2.2.2. Le site morphologique

Nous allons parler dans cette partie de la morphologie des constituants qui entrent dans les catégories syntaxiques qui expriment la fonction du circonstant dans le corpus.

Nous allons illustrer le détail de cet inventaire 1 par les catégories sémantiques de ces constituants. Ce site vient donc en renfort du site sémantique et du site syntaxique que nous allons aborder par la suite. Rappelons que cette investigation ne porte que sur les catégories des temps, de lieu et de manière. Dans la typologie des compléments circonstanciels proposée par S. Rémi-Giraud (1998), les constituants qui sont susceptibles d’exprimer un circonstant sont répartis en trois grands ensembles :

(1) les constituants formés à partir des parties simples du discours : adverbe, syntagme nominal prépositionnel.

(2) les constituants formés à partir des formes verbales non personnelles : infinitif prépositionnel, gérondif.

(3) les propositions subordonnées : participiales, conjonctives dites circonstancielles (introduites par un outil de subordination autre que le simple que et les locution à ce que, de ce que) 2 .

Pour l’auteur 3 , la locution adverbiale et l’adjectif invarié sont à ranger sous la catégorie de l’adverbe. Quant aux pronoms en et y ainsi que le pronom relatif où, ils seront traités respectivement comme un adverbe et un syntagme nominal prépositionnel.

Il va sans dire que ce classement, malgré sa simplicité apparente, encore qu’il embrasse l’ensemble des circonstanciels, doit absolument être soumis à des affinements catégoriels importants.

Les circonstants de temps et de lieu peuvent être exprimés par un syntagme nominal non prépositionnel.  Ce sous-groupe sera donc rattaché à la catégorie des constituants construits à partir des parties simples du discours, qui est celle de l’adverbe et du syntagme nominal prépositionnel.

‘407. Nous avons vu de merveilleux spectacles l’année dernière. ’ ‘408. Il allait dîner, moyennant quarante-trois sols le cachet, dans un restaurant, rue de la Harpe 4 . (ES p. 77.)’

Nous allons donner des exemples de notre corpus pour ces différentes catégories ainsi que ses subdivisions. Nous allons nous contenter de citer trois exemples pour chaque type.

A. Le temps

‘409. Jamais il n’avait vu cette splendeur de peau brune, la séduction de sa taille, ni cette finesse des doigts que la lumière traversait. (ES p. 53.)’ ‘410. Les sons d’une harpe retentirent, elle voulut voir la musique ; et bientôt le joueur d’instrument, amené par la négresse, entra dans les Premières. (Es p. 54.)’ ‘411. Comme il ne pouvait dormir sans avoir stationné à l'estaminet Alexandre, il disparut dès onze heures. Les autres se retirèrent plus tard ; et Frédéric, en faisant ses adieux à Hussonnet, apprit que Mme Arnoux avait dû revenir la veille. (ES p. 153.)’ ‘412. Cependant, un long châle à bandes violettes était placé derrière son dos, sur le bordage de cuivre. Elle avait dû, bien des fois, au milieu de la mer, durant les soirs humides, en envelopper sa taille, s’en couvrir les pieds, dormir dedans ! (Es p. 54.)’ ‘413. Les deux coins de sa bouche se relevaient par moments, et un éclair de plaisir illuminait son front. (Es. P. 56.)’ ‘414. Son mari, un plébéien que ses parents lui avaient fait épouser, était morts d’un coup d’épée, pendant sa grossesse, en lui laissant une fortune compromise. (Es. p. 59.)’ ‘415. Les soirs d’été, quand ils avaient marché longtempspar les chemins pierreux […], une sorte d’étouffement les prenait […]. (ES. p. 64.)’ ‘416. Le matin, ils se promenaient en manches de chemise sur leur terrasse ; le soleil se levait, des brumes légères pas­saient sur le fleuve, on entendait un glapissement dans le marché aux fleurs à côté ; ‑ et les fumées de leurs pipes tourbillonnaient dans l'air pur, qui rafraîchissait leurs yeux encore bouffis ; ils sentaient, en l'aspirant, un vaste espoir épandu. (ES p. 114.)’ ‘417. Frédéric l'attendit toute la semaine. Il n'osait aller chez lui, pour n'avoir point l'air impatient de se faire rendre à déjeuner ; mais il le chercha par tout le Quartier latin. (ES p. 89.) ’
  • Infinitif prépositionnel
‘418. Après avoir poussé dans leurs débuts des maîtres contemporains, le marchand de tableaux, homme de pro­grès, avait tâché, tout en conservant des allures artistiques, d'étendre ses profits pécuniaires. (ES, p. 98.)’ ‘419. Avant de partir en vacances, il eut l'idée d'un pique‑nique, pour clore les réunions du samedi. (ES, p. 152.)’ ‘420. Avant de repartir, ils allèrent se promener le long de la berge. (ES, p. 437.)’
  • Gérondif
‘421. Frédéric la remercia du cadeau, tout en la blâmant de s'être dérangée. (ES, p. 543.)’ ‘422. Quel ravissement il avait eu la première fois, en l'entendant chanter ! Comme elle était belle, le jour de sa fête, à Saint‑Cloud ! Il lui rappela le petit jardin d'Auteuil, des soirs au théâtre, une rencontre sur le boule­vard, d'anciens domestiques, sa négresse. (ES, p. 544.)’ ‘423. Plus d'un, en apercevant ces coquettes résidences, si tranquilles, enviait d'en être le propriétaire, pour vivre là jusqu'à la fin de ses jours, avec un bon billard, une chaloupe, une femme ou quelque autre rêve. (ES, p. 50.)’
  • Participiale
‘424. Le repas fini, Catherine l'arrêta entre deux portes. Mademoiselle voulait, absolument, le voir. Elle l'attendait dans le jardin. (ES p. 166.)’ ‘425. Le repas terminé, il jouait dans la chambre avec son fils, se cachait derrière les meubles, ou le portait sur son dos, en marchant à quatre pattes, comme le Béarnais. (ES, p. 253.)’ ‘426. Les voitures devenaient plus nombreuses, et, se ralentissant à partir du Rond‑Point, elles occupaient toute la voie ». (ES, p. 72.)’
  • Proposition conjonctive temporelle
‘427. En même temps qu'il passait elle leva la tête ; il fléchit involontairement les épaules et, quand il se fut mis plus loin, du même côté, il la regarda. (ES, p. 53.)’ ‘428. Quand il entra dans le salon, tous se levèrent à grand bruit, on l'embrassa ; et avec les fauteuils et les chaises on fit un large demi‑cercle autour de la cheminée­. (ES, p. 60.)’ ‘429. Le capitaine, qui tenait maintenant un billard à Villenauxe, s'était fâché rouge lorsque son fils avait réclamé ses comptes de tutelle, et même lui avait coupé les vivres tout net. (ES, p. 65.)’
  • Proposition 5
‘430. Quand il arriva le lendemain, à dix heures, le grand salon s'emplissait de monde, et presque tous, en s'abordant d'un air mélancolique, disaient :’ ‘« Moi qui J'ai encore vu il y a un mois ! Mon Dieu c'est notre sort à tous ! ». (ES, p. 497.)’

