1.1.3. Les compléments aspectuels

C’est une classe intermédiaire entre la classe des compléments de manière et des compléments temporels. Ces compléments « […] caractérisent le déroulement du procès et plus exactement la manière dont il se déroule dans le temps. Ils répondent donc tant à la question comment ? qu’à la question en combien de temps ? La séparation des nuances n’est guère possible dans les énoncés concrets » 1 .

Cette classe englobe les compléments de type : Brusquement, brutalement, lentement, rapidement, vite, vivement, etc. Ces compléments ont alors une double caractérisation, qualitative et quantitative, ce qui explique la possibilité de les considérer à la fois comme compléments de manière et comme compléments de temps. Melis souligne un autre emploi de la plupart de ces adverbes dans lequel ils peuvent être considérés comme des compléments d’attitude ; dans cet emploi, ils peuvent apparaître avec d’autres adverbes aspectuels :

‘229. Pierre court lentement vite.’

Certains d’entre eux aussi peuvent référer non pas au déroulement du procès, mais à l’enchaînement de celui-ci avec d’autres procès, dans ce cas l’adverbe prend le sens de bientôt soulignant que les deux procès se succèdent sans interruption et il attire donc l’attention sur le caractère imprévisible du second procès :

‘230. Le ciel était serein ; brusquement un orage éclata 2 . ’

D’une manière générale, Melis propose les critères qui contrôlent l’apparition de ces compléments comme suit :

‘« Si le procès décrit une modification, un complément aspectuel peut être introduit dans l’énoncé ; si le procès évoque un état, un tel complément est exclu. Dans certains cas, l’introduction d’un complément dans un énoncé contenant un prédicat statif est possible avec une interprétation particulière : le complément réfère alors à la phase qui précède l’état évoqué et qui a mené à cet état» 3 .’

Le procès exprime une modification :

‘231. Il s’endort rapidement.’

Le procès exprime un état :

‘232. *Il dort rapidement.’

Le procès exprime un état statif :

‘233. *Il est brusquement intelligent.’

Le procès exprime un état changeant :

‘235. Il est brusquement grand.’

Malgré l’existence de quelques parallélismes entre les compléments aspectuels et les compléments d’attitude, il ne faut pas les confondre vu les exemples décisifs suivants :

‘236. Il est intentionnellement arrogant.’ ‘237. * Il est lentement arrogant.’ ‘238. * Il tombe audacieusement.’ ‘239. Il tombe rapidement.’

Cette classe est aussi à distinguer de la classe des compléments instrumentaux :

‘240. * Les légumes cuisent à l’anglaise.’ ‘241. Les légumes cuisent lentement. ’

Il est à noter aussi que les compléments des trois catégories ne peuvent pas être confondus parce qu’ils peuvent coexister :

‘242. Il fait intentionnellement lentement confiance à ses nouveaux employés.’ ‘243. Il cuit lentement les légumes à l’anglaise 4 .’

On peut rapprocher de la catégorie des compléments aspectuels une autre catégorie de compléments qui peuvent avoir la même distribution, mais « Si les premiers offrent une caractérisation à la fois qualitative et quantitative, les seconds ne se situent qu’au plan qualitatif ; le déroulement est présenté comme linéaire ou comme modulé ou compartimenté » 5 . Cette classe peut être représentée par les compléments de type : graduellement, progressivement et d’autres syntagmes prépositionnels de type : pas à pas, en étapes, par étapes,….

La catégorie des compléments de durée introduits par la préposition en est aussi une catégorie à rapprocher des compléments aspectuels. Le comportement des deux séries de compléments est similaire en tous les points et répond à tous les critères d’identification :

‘244. Il s’endort brusquement.’ ‘245. Il s’endort en deux secondes. ’ ‘246. * Il dort brusquement.’ ‘247. * Il dort en deux instants.’

Les deux séries de compléments connaissent aussi un autre rapprochement au niveau sémantique puisque lentement peut être paraphrasé par en beaucoup de temps, rapidement par en peu de temps, et brusquement par en un instant. Ces paraphrases indiquent que les compléments de durée donnent des indications essentiellement quantitatives et répondent uniquement à la question en combien de temps ?

Il y a aussi un rapprochement de l’emploi de certains compléments de durée introduits par pendant, depuis et pour ainsi que les compléments directs de type : un an, trois heures, quelque temps, longtemps avec les compléments aspectuels. Mais ces compléments sont exclus de cet emploi à partir le moment où ils sont voués à situer le temps du procès sur l’axe du temps.

Reste à signaler aussi que le caractère télique/non télique de l’énoncé semble jouer un rôle capital dans la sélection des compléments aspectuels :

‘« Un énoncé sera dit télique s’il rapporte l’envisagement d’un procès s’achevant, tendant vers sa fin (…), cette définition implique que le procès comporte ordinairement une modification, il sera donc dynamique ; elle implique également que la réalisation du procès est envisagée. On opposera ainsi :’ ‘ Il va à Paris, qui est un énoncé télique à l’énoncé non télique Il va vers Paris » 6 . ’

Les compléments aspectuels sont préférentiellement compatibles avec les verbes téliques puisque le procès possède une durée interne ; dans un énoncé non télique, les états immuables ne pourront pas être caractérisés par un complément de durée.

‘248. Il boit un verre en deux secondes.’ ‘249. *Il boit en deux secondes 7 . ’
Notes
1.

Ibid., p. 64.

2.

Cf. Ludo Melis, 1983, pp. 64-65.

3.

Ibid., p. 67.

4.

Cf. pp. 68-69.

5.

Ibid., p.70.

6.

Ibid., p. 75. Voir aussi p. 85. C’est nous qui soulignons.

7.

Cf. p. 81.