2.2.3. Le site syntaxique

Nous allons parler sous cette rubrique de différents tests syntaxiques qui aident à identifier le circonstant ainsi que des différents modes d’incidences et de portées que celui-ci est susceptible d’avoir dans la phrase.

2.2.3.1. Examen des tests syntaxiques qui sont destinés à identifier le circonstant

Selon la définition que nous avons avancée, le circonstant est défini par rapport à son verbe, son centre attracteur. L’objet est donc de mesurer la distance qui sépare le complément de son verbe, puisqu’il s’agit d’un centre et d’une périphérie. Les tests qui sont mobilisés à cette fin ont alors pour fonction de vérifier le degré de la cohésion du complément avec son verbe. La suppression et le déplacement sont les deux critères les plus souvent évoqués. Ils mettent en évidence le caractère facultatif et la mobilité du circonstant.

Bien que ceux-ci présentent des résultats positifs, leur mise en application peut connaître beaucoup de difficultés. La suppression, par exemple, peut entraîner un changement du sens du verbe ainsi que de sa valeur expressive. Ainsi dans l’exemple suivant tiré de Guimier (1993, p. 22.), la suppression de l’adjectif invarié (haut) qui est un circonstant authentique, pré- modifié par l’adverbe trop, est syntaxiquement possible hors contexte et l’énoncé prendra une valeur injonctive : « Tu pointes ! » :

‘459. Camarade, lui dit-il, tu pointes trop haut.

Mais dans l’exemple attesté, sans suppression du circonstant, l’énoncé a une valeur illocutoire de reproche. Même constat aussi pour le test de la mobilité. Le verbe pourrait changer de sens suite à un déplacement du complément 1  :

‘460. Dans l’armoire, les chaussures étaient rangées.’ ‘461. Les chaussures étaient rangées dans l’armoire. ’

Dans (460), être rangé = être en ordre, ordonné. Dans (461), être rangé quelque part = être posé (en ordre) quelque part. Ce changement de sens est dû à la fois à l’opération de la thématisation du complément en (460) qui devient un véritable circonstant et à la nature du complément en (461) qui joue, dans ce cas, comme un complément locatif qui complète le sens du verbe.

S. Rémi-Giraud 2 , pour sa part, souligne qu’il y a d’autres manipulations qui peuvent être mises en œuvre quand les deux critères déjà cités ne donnent pas les résultats attendus. Elle cite entre autres le critère du détachement en position post-verbale d’un constituant contigu à la forme verbale et la coordination qui sépare le complément du verbe.

Elle cite aussi un autre critère emprunté de L. Gosselin (1985) qui consiste à remplacer la forme verbale contenant éventuellement un complément essentiel par (le faire) pour maintenir le circonstant qui reste à sa place. Ce dernier critère est pour l’auteur d’une rentabilité supérieure 3 . Tous ces tests sont explicités à partir des manipulations suivantes :

‘462. Tous les regards convergeaient vers un point unique (V. Hugo).’ ‘463. Tous les regards convergeaient, vers un point unique. ’ ‘464. Tous les regards convergeaient, et / mais vers un point unique.’ ‘465. Tous les regards le faisaient [converger] vers un point unique.

Les constituants soulignés dans les exemples précédents sont donc bel et bien des circonstants car ils acceptent toutes les opérations syntaxiques de vérification. Il va sans dire donc que la mise en application des tests précités va permettre la répartition des compléments autour du verbe. Il y aura ceux qui lui sont fortement attachés et ceux dont la relation avec lui sera plus relâchée. En plus, il y aura toute une remise en ordre de ces différents genres de compléments. Parmi les vrais circonstants, il y aura même toute une échelle de gradation.

Avant de creuser un peu plus, nous voulons ouvrir une parenthèse pour montrer ce que signifie un complément de phrase et un complément de verbe. Dans la littérature linguistique, on oppose habituellement un complément de phrase / un complément de verbe ou plus exactement un adverbe de phrase / un adverbe de constituant. Or l’unanimité des linguistes ne s’est pas faite sur leurs définitions. Nous allons interroger à nouveau Melis (1983) pour qui les critères d’identification d’un complément de phrase sont répartis en trois catégories : des critères distributionnels, des critères syntaxiques et des critères positionnels. Nous rappelons les trois les plus essentiels et les plus cités chez cet auteur et même dans la littérature :

(1) le complément de phrase est compatible avec les différents types de phrase (assertion, ordre, question).

