1.2.2. Les compléments transpositionnels et les compléments propositionnels

Pour mettre en valeur les frontières qui peuvent s’établir entre la catégorie des compléments transpositionnels et les compléments positionnels, Melis fait un classement des compléments de temps et de lieu.

1.2.2.1. Les compléments temporels

Les compléments temporels sont ceux qui ont pour fonction d’apporter « […] une détermination de temps à la proposition en identifiant un segment sur l’axe du temps et en définissant, pour le segment de cet axe qu’il faut associer à la proposition, la relation de simultanéité ou de non simultanéité, c’est-à-dire d’antériorité ou de postériorité, avec le segment auquel ils réfèrent ». (Cf. p. 169.). Selon cette définition, le classement des compléments temporels doit se fonder sur deux axes principaux :

(1) Selon la relation d’ordre entre le segment identifié grâce au complément et celui qui est attribué à la proposition, autrement dit, la relation de ce segment avec le tiroir verbal.

(2) Selon les caractéristiques du segment identifié par le complément.

La classification selon le deuxième axe doit tenir compte de trois faits : 

‘« 1. Le repère de la détermination temporelle est actuel, non actuel et objectif ou textuel ;
2. Le segment est présenté comme un moment, comme une période close ou comme une période ouverte ;
3. La détermination temporelle est en relation de simultanéité, d’antériorité ou de postériorité avec le repère et avec le moment attribué à la proposition ». (pp. 171-172.)’

Il faut savoir d’abord que la fonction essentielle du repère est d’aider le locuteur à distinguer le segment sur l’axe du temps. Le système français possède en effet trois sortes de repères : le repère qui renvoie au moment de l’énonciation ou le repère énonciatif qui concerne le « moi-ici-maintenant » du locuteur, puis le moment objectif, distingué du moment de l’énonciation, qui renvoie à une précision de date, de période ou d’un événement, et enfin, le moment textuel qui donne une indication temporelle relative au contexte textuel précédent.

Les propriétés du segment distingué sur l’axe du temps doivent aussi être prises en compte lors du classement des compléments temporels. C’est-à-dire la capacité du segment à désigner un moment, un point sur l’axe du temps, ou une période, un intervalle sur cet axe ainsi que son caractère ouvert ou fermé. Ce segment peut exprimer un moment (en été), une période (pendant l’été). Cette période peut exprimer un intervalle ouvert dont le point initial ou final est déterminé (désormais, depuis) ou fermé (pendant l’été). Melis revient sur le fait que la répartition des compléments temporels en compléments qui expriment des repères et en compléments qui expriment des périodes n’est pas toujours exacte. Il évoque une série d’adverbes qui échappent à cette répartition.

Les adverbes tôt , tard et à temps, par exemple, permettent de situer un moment temporel sur l’axe du temps mais par rapport à un moment théorique apprécié subjectivement par le locuteur. Les adverbes déjà et encore, ont le même comportement, mais ils se distinguent par le fait qu’ils lient la proposition à sa négation. Ces compléments sont différents aussi parce qu’ils peuvent coexister avec les compléments temporels normaux :

‘311. Les pruniers fleurissent encore à la fin de mai’ ‘312. Les pruniers fleurissent déjà à Pâques’ ‘313. Il rentre tôt, à cinq heures’ ‘314. Ils sont arrivés à temps, après le repas. ’

L’opposition des compléments entre les deux paires de phrases permet de conclure que les compléments tôt , tard et à temps fonctionnent comme des compléments positionnels intégrés au message alors que déjà et encore sont des compléments transpositionnels qui peuvent se combiner dans la phrase avec un complément temporel propositionnel. Selon le premier axe de classement des compléments temporels évoqué par Melis, il faut considérer que le verbe est le porteur des marques du temps et de l’aspect. Il sera donc possible d’étudier les relations qu’il peut entretenir avec les circonstants.

Melis souligne qu’il y a un certain nombre de parallélismes entre le système des circonstants et celui des temps verbaux. Dans les deux systèmes, on peut trouver, par exemple, des éléments qui expriment l’antériorité, la simultanéité et la postériorité de l’action. Cela peut paraître bien clair dans le système des circonstants puisqu’il y a des segments qui peuvent l’exprimer comme par exemple : avant, maintenant, après, mais dans le système des temps verbaux c’est le rapport qui s’établit entre eux et le repère temporel identifié par le segment :

‘« […] le système du présent défini par rapport au repère de l’énonciation et le système de l’imparfait défini par rapport à un repère distinct du moment de l’énonciation ». (p. 173.)’

Il y a aussi un autre parallélisme au niveau de l’aspect : il y a une parenté entre l’opposition clos/fermé et l’opposition global/sécant. Entre les deux systèmes semble s’établir une certaine coïncidence des traits qui peuvent participer à la définition d’un moment unique attribué à la proposition. Cette coïncidence ne joue cependant pas sur le même niveau parce que : 

‘« La détermination dont la forme verbale est le porteur est une détermination obligatoire, alors que les déterminations données par les circonstants sont facultatives et secondaires et leur interprétation est, au moins partiellement, déterminée par le tiroir verbal ». (p. 174.)’

Ainsi en été dans les deux phrases suivantes n’a pas la même interprétation :

‘315. Pierre rencontra Marie en été.’ ‘316. Pierre rencontrera Marie en été.’

À l’absence de cette coïncidence des traits, peuvent apparaître plusieurs types d’anomalies :

‘317. * Il viendra hier.’ ‘318. * Il viendra la semaine passée.’ ‘319. ?* Il arriva avant le lendemain.’ ‘320. ?* Il arriverait après la semaine précédente.’

Malgré la différence entre le système du temps et le système de l’espace, Melis avance quelques arguments qui militent en faveur d’une ressemblance fonctionnelle. D’abord, ils ont tous les deux le même système de repérage : ils servent à situer la phrase dans son ensemble et ont des repères qui se rapportent au moment de l’énonciation (ici, maintenant), à un lieu/temps objectif là/en été et au texte en même temps/près de la fenêtre.

Ensuite, les deux sortes de compléments peuvent avoir les mêmes relations de compatibilité avec les tiroirs verbaux. Enfin, le système de repérage de ces compléments doit tenir compte d’une exigence d’intelligibilité qui peut être illustrée par les compléments de lieu suivants :

‘321. Un éléphant dort à côté de la rhétorique de Cicéron.’ ‘322. Cette tour gigantesque a été construite dans la cave.’

Melis estime que ces phrases ne sont pas acceptables parce qu’il est difficile de restituer un contexte dans lequel une telle localisation peut être pertinente.