3.1.1. Portée sur le verbe

Dans son étude de la catégorie des adverbes intra-prédicatifs qui ont une portée sur le verbe, Guimier considère que lorsque l’adverbe porte sur le verbe, il porte effectivement sur l’un de ses arguments car

‘« La construction verbale évoque le procès et ses actants ; la construction nominale évoque le procès délié de ses actants » 1 . ’

C’est pour cela que la paraphrase prédicat nominalisé est adjectif n’est pas toujours juste car une rencontre officielle n’est pas forcément égale à ce qu’on comprend dans :

‘563. Les deux partis se rencontreront officiellement à la fin du mois prochain. ’

L’adjectif évoque dans le premier cas un type particulier de rencontre alors que dans le second, les actants sont impliqués, en l’occurrence ils feront une rencontre officielle. Dans le même ordre d’idée, on peut dire que si l’adverbe intra-prédicatif semble caractériser le seul noyau verbal, il caractérise en effet le procès, non pas en soi, mais en tant qu’il affecte un être particulier.

Ce qui explique le fait que le verbe transitif ne peut être modifié par un adverbe que si son objet est représenté réellement ou s’il est compris par le contexte. Voilà donc des exemples du corpus sur les circonstants intra-prédicatifs de manière qui portent sur le verbe :

‘564. Frédéric s'ennuya mortellement. (ES, p. 423.)’ ‘565. Il regardait avec dédain le vieux comptoir d'acajou, les serviettes tachées, l'argenterie crasseuse et les chapeaux suspendus contre la muraille. (ES, p. 177.)’ ‘566. Après les liqueurs, on but de la bière ; après la bière, des grogs ; on refuma des pipes. Enfin, à cinq heures du soir, tous s'en allèrent ; et ils marchaient les uns près des autres, sans parler, quand Dussardier se mit à dire que Frédéric les avait reçus parfaitement. Tous en convinrent. (ES, pp. 221-222.)’

Les circonstants soulignés dans les exemples précédents ont une portée sur le verbe de l’énoncé. Ils caractérisent tous le lexème verbal. Ils peuvent être supprimés facilement. Ils sont respectivement paraphrasables par (564) = l’ennui est mortel, (565) = le regard se fait avec dédain et en (566) = la réception est parfaite.

Il est intéressant de signaler aussi qu’il existe un petit groupe de circonstants en –ment qui expriment principalement le lieu et secondairement la manière mais qui portent sur le noyau verbal :

‘567. Au coin de la rue Montmartre, il se retourna ; il regarda les fenêtres du premier étage ; et il rit intérieurement de pitié sur lui‑même, en se rappelant avec quel amour il les avait si souvent contemplées ! (ES, p. 99.) (Son rire est intérieur)’ ‘568. Il avait réveillé dans son coeur ses vieux rêves d'ambi­tion. Elle s'y abandonna intérieurement, et ne reparla plus des autres. (ES, p. 166.) (L’abandon est intérieur)’ ‘569. Comment un pareil homme pouvait‑il la charmer ? Fré­déric s'excitait intérieurement à le mépriser encore plus, pour bannir, peut‑être, l'espèce d'envie qu'il lui portait. (ES, p. 196.) (L’excitation est intérieure)’ ‘570. Le verbiage politique et la bonne chère engourdissaient sa moralité. Si médiocres que lui parussent ces person­nages, il était fier de les connaître et intérieurement 2 sou­haitait la considération bourgeoise. (ES, p. 479.) (Le souhait est intérieur).’

Toutefois, il faut constater que ces circonstants, bien qu’ils caractérisent le lexème verbal, sont facilement suppressibles et que leur déplacement n’est pas exclu :

‘(570a) Intérieurement, il était fier de les connaître et sou­haitait la considération bourgeoise.’

Il y a aussi un grand nombre d’occurrences de phrases nominales 3 dans le corpus qui peuvent jouer le rôle d’un circonstant de manière intra-prédicatif :

‘571. Il demanda plusieurs fois au conducteur dans combien de temps, au juste, on arriverait. Il se calma cependant, et il restait dans son coin, les yeux ouverts. (ES, p. 171.)’ ‘572. C'était la colonne des étudiants qui arrivait. Ils mar­chaient au pas, sur deux files, en bon ordre, l'aspect irrité, les mains nues, et tous criant par intervalles’ ‘« Vive la réforme ! à bas Guizot ! » (ES, p. 377.)’ ‘573. Arnoux dormait les deux bras ouverts ; et comme son fusil était posé la crosse en bas un peu obliquement, la gueule du canon lui arrivait sous l'aisselle. (ES, p. 424.)’

Le circonstant en comme en position post-verbale peut aussi avoir un mode de fonctionnement intra-prédicatif. Le mode d’emploi de ce circonstant a été l’objet d’une étude menée par P. Le Goffic 4 dont nous allons évoquer l’essentiel. L’auteur en conclut que la phrase en comme ressemble à un groupe adverbial ayant un mode de fonctionnement identique et un comportement syntaxique semblable à un groupe adverbial.

Trois sortes 5 de comme sont donc à distinguer :

(1) Comme met en parallèle deux éléments en exprimant une seule fois ce que les deux éléments ont en commun :

‘574. Pierre fait comme Paul et pas (…comme Paul fait)’

(2) Comme a un emploi adjectival :

‘575. Paul est comme il est (attribut) ; Des fleurs comme vous les aimez (épithète)’

(3) Comme met en parallèle deux termes et rapproche deux états différents du même objet, ou deux visions différentes de la même entité. L’effet de sens produit n’est plus la comparaison mais la qualification :

‘576. Paul travaille comme maçon. ’

Au niveau de sa portée et de son interprétation, il y a également trois cas bien distingués :

(1) Comme est un adverbe de prédicat intégrative. Il porte ainsi sur le verbe de la proposition principale et l’effet de sens obtenu est la comparaison d’égalité de manière :

‘577. Paul (n’) a (pas) fait comme je lui avais dit de faire.’

(2) Comme est un adverbe de phrase et reçoit les mêmes caractéristiques et les mêmes propriétés syntaxiques. En position initiale, il peut ainsi recevoir plusieurs interprétations sémantiques et même passer au stade des relations logiques.

‘578. Je pensais qu’on devait être empêché de bien voir par les autres spectateurs comme on l’est au milieu d’une foule.’

Dans cette phrase, comme peut être interprété ainsi :

‘(578a) Comme (p) est un adverbe de prédicat qui marque l’identité de manière entre deux prédicats. Il caractérise précisément la façon dont on est empêché de bien voir.’ ‘(578b) Comme (p) est un adverbe de phrase qui marque une identité non spécifiée entre deux structure de phrase (c’est-à-dire une analogie entre deux situations) : P1, de la même manière que (de même que) P2.’

(3) Comme est un adverbe d’énonciation. Il est suivi dans ce cas par les verbes du type dire, craindre, indiquer,…etc.

‘579. Comme vous (le) savez, la guerre vient d’éclater.’

Á propos de notre corpus, nous constatons que, là encore, il y a tout un foisonnement d’occurrences des circonstants en comme. Nous allons évoquer ici le cas où cet adverbe est dans l’emploi intra-prédicatif de manière :

‘580. Ils entrèrent dans la futaie de Franchard. La voiture glis­sait comme un traîneau sur le gazon ; des pigeons qu'onne voyait pas roucoulaient ; tout à coup, un garçon de café parut ; […]. (ES, p. 432.)’ ‘581. Les feuilles autour d'eux susurraient, dans un fouillis d'herbes une grande digitale se balançait, la lumière cou­lait comme une onde sur le gazon ; et le silence était coupé à intervalles rapides par le broutement de la vache qu'on ne voyait plus. (ES, p. 440.)’ ‘582. Quel­quefois, il se réveillait le coeur plein d'espérance, s'habillait soigneusement comme pour un rendez‑vous, et il faisait dans Paris des courses interminables. (ES, p. 78.)’

Notons que la phrase après comme est elliptique dans les trois exemples précédents. Dans (580), on peut comprendre que la voiture glissait comme glisse un traîneau sur le gazon. Dans (581), la lumière coulait comme glisse une onde sur le gazon. Dans (582) enfin, Frédéric s’habillait soigneusement comme on s’habille pour un rendez-vous.

Notes
1.

Ibid., p. 50.

2.

Le circonstant est ici avant le verbe par un effet de style qui le met fortement en vedette. C’est une variation de la position post-verbale liée.

3.

Pour une étude approfondie sur le statut de ce type de phrase, voir P. Le Goffic, 1993, § 335, I. Choi, Étude des compléments de manière non prépositionnels du type ‘‘les yeux fermés’’, thèse de doctorat, Aix-en-Provence, 1991 et également Suzanne Hanon, « Les constructions absolues et l’ordre des mots », Travaux de linguistique, n° 14/15, 1987.

4.

P. Le Goffic, « Comme, adverbe connecteur intégratif : élément pour une description » in : Guimier, 1991, p. 14.

5.

Ibid., p. 21 et suiv.