(2) le complément de phrase peut venir en tête d’une phrase niée.

(3) le complément de phrase ne peut pas constituer le foyer d’une phrase clivée.

Selon ces critères, le complément de phrase est hors de la zone d’influence immédiate de la relation prédicative constituée le plus souvent par un SN + SV. Il se rattache plutôt au nœud supérieur P de cette relation. Citons et manipulons maintenant un exemple pour vérifier ces tests :

‘466. « Franchement, vous auriez tort ! Rien ne presse, là­-bas ! Vous irez demain ! Voyons ! faites cela pour moi. » (ES., p. 252.)’

D’abord, nous constatons que l’exemple cité comporte plusieurs types de phrase et l’adverbe semble être acceptable. Ensuite, si nous tournons cette phrase dans la forme négative, l’adverbe ne change pas de portée sur l’ensemble de la phrase :

‘(466a). « Franchement, vous n’auriez pas tort ! Rien ne presse, là­-bas ! Vous irez demain ! Voyons ! faites cela pour moi. »’

Mais l’adverbe n’accepte pas le clivage en c’est… que :

‘(466b). * c’est Franchement que vous auriez tort ! Rien ne presse, là­-bas ! Vous irez demain ! Voyons ! faites cela pour moi. ’

Chez S. Rémi-Giraud, une distinction est faite entre un complément circonstanciel non essentiel et un complément de phrase. Dire d’un complément circonstanciel qu’il est non essentiel, c’est vérifier qu’il accepte tous les tests d’identification comme la suppression, le déplacement, le détachement,…etc. Quant au complément de phrase, sa position dans la phrase est un critère essentiel pour son identification. Il se rattache au nœud supérieur P, constitué par l’ensemble SN sujet + SV 4 . Les deux constituants soulignés, dérivés de l’exemple suivant, sont donc reconnus comme des compléments de phrase du fait qu’ils se rattachent à la phrase tout entière mais non pas au syntagme verbal :

‘467. Paul montra du doigt le paysan surpris (Pagnol)’ ‘468. Du doigt, Paul montra le paysan surpris.’ ‘469. Paul, du doigt, montra le paysan surpris.’

Or si nous appliquons les trois critères précédents sur ces exemples, nous allons voir qu’il ne s’agit plus d’un complément de phrase mais d’un complément qui entre dans la zone d’influence du verbe, ce que vérifient les tests suivants :

(1) Les types de phrase :

‘470. * Du doigt, Paul montra-t-il le paysan surpris ? (Interrogation)’ ‘471. *  Du doigt, Paul, montra le paysan du doigt. (Assertion)’

(2) La négation :

‘472. *Du doigt, Paul ne montra pas le paysan.’

(3) Le complément peut être extrait dans une phrase clivée :

‘473. C’est du doigt que Paul montra le paysan surpris.’

Au contraire du complément de phrase, le complément de verbe se combine exclusivement avec le lexème verbal et spécifie l’action ou l’état exprimé par ce verbe 5 . Il sera donc dans le champ d’influence du verbe. Une bonne partie des circonstants dits de manière recouvre cette catégorie de compléments de verbe 6  :

‘474. - Arrêté depuis quelques minutes au coin de la rue Saint­ Jacques, il avait lâché bien vite un large carton qu'il por­tait pour bondir vers le sergent de ville et, le tenant renversé sous lui, il labourait sa face à grands coups de poing. (ES, p. 85.)’

Nous fermons maintenant la parenthèse que nous avons ouverte. Nous pouvons dire qu’à la lumière de l’opposition précédente entre un circonstant de phrase et un circonstant de verbe, nous pouvons passer à une autre opposition proposée par Guimier (1988), (1993), (1996) : la fonction d’un adverbe intra- prédicatif / extra- prédicatif et la portée endophrastique / exophrastique.

Notes
1.

Cf. A. Borillo, « À propos de la localisation spatiale », Langue Française, n° 86, Mai 1990, p. 80.

2.

Cf. S. Rémi-Giraud, 1998, p. 81.

3.

Pour une discussion plus détaillée sur ce critère, voir ici-même, 1èrepartie, 3e chapitre.

4.

Cf. S. Rémi-Giraud, 1998, p. 82.

5.

Ibid., p. 83.

6.

Nous reviendrons sur les différentes positions de ce genre de compléments dans la phrase dans les chapitres suivants.