1.2. La relation prédicative et la notion de l’incidence

Selon les principes de la psychomécanique,

‘« […] les parties de la langue s’organisent en un système basé sur trois critères qui sont la prédicativité, l’opposition univers-espace / univers-temps et l’incidence » 1 . ’

Nous nous bornons à l’étude de la question de la prédicativité et de l’incidence car ces deux notions constituent l’essentiel de la théorie psychomécanique et nous laisserons de côté la notion de l’opposition univers-temps / univers-espace.

Les deux notions d’incidence et de relation prédicative sont en fait en relation d’interdépendance dans la mesure où la relation prédicative ne peut exister que par la mise en œuvre d’un certain nombre de relations d’incidence. Guillaume considère que l’incidence est tout simplement une relation qui s’établit entre un apport et un support :

‘« [L’incidence] a trait au mouvement, absolument général dans le langage, selon lequel, partout et toujours, il y a apport de signification et référence de l’apport à un support. La relation apport / support est couverte par le mécanisme de l’incidence » 2 . ’

C’est donc à partir d’un apport et d’un support que s’établit la relation prédicative. Dans une phrase simple composée d’un sujet et d’un verbe ou éventuellement un objet, le sujet a une relation d’incidence appelée en psychomécanique une incidence syntaxique. Elle est suivie à son tour par une incidence sémantique mais qui s’effectue dans le sens inverse venant du verbe au sujet selon le schéma suivant :

Sujet → verbe « incidence syntaxique »

Verbe → Sujet « incidence sémantique »

Nous pouvons dire donc que la relation prédicative résulte de ce double mouvement d’incidence à la fois syntaxique et sémantique. En des termes plus techniques, nous disons que l’incidence syntaxique ressort à un dire puissanciel et l’incidence sémantique, qui s’en suit, ressort à un dit puissanciel 3 .

Il est à noter aussi que la mise en incidence dans la relation prédicative peut s’étendre au-delà de la relation sujet - verbe pour toucher aussi l’objet. Dans la relation objectale, l’objet est rendu syntaxiquement incident au verbe et il se crée une sorte de relation d’incidence sémantique orientée dans le sens inverse du verbe à l’objet :

Objet → Verbe « incidence syntaxique »

Verbe → objet« incidence sémantique »

Une fois la relation prédicative et les différents mouvements d’incidence établis, il sera fort possible qu’on puisse proposer un schéma canonique de la phrase simple en français comme l’a fait Guimier 4 . Selon cet auteur, les étapes essentielles de la construction d’une phrase simple sont les suivantes :

(1) Choix et construction du syntagme nominal sujet.

(2) Construction du prédicat avec, éventuellement, établissement d’une relation objectale comportant :

a. incidence syntaxique de l’objet vers le verbe.

b. incidence sémantique du verbe vers l’objet.

(3) établissement de la relation prédicative par incidence syntaxique du sujet au prédicat, suivie d’une incidence sémantique du prédicat au sujet.

De tout ce qui précède, nous pouvons constater que l’incidence vient au cœur de la théorie de la psychomécanique et au cœur même d’une étude de la syntaxe de la phrase. Il est temps donc de lui donner une définition plus évidente au sein de cette théorie. Nous reportons à la définition proposée dans Guimier (1993) selon laquelle l’incidence est définie comme :

‘« […] la mise en rapport d’un apport de signification et d’un support de signification : il s’agit d’un modèle dynamique basé sur l’hypothèse selon laquelle une part importante du sens global de l’énoncé résulte des opérations de genèse de cet énoncé, notamment de l’ordre dans lequel ses divers constituants sont introduits et mis en relation les uns par rapport aux autres. Ceci a pour corollaire la prise en compte de deux étapes essentielles de l’acte d’énonciation […] : la visée phrastique ou dire puissanciel et la chaîne parlée ou dire effectif. Ces deux étapes comportent un certain nombre d’opération qui, toutes, contribuent à la construction du sens » 5 . ’

De ce point de vue, plusieurs types d’incidence sont à distinguer. D’abord l’incidence interne qui est une incidence précoce réalisée dès la langue et l’incidence du substantif en est significative :

‘« Le substantif, aussi longtemps qu’il est substantif, a son incidence dans le champ même de ce qu’il signifie : autrement dit, le support qu’il se destine est, quant à sa nature, annoncé dès l’apport » 6 . ’

Un peu plus loin Guillaume, à propos de l’incidence interne du substantif, précise que :

‘« C’est pourquoi le mot homme qui a une incidence interne ne peut se dire en discours que pour signifier Homme alors que l’adjectif beau peut se dire en discours de toute sorte de supports » 7 .’

On peut dire donc que le substantif a sa propre matière notionnelle en langue à la fois comme apport et comme support. Il reste encore à définir deux types d’incidences, l’incidence externe du premier degré et l’incidence externe du second degré.

‘« On appelle incidence externe du premier degré l’incidence à un support possédant lui-même une incidence interne […] On appelle incidence externe du second degré l’incidence à un support possédant lui-même une incidence externe […] » 8 .’

L’adjectif reçoit le type d’incidence externe du premier degré et l’adverbe, à son tour, a une incidence externe du second degré. Ainsi dans l’exemple suivant :

‘374. Cet homme vit dans une très belle maison.’

Très, belle et maison ont en commun d’être porteurs d’une certaine signification. Mais très et belle, contrairement à maison, ont besoin d’un support extérieur auquel ils réfèrent leur signification propre. Belle constitue un apport d’information référé au support maison ; très constitue un apport d’information référé au support belle. L’incidence de l’adverbe apparaît donc comme une incidence à une incidence déjà existante. Pour Guillaume, l’incidence de l’adverbe est définie comme une incidence à une incidence, ou plus précisément une incidence à une incidence en cours :

‘« Dans Pierre marche vite, vite n’est pas incident à Pierre et n’est pas non plus, comme on le supposerait à tort, incident à marche. Vite est incident à l’incidence de marche à Pierre, c’est-à-dire à une incidence en cours » 9 . ’

Nous avons donc brièvement exposé les différents mécanismes d’incidence entre les constituants de la phrase simple en français. Nous avons montré que cette incidence a en effet une double face dans la mesure où il y a un double mouvement d’incidence potentiel. D’abord une incidence syntaxique qui s’oriente du sujet vers le verbe suivie par un autre mouvement d’incidence dite sémantique venant du verbe à son sujet.

La relation objectale représente à peu près le même schéma. L’objet est rendu incident syntaxiquement au verbe et celui-ci est incident sémantiquement à l’objet. Précisons encore que c’est là exactement que se justifie le choix de cette théorie qui réalise une fusion logique entre les faits sémantiques et les faits syntaxiques.

C’est d’ailleurs la règle d’or de la psychomécanique, comme l’a déjà signalé Annette Vassant :

‘ « Les considérations d’ordre sémantique, c’est une règle d’or en psychomécanique, n’ont lieu d’être que si elles s’appuient sur des critères formels » 10 . ’

Pour ce qui intéresse notre recherche sur les circonstants de temps, de lieuetde manière, nous allons nous servir de la typologie des incidences de l’adverbe telle qu’elle a été proposée dans Guimier (1988), plus particulièrement dans Guimier (1996). Mais avant d’aller plus loin dans l’analyse, il convient de donner d’abord une définition pertinente pour la notion du circonstant.

Notes
1.

Ibid., p. 23.

2.

Guillaume, Leçon 2, p. 137.

3.

Cf. C. Guimier, 1988, pp. 73-74.

4.

Ibid., pp. 99-100.

5.

Claude Guimier, « Les circonstants en phrase attributive » in : 1001 circonstants, Caen, Presses Universitaires de Caen, 1993, p. 128.

6.

Guillaume, Leçon 2, p. 137.

7.

Ibid., p. 150.

8.

C. Guimier, 1988, p. 28.

9.

Guillaume, Leçons 4, p. 202.

10.

Annette Vassant, « Fonctions syntaxiques et incidence chez Gustave Guillaume », Le Français Moderne, XLI, 1993, p. 152.