceux qui allient un sens physique à un sens psychologique tels que : Blesser, frapper, toucher…etc.

Dans la première série, la lecture agentive n’apparaît en effet que dans les phrases dont le sujet est (+humain) ou dont le sujet dénote le résultat d’une activité spécifiquement humaine à laquelle une certaine intention peut être attribuée : Décision, émission, lettre, etc. Dans les phrases à lecture non agentive, aucune restriction ne porte sur le sujet. Les compléments d’attitude n’apparaissent donc que dans les phrases à lecture agentive :

‘187. Gaston touche volontairement le bras de Henriette.’ ‘188. * Gaston touche volontairement Henriette par sa maladresse 2 .’

Dans le cas des verbes de la seconde série, ils peuvent se comporter comme ceux de la première quand le sens physique et la lecture agentive d’une part et le sens psychologique et la lecture non agentive d’autre part peuvent coïncider :

‘189. Pierre frappe volontairement Marie.’ ‘190. * Pierre frappe volontairement Marie par sa paresse.’

Mais dans le cas où ces verbes prennent un sens physique et leur sujet est non humain, les compléments d’attitude semblent être exclus :

‘191. * Les marteaux du piano frappent en fureur les cordes.’ ‘192. * La flèche a audacieusement frappé la cible.’ ‘193. * Le fouet l’a frappé avec rudesse.’

Malgré cela, il apparaît que la présence, au niveau du sujet, du trait +humain soit directement, soit par induction, ne peut être une condition ni nécessaire ni suffisante pour l’apparition de ces compléments vu les exemples suivants : 

‘194. Le malheur a frappé sans pitié cette famille.’ ‘195. Cette pièce de Brecht dénonce avec véhémence les abus de pouvoir du capitalisme 3 .’

Il semble donc que les compléments d’attitude ont plus de chance d’apparaître dans l’énoncé qui reçoit une lecture agentive. Dans le cas des verbes transparents qui peuvent avoir une double lecture agentive ou non agentive, on a :

‘196. Geoffroy risque témérairement ses dernières ressources. (lecture agentive)’ ‘197. * La pluie risque témérairement de tomber. (lecture non agentive)’

Pour les verbes de mouvement on a aussi :

‘198. Marie roulait avec anxiété dans une calèche découverte. (lecture agentive)’ ‘199. * Le blessé roula avec anxiété jusqu’au bord de la route. (lecture non agentive) 4

Les verbes d’état ne peuvent jamais être accompagnés par des compléments d’attitude sauf le cas où l’attribut, par exemple, représente une caractéristique variable et contrôlable, la présence des compléments d’attitude devient alors possible :

‘200. Pierre n’était pas intentionnellement arrogant avec Marie.’ ‘(L’attribut exprime ici un état changeant et accidentel)’

L’appellation des compléments d’attitude comme des adverbes de manière-sujet qui prévoit que le sujet doit avoir le trait +humain ou +animé n’est pas une condition suffisante vu l’anomalie qu’on peut trouver dans l’exemple suivant :

‘201. * Le blessé roula anxieusement jusqu’au bord de la route.’

La non acceptabilité de cette phrasevient du fait que le verbe traduit une lecture non agentive et si l’on tourne la phrase en faveur d’une lecture agentive, la phrase devient acceptable : Le blessé roula anxieusement dans une calèche ouverte. Elle n’est pas non plus une condition nécessaire :

‘202. Le vent patiemment transforme les vieilles pierres en sable.’ ‘203. Le train gravissait joyeusement la colline.’ ‘204. Ce raisonnement vise à détruire l’argumentation de la défense et il le fait avec pénétration.’ ‘205. Ce guide touristique vante avec lyrisme les beautés d’un côté industrialisé.’

Cette constatation vient donc en appui de l’exemple précédent : tous ces exemples ont une lecture agentive mais dans un sens rhétorique. La lecture agentive/non agentive s’avère donc indispensable pour la sélection des compléments d’attitude. Pour Melis, la paraphrase de l’adverbe d’attitude par deux phrases attributives contenant l’adjectif correspondant à l’adverbe  ne peut être une condition ni nécessaire, ni suffisante :

‘206. Pierre travaille intelligemment
1- Pierre est intelligent.
2- Le travail est intelligent.’

Car dans de nombreux cas la construction d’une phrase attributive est exclue. Ceci se produit quand aucun adjectif ne correspond à l’adverbe ou que l’adjectif n’a pas le même sens, surtout si l’on veut étendre la condition aux compléments prépositionnels. Elle n’est pas non plus suffisante : si l’existence d’une paire de phrases attributives constituait une condition suffisante, il faudrait pouvoir former à partir de la paire :

‘207. La mort est amère’ ‘208. Le goût est amer,’

la phrase

‘209. ? La mort dégoûte amèrement’

Or, si celle-ci est acceptable, l’adverbe ne sera jamais interprété comme un complément se rapportant au sujet, mais il le sera nécessairement comme un complément d’intensité. À ajouter aussi que la phrase attributive transforme la qualification adverbiale ayant une validité limitée et portant sur une circonstance particulière en une qualification de valeur générale 5 .

Pour l’implication du sujet dans le procès lors de la sélection des compléments d’attitude, Melis soutient l’idée que le sujet ne caractérise pas le procès en tant que sujet, c’est-à-dire en tant que terme phrastique qui remplit une fonction grammaticale donnée mais en tant qu’agent implicite ou explicite du procès. Les compléments d’attitude peuvent apparaître dans des phrases passives :

‘210. Il a été soigneusement décrit.’ ‘211. Il a été sauvagement malmené par la police.’

Dans des phrases passives impersonnelles :

‘212. Il a été tiré intentionnellement un petit nombre d’exemplaire sur papier vélin.’ ‘213. Il avait été procédé à la cérémonie le plus discrètement possible.’

Dans des phrases impersonnelles :

‘214. Il arrive sournoisement quelqu’un par le sentier détourné,’

Dans des phrases moyennes :

‘215. Les légumes, ça se cuit soigneusement.’

Notes
1.

Cf. Ludo Melis 1983, p. 34.

2.

Ibid., pp. 36-37.

3.

Cf. Ludo Melis, p. 38.

4.

Ibid., pp. 39-41.

5.

Cf. Ludo Melis, 1983, pp. 46-47.