B. L’espace

  • Adverbe
‘431. Frédéric pensait à la chambre qu'il occuperait là‑bas, au plan d'un drame, à des sujets de tableaux, à des passions futures. (ES, p. 50.)’ ‘432. Des jeunes gens, par bandes inégales de cinq à douze, se promenaient en se donnant le bras et abordaient les groupes plus considérables qui stationnaient çà et là ; […]. (ES, p. 81.)’ ‘433. Plus d'un, en apercevant ces coquettes résidences, si tranquilles, enviait d'en être le propriétaire, pour vivre jusqu'à la fin de ses jours, avec un bon billard, une chaloupe, une femme ou quelque autre rêve. (ES, p. 50.)’
  • Syntagme nominal prépositionnel
‘434. Un soir, au théâtre du Palais‑Royal, il aperçut, dans une loge d'avant‑scène, Arnoux près d'une femme. (ES, p. 79.)’ ‘435. Arnoux, seul, devant sa glace, était en train de se raser. (ES, p. 185.)’ ‘436. Près de l'auberge, une fille en chapeau de paille tirait des seaux d'un puits ; ‑ chaque fois qu'ils remontaient, Frédéric écoutait avec une jouissance inexprimable le grincement de la chaîne. (ES, p. 438.)’
  • Syntagme Nominal
‘437. Il allait dîner, moyennant quarante‑trois sols le cachet dans un restaurant, rue de la Harpe. (ES, p. 77.)’ ‘438. Frédéric le suivit à son bureau de correspondance, place de la Bourse 6 ; et il se mit à composer pour le journal de Troyes un compte rendu des événements en style lyrique, un véritable morceau, qu'il signa. (ES, p. 396.)’ ‘439. Mais Dussardier se mit en recherche, et lui annonça qu'il existait, rue Saint‑Jacques, un club intitulé le Club de l'Intelligence. (ES, p. 407.)’

C. La manière

  • Adverbe
‘440. On envoya chercher vivement un médecin, qui prescrivit une potion. Puis, quand il fut dans son lit, M. Roque exigea le plus de couvertures possible, pour se faire suer. Il soupirait, il geignait. (ES, p. 451.)’ ‘441. Elle se dit heureuse de lui voir un état, car ils n'étaient pas aussi riches que l'on croyait ; la terre rapportait peu ; les fermiers payaient mal ; elle avait même été contrainte de vendre sa voiture. (ES, p. 155.)’ ‘442. Souvent, elle demandait à Frédéric l'explication d'un mot qu'elle avait lu, mais n'écoutait pas sa réponse, car elle sautait vite à une autre idée, en multipliant les questions. (ES, p. 224.)’
  • Syntagme nominal prépositionnel
‘443. Sans y prendre garde, elle s'habillait devant lui, tirait avec lenteur ses bas de soie, puis se lavait à grande eau le visage, en se renversant la taille comme une naïade qui frissonne ; […]. (ES, p. 224.)’ ‘444. À pré­sent, il en secouait les morceaux dans sa main dont les ongles saignaient ; et, le menton sur la poitrine, les pru­nelles fixes, béant, il contemplait ces ruines de sa joie avec un regard d’une ineffable tristesse. (ES, p. 87.)’ ‘445. C'était, à présent, un grand diable de vingt‑deux ans, maigre, avec une large bouche, l'air résolu. Il portait, ce soir‑là, un mauvais paletot de lasting ; et ses souliers étaient blancs de poussière, car il avait fait la route de Vil­lenauxe à pied, exprès pour voir Frédéric. (ES, p. 68.)’
  • Gérondif
‘446. Frédéric, en rougissant comme une vierge, se défendit d'une telle supposition. (ES, p. 101.)’ ‘447. Ils causèrent de leur passé, de l'avenir ; et, de temps à autre, ils se prenaient les mains par‑dessus la table, en se regardant une minute avec attendrissement. (ES, p. 103.)’ ‘448. Il était assis trois places au‑dessous d'elle, sur le même côté. De temps à autre, elle se penchait un peu, en tournant la tête pour adresser quelques mots à sa petite fille ; et, comme elle souriait alors, une fossette se creusait dans sa joue, ce qui donnait à son visage un air de bonté plus déli­cate. (ES, p. 107.)’
  • Subordonnée comparative 7
‘449. Il n'apercevait au‑delà que les crinières des autres chevaux qui ondulaient comme des vagues blanches ; […]. (ES, p. 171.)’ ‘450. La pluie sonnait comme grêle, sur la capote du cabrio­let. (ES, p. 177.)’ ‘451. Rosanette l'écoutait avec de petits mouvements de tête approbatifs. On voyait l'admiration s'épanouir sous le fard de ses joues, et quelque chose d'humide passait comme un voile sur ses yeux clairs, d'une indéfinissable couleur. (ES, p. 196.)’ ‘452. Cette épithète, lancée au hasard, toucha Frédéric en plein coeur, comme une allusion outrageante. (ES, p. 102.)’
  • Proposition subordonnée nominale 8
‘453. Quand il ne pleuvait pas, le dimanche, ils sortaient ensemble ; et, bras dessus bras dessous, ils s'en allaient par les rues. (ES, p. 114.)’ ‘454. Quel bonheur de monter côte à côte, le bras autour de sa taille, pendant que sa robe balayerait les feuilles jaunies, en écoutant sa voix, sous le rayonnement de ses yeux ! (Es, p. 56.)’ ‘455. Elle était le point lumineux oùl'ensemble des choses convergeait ; ‑ et bercé par le mouvement de la voiture, les paupières à demi closes, le regard dans les nuages, il s'abandonnait à une joie rêveuse et infinie. (ES, p. 58.)’
  • Adjectif invarié
‘456. Il reconnut immédiatement les deux étagères de L'Art industriel, sa table à ouvrage, tous ses meubles ! Entassés au fond, par rang de taille, ils formaient un large talus depuis le plancher jusqu'aux fenêtres ; et, sur les autres côtés de l'appartement, les tapis et les rideaux pendaient droit le long des murs. (ES, p. 535.)’ ‘457. Des passants, que l'on croisait, considéraient Dussardier et se livraient tout haut à des commentaires outrageants. (ES, p. 86.)’ ‘458. Frédéric, gêné par sa présence, demanda bas à Mme Ar­noux s'il n'y avait pas moyen de voir les fours. (ES, p. 284.)’
Notes
1.

Le classement proposé par Guimier qui dresse un inventaire détaillé des catégories syntaxiques qui expriment la fonction du circonstant s’appuie sur une opération de défigement des catégories grammaticales traditionnelles « C’est la nature du constituant noyau qui donne son nom au circonstant ». Voir pour plus de détails Guimier, 1993, p. 26 et suiv.

2.

Cf. S. Rémi-Giraud, 1998, pp. 71-72. Il nous semble que le classement morphologique des constituants exprimant des compléments circonstanciels proposé par cet auteur est plus opératoire si l’on veille à affiner ses catégories selon les données du corpus.

3.

Voir les notes 14 et 15, p. 71.

4.

Le syntagme nominal joue ici la fonction du circonstant du fait qu’il se rapporte au groupe verbale « allait dîner » mais non pas au prédicat elliptique « se trouver » : Il allait dîner dans un restaurant qui se trouve rue de la Harpe.

5.

Chez C. Guimier (1993), les propositions en voici ou voilà et en il y a sont considérées comme des circonstants bien qu’elles aient un statut mal défini. Voir p. 31.

6.

La place de ce syntagme nominal peut être la source d’une ambiguïté importante : il peut se rattacher à « son bureau de correspondance » et doit donc être considéré comme un complément de nom. Mais il peut aussi se rattacher au verbe « suivit » et doit donc être retenu comme un circonstant.

7.

Notons que la subordonnée comparative en comme dans tous les exemples cités sont elliptiques du verbe. Par exemple : La pluie sonnait comme grêle = la pluie sonnait comme sonnait la grêle. Nous reviendrons en détail sur cette question.

8.

Cette appellation est de Claude Guimier, 1993, p. 30.