2.1. Les adverbiaux contextuels

Dans son article publié dans la revue linguistique Langue Française n° 88 (1990), Nølke propose une classification d’une classe d’adverbes qui a engendré beaucoup de polémiques chez les chercheurs. Certains l’appellent « adverbes de point de vue », certains autres « les adverbes de domaine », certains autres enfin « les adverbes du cadre ». Son statut reste pour le moins indéterminé : adverbe de phrase ou adverbe de manière ?

Pour entamer la classification de cette classe, l’auteur conteste d’abord la validité des tests formels appliqués seuls 1 à cette fin et invite à adopter des critères de nature sémantico-pragmatique 2  :

‘« Je suggère de recourir à des critères de nature sémantico-pragmatique pour le travail définitoire et d’appliquer des tests formels uniquement dans le but d’ancrer les analyses dans la forme linguistique » 3 . ’

Les adverbiaux contextuels ont une fonction discursive très importante au niveau de l’énoncé, ils sont destinés à placer ce dernier dans son contexte linguistique. Ce qui distingue ces adverbiaux, c’est qu’ils ne sont pas de nature référentielle c’est-à-dire qu’ils ne se réfèrent pas au contexte spatio-temporel :

‘« Sera considéré comme adverbial contextuel tout adverbial dont l’interprétation fait systématiquement appel à des éléments du contexte non spatio-temporel. Plus précisément, l’interprétation de l’énoncé auquel l’adverbial est ajouté dépend de tels éléments et cette dépendance s’explique justement par la présence de l’adverbial » 4 . ’

Ne se référant pas au contexte spatio-temporel, ces adverbiaux font appel au locuteur et notamment au commentaire qu’il fait sur son produit linguistique représenté par une proposition communiquée à travers une phrase. Suite à cette définition, ces adverbiaux doivent être placés aux limites de l’énoncé ou plus exactement dans des positions détachées pour signifier une intervention intentionnée du sujet-parlant. Les autres critères évoqués par l’auteur sont en fait pour la plupart destinés à identifier les adverbes de phrase :

(1) Ils n’acceptent pas la focalisation soit par la négation soit par l’interrogation :

‘334. *C’est heureusement que Paul a vendu sa voiture. ’ ‘335. *Paul a-t-il heureusement vendu sa voiture ?’

Ils portent sur la totalité de la phrase :

‘336. Heureusement, Paul a vendu sa voiture.’

(2) Ils sont très mobiles dans les limites majeures de la phrase :

‘337. Paul, heureusement, a vendu sa voiture.’ ‘338. Paul a heureusement vendu sa voiture.’ ‘339. Paul a vendu sa voiture, heureusement.’

Il est à noter que ces adverbiaux diffèrent des fameux adverbiaux de cadre spatio-temporel qui répondent à presque la totalité des critères évoqués sauf que ceux-ci ont quelques restrictions par rapport au critère de la mobilité 5  :

‘340. *Paul a hier vendu sa voiture.’

De ce qui vient d’être dit, on peut donc conclure avec l’auteur que les AC (adverbiaux contextuels) sont bel et bien des adverbes de phrase malgré le grand débat ouvert sur la sous-catégorie appelée les adverbiaux contextuels comme stylistiquement, géographiquement qui sont parfois classés parmi les adverbes de manière parce qu’ils peuvent être focalisés dans une phrase clivée. L’auteur a avancé deux arguments en faveur de leur intégration parmi les adverbiaux contextuels :

1. Ces adverbiaux précisent la dimension thématique du contexte non spatio-temporel qui dépend évidemment du contenu propositionnel.

2. Ils se présentent comme le résultat d’un choix fait par le locuteur, d’où la focalisabilité.

Les adverbiaux contextuels sont subdivisés en trois grandes catégories selon deux paramètres fondamentaux :

A. Ceux qui font référence au contexte textuel (le cotexte) et,

B. Ceux qui font référence au contexte de l’énonciation.

C. Ceux qui commentent le contenu de l’énoncé et ceux qui caractérisent l’acte de l’énonciation.

Les adverbiaux qui ne font pas référence au contexte textuel sont les adverbiaux d’énonciation du type : franchement, entre nous et les adverbiaux d’énoncé du type : heureusement, peut-être. Les adverbiaux qui font référence au contexte textuel sont les connecteurs du type : donc, pourtant. Nølke a noté 6 la difficulté de distinguer un adverbial d’énonciation et un adverbial connecteur. Le seul critère possible qui puisse différencier les deux catégories est que les connecteurs sont inacceptables dans les réponses à une interrogation :

‘341. Marie est-elle fasciste ? *oui, donc. ’

Les adverbiaux d’énonciation sont divisés en quatre catégories sémantiques : les adverbiaux illocutoires : blague à part, franchement, les adverbiaux d’interlocuteurs : à mon avis, entre nous, les adverbiaux de présentation de l’énoncé : bref, en d’autres termes, les adverbiaux de pertinence qui caractérisent les circonstances du dire : si tu as soif, il y a une bière au frigo.

Quant aux adverbiaux d’énoncé, ils se subdivisent en : les modaux, qui modalisent la vérité de l’énoncé : peut-être, forcément, les évaluatifs : heureusement, bizarrement, les prédicatifs qui décrivent la relation prédicative : prudemment, Pierre n’a pas répondu à la question et les adverbiaux de pertinence : en général, d’habitude.

La démarche suivie par l’auteur est donc, nous l’avons vu, de nature sémantico-pragmatique préconisant une théorie qui mette en relation les différents niveaux d’analyse : de la syntaxe à l’interprétation. Il est impossible, affirme-t-il 7 qu’on puisse établir une classification fondée uniquement sur des critères formels.

Notes
1.

Il est clair que l’unanimité des chercheurs ne s’est pas faite sur cette catégorie des adverbiaux : Mørdrup (1976) et Molinier (1984) les classent parmi les adverbiaux de manière parce qu’ils acceptent la focalisation (l’extraction dans une phrase clivée) alors que certains autres chercheurs comme Schlyter (1977) en font une catégorie des adverbes de cadre comme les adverbiaux spatio-temporels.

2.

L’auteur note qu’on peut se servir d’autres critères destinés à des fins différentes : il y a par exemple des tests de support, des tests heuristiques et des tests de description qui doivent se converger enfin pour établir la classification.

3.

Nølke, 1990, p. 20.

4.

Ibid.

5.

Un adverbial du cadre ne doit pas se placer entre l’auxiliaire et son participe.

6.

Cf. H. Nølke, 1990, p. 25.

7.

Ibid., p. 